Comment pourrais-je oublier le supplice de la valise? Je l’ai soudain retrouvé là avec les trains, les correspondances, etc.  «Voyager, je n’aime pas ça si c’est voyager sans toi » ; la chanson me revient. Ce n’est pas forcément ça mais c’est tout de même un peu ça quand il s’agit de la valise.  Décharger ses épaules… Dans la rue, une dame d’un certain âge avec des béquilles, cherche à traverser.

Quelqu’un lui propose de l’aide ; elle refuse, sur la défensive. Ne pas accepter l’aide pour ne pas être redevable ; pour le moins de contact possible. « Est-ce bien là l’arrêt du car d’Air France pour Orly ?»« Je ne sais pas » répond l’employé de la compagnie des cars. Le car arrive quelques minutes plus tard et l’employé charge es valises. Repli et individualisme… Se délester de la valise.

Le souvenir des propos de ma mère, il y a mille ans, me revient. Etudiante, rue de Chaillot, sixième sans ascenseur dans le 8ème arrondissement de Paris, non loin du célèbre traiteur libanais, Noura.  Ma mère, au Liban, m’enjoignait de demander à quelqu’un dans la rue  de me monter la valise. « Donne-lui dix francs » me disait-elle. C’était encore le franc. Je lui expliquais que nous étions à Paris et que même pour 10 ou 20 FF, personne n’aiderait. Ma mère alors pensait avoir trouvé une autre solution en me disant de faire appel à un des employés de chez Noura. Eux surement ne laisseraient pas une jeune fille dans la rue monter toute seule, une lourde valise. Elle ne pensait peut-être pas au dicton « fréquente la tribu un jour, soit  tu deviens comme eux, soit tu t’éloignes d’eux»  (aacher el om yom, ya bit sir minnon ya btirhal aannon)et que Noura à Paris ça n’était pas Noura au Liban. Je n’osais pas demander à quiconque de m’aider avec la valise, même contre monnaie sonnante et trébuchante. C’est sans doute à cette époque, étudiante, que j’ai dû abimer mon dos en montant et descendant les valises avant de commencer à monter les échelons de la finance. Ceux-ci n’achèteront pas un homme galant dans la rue qui propose à une femme de l’aider avec la valise. Ils achèteront un ascenseur ; c’est tout. 

Vingt ans plus tard ou plus,  rien n’a pas changé, sauf que je suis pour le coup  moi moins jeune et que j’ai plus de mal à porter la valise. Il faudra que ce soit un italien ou un maghrébin qui viendront à mon secours me proposant de porter ma valise. Et j’accepterais, bien sûr.

J’irais dans un pays où on portera ma valise, sans que j’aie nécessairement à faire miroiter 10 EUR ou 20 EUR  – existe-t-il ? –  dans un pays où on sourira… Ma mère avait peut-être  raison. Elle n’a pas voulu partir… sauf que même dans mon pays, les hommes semblent maintenant affalés, le nez dans l’ iphone,  et ne se précipitent pas forcément spontanément pour aider avec la valise. La valise, ils ne la voient même pas ; ils ne voient pas ce qu’il y a autour d’eux. J’irai dans un pays où les hommes  – et les femmes ie les humains – lèveront leurs yeux du téléphone pour voir qui passe à côté, où les uns n’auront pas peur d’approcher les autres. J’irai dans un pays où la demande en mariage restera une affaire intime : quand cet homme dans les jardins de la villa Ephrusi à Saint Jean Cap Ferrat me demande de le filmer pendant qu’il  fait sa proposition; je suis étonnée. Puis très vite, je me dis que c’est peut-être touchant et un honneur d’être le témoin d’un moment si fort qu’il souhaite sans doute immortaliser… Combien grande est ma surprise quand je me trouve à filmer tout simplement un « thank you ». Pas de bisous, pas d’effusion. « Thank you » seulement, et l’avenir est scellé. Tout est vécu sur le mode de la neutralité. Au secours, passion, enthousiasme  où êtes-vous? Emmenez-moi à Bali ; emmenez-moi en Italie.

Ne plus faire de valise puisque pas de portefaix, ne plus rien porter avec soi ; emporter seulement un talisman… « S’il fallait prendre une seule chose, quelle serait-elle? »nous avait un jour demandé une metteure en scène avec qui nous travaillions une pièce sur les réfugiés  Une photo, une bague ou une lettre et c’est tout. Les savoir près de soi ; même si finalement l’essentiel est dans le cœur, à l’intérieur. Et finalement, que ce soit à Bali, à Ithaque, en Italie ou à Paris, l’essentiel reste que « le voyage sort les gens de leur tête et les emmène dans leur cœur » comme écrivait Gloria Steinem, porte-parole du mouvement féministe américain des années soixante. « Voyage, voyage ». 


Article paru dans l‘Agenda Culturel avec l’aimable autorisation de son auteur.

Nicole Hamouche
Consultante et journaliste, avec une prédilection pour l’économie créative et digitale, l’entrepreneuriat social, le développement durable, l’innovation scientifique et écologique, l’édition, les medias et la communication, le patrimoine, l’art et la culture. Economiste de formation, IEP Paris ; anciennement banquière d’affaires (fusions et acquisitions, Paris, Beyrouth), son activité de consulting est surtout orientée à faire le lien entre l’idée et sa réalisation, le créatif et le socio-économique; l’Est et l’Ouest. Animée par l’humain, la curiosité du monde. Habitée par l’écriture, la littérature, la créativité et la nature. Le Liban, tout ce qui y brasse et inspire, irrigue ses écrits. Ses rubriques de Bloggeur dans l’Agenda Culturel et dans Mondoblog-RFI ainsi que ses contributions dans différentes publications - l’Orient le Jour, l’Officiel Levant, l’Orient Littéraire, Papers of Dialogue, World Environment, etc - et ses textes plus littéraires et intimistes disent le pays sous une forme ou une autre. Son texte La Vierge Noire de Montserrat a été primé au concours de nouvelles du Forum Femmes Méditerranée.

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