À l’approche de la commémoration du premier centenaire du grand Liban, je m’étais mis désespérément à la recherche du discours solennel intégral du Général Gouraud, introuvable sur internet, et même dans la plupart des ouvrages imprimés, tant en français qu’en arabe. On n’en trouve que des extraits épars insuffisants et quelques citations incomplètes éparpillées. Ce qui est quand même incompréhensible, pour un texte fondateur majeur de l’Histoire contemporaine de la nation libanaise. On doit assumer son récit historique partagé, pour aller ensemble de l’avant.

 Mon ami le philatéliste Elie Aouad qui a la délicate attention d’émettre des timbres commémoratifs aux grandes occasions libanaises en France, a eu l’amabilité de retrouver et de m’adresser le discours du 1er septembre 1920 complet et photocopié, que je m’empresse de partager car c’est le discours fondateur qui restitue intégralement, l’esprit et les contours à sa naissance, du projet libanais devenu réalité. 

Il est impératif et indispensable de le mettre à la portée de tous les Libanais car c’est le seul document capable de redonner le contexte historique fidèle et la teneur profonde de ce projet culturel et politique dont on célébrera ce mardi 1er Septembre 2020 le premier centenaire, dans des circonstances dramatiques voire tragiques.

 Cet acte solennel de proclamation donc de naissance, de cette nouvelle entité juridique internationalement reconnue, qui a traversé depuis un siècle bien des épreuves et n’est toujours pas parvenue à atteindre une paix durable et définitive, soit du fait de sa classe politique immature, aventurière, expérimentale et défaillante, soit du fait de l’environnement régional agressif, belliqueux, tragique et tourmenté.

Certes à la veille de cette commémoration qui aurait dû s’étendre sur toute une année, nous ne pouvons ni dresser le bilan, ni évaluer les pertes et les profits, ni redresser en un tournemain le système politique dysfonctionnel car ceci nécessite une stabilité, un recul honnête, une lucidité distanciée et surtout une décision politique intègre libre, sage et désintéressée qui n’est pas disponible dans les circonstances actuelles.

Toutefois il est vital que le texte initial soit rendu dans sa totalité aux Libanais d’aujourd’hui comme il a été adressé à leurs ancêtres Grand-Libanais il y a cent ans car il leur appartient et est à la base de leur projet commun.

Le texte est remarquable, structuré, bien rédigé, articulé, cohérent, clair, à la fois émotionnel et rigoureux. C’est le discours d’un homme d’Etat exceptionnel et d’un grand militaire, au nom d’une grande nation amie la France, puissance victorieuse de la première guerre mondiale qui s’était engagée auprès du Liban durant des siècles et s’est également tenue à ses côtés depuis, durant ces cent dernières années, de manière indéfectible, infaillible, continue, exemplaire, loyale et fraternelle.

 Du Général Gouraud en 1920 au Président Macron en 2020, une même continuité bienveillante, généreuse et respectueuse de la France vis-à-vis du Liban. A chaque fois que le peuple libanais a lancé un appel au secours, la France s’est précipitée sans compter, de manière immédiate et viscérale comme s’il s’agissait d’une partie d’elle-même. Il faut lui rendre cet hommage et lui témoigner toute notre gratitude. 

Dans son discours en 1920, le général Gouraud a rappelé cette vérité et surtout a insisté sur les valeurs de la Vie, de l’Ordre et de la Prospérité. Il a acclamé la liberté du Liban et les conditions pour que le peuple libanais devienne un grand peuple à savoir l’Union, l’Unité politique et administrative et le droit au Respect de tous.

 Il souligne également qu’il va falloir faire de vrais sacrifices car « une patrie ne se crée que par l’effacement de l’individualisme devant l’intérêt général, commandé par la foi dans les destinées nationales ». Il entrevoit par ailleurs l’avenir proche du « progrès du Grand Liban vers le gouvernement par lui-même au fur et à mesure que l’éducation politique du peuple se sera développée et que par la voie des concours, la compétence aura pris une part de plus en plus grande dans vos conseils. Voici, Grand Libanais le lot sacré d’espérances et de sacrifices que vous apporte cet instant solennel » (ci-joint le texte intégral) Le mandat français n’avait été envisagé dès le départ que comme une courte période transitoire.

La suite de l’histoire depuis un siècle, nous la connaissons bien hélas et nous ne parvenons toujours pas à l’organiser, à la rationaliser ou à la maîtriser. Nous avons été submergés par une série continue et ininterrompue d’épreuves violentes dues autant à des circonstances tragiques majeures qu’à notre participation active souvent irresponsable et parfois coupable. Le prix a été cher à pays mais le peuple libanais fier et rebelle a résisté dans son ensemble.

 Une nouvelle lueur d’espoir est apparue le 17 octobre 2019, il y a presque un an. C’est elle qui marque le début véritable de la commémoration du centenaire et l’incarne. Un vent de liberté et de vérité porté par le peuple libanais et surtout la jeunesse, de manière transcommunautaire et transrégionale a soufflé que les autorités complices et archaïques tentent d’étouffer. Le mouvement national du 17 octobre actualise point par point, cent ans après, le discours de la proclamation du 1 er septembre 1920, retrouvant le désir essentiel qu’a la très grande majorité des Libanais d’être libres, non sectaires et indépendants, de protéger leurs spécificités culturelles et leur idéal de société conviviale, digne, progressiste et ouverte.

 Le patriarche maronite actuel, porté par plus des deux tiers du peuple libanais toutes communautés confondues, reprend le flambeau de son prédécesseur en mettant l’accent sur la neutralité active qui sanctuarise le Liban. Le président actuel de la France vient pour inciter les autorités libanaises à de justes réformes structurelles et accompagner une transition démocratique et pacifique des institutions, adaptée aux légitimes aspirations du peuple libanais d’aujourd’hui. Il faudrait saisir cette occasion providentielle et aller dans le sens de l’Histoire retrouvée.  

 Cent ans après, le 1 er septembre 1920, que reste-il de cette immense promesse et quel est le moyen de réactualiser positivement et de restituer au peuple libanais l’ampleur incommensurable, l’authenticité vivifiante et dépouillée de cet instant solennel de vérité ?

Lire le discours du Général Henri Gouraud prononcé lors de la proclamation de l’état du Grand Liban