Le président de la chambre Nabih Berri a vivement réagi au Tweet du Président de la République, le général Michel Aoun, qui estimait que les innocents ne devaient pas craindre le système judiciaire.

Les innocents n’ont pas peur de la justice… Et comme l’a dit l’Imam Ali : « Quiconque se met en position d’accusation, qu’il ne blâme pas celui qui pense du mal de lui.

Le général Michel Aoun faisait ainsi allusion aux anciens ministres des finances Ali Hassan Khalil et des travaux publics Ghazi Zoaiter, deux proches du président de la chambre, Nabih Berri, qui refusent de comparaitre devant le juge Tarek Bitar en charge de l’enquête portant sur l’explosion du Port de Beyrouth, le 4 août 2020, multipliant les recours judiciaires jusqu’à présent tous rejetés.

Le président de la chambre Nabih Berri a répondu au chef de l’état, estimant que “le système judiciaire ne devrait pas être le pouvoir judiciaire des personnes au pouvoir”, accusant par conséquent ce dernier d’instrumentaliser l’appareil judiciaire contre lui.

Ces propos interviennent au lendemain du rejet par le haut conseil de la magistrature du transfert du dossier des recours des anciens ministres au juge Habib Mezher, considéré comme proche des mouvements Amal et Hezbollah qui demandent le comme eux, le retrait du juge Tarek Bitar.

Pour rappel, uen grave crise politique amenant même à la paralysie du gouvernement Mikati III a éclaté après que le juge Tarek Bitar a publié un mandat d’arrêt à l’encontre d’Ali Hassan Khalil suite à son refus de comparaitre devant lui. Outre l’ancien ministre des finances, le magistrat souhaite également entendre l’ancien ministre de l’intérieur Nouhad Machnouk, proche de l’ancien premier ministre Saad Hariri et l’ancien ministre des transports Youssef Fenianos, proche du dirigeant du mouvement Marada Sleiman Franjieh, allié au mouvement Amal.

Par ailleurs, le ministre de la Justice Henry Khoury a mis en garde mercredi contre la transformation de l’affaire portuaire en un “drame judiciaire”, suite aux pressions que subissent certains juges, et appelant à la poursuite de l’enquête actuelle au bénéfice des familles des victimes.

Aussi, le commandant des FSI, le général Imad Othman – considéré comme un proche de l’ancien premier ministre Saad Hariri – refuse d’appliquer le mandat d’arrêt à l’encontre d’Ali Hassan Khalil, sous le prétexte de l’article 40 de la constitution libanaise instaurant une immunité au bénéfice des députés lors des sessions parlementaires. Cependant, les activistes soulignent que ce mandat d’arrêt a été publié avant la tenue de la session de la chambre. Par ailleurs, un autre article de la constitution permet de procéder à cette arrestation, amenant à un bras-de-fer entre appareil sécuritaire et appareil judiciaire.

L’explosion du port de Beyrouth

Pour rappel, plus de 200 personnes seraient décédées et plus de 6 500 personnes ont été blessées dans l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et une grande partie de la capitale libanaise le 4 août dernier. 300 000 personnes seraient également sans logement des suites de cette explosion.

La piste d’une explosion accidentelle, le 4 août 2020, de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium à l’intérieur d’un entrepôt du port de Beyrouth, saisies en 2014 à bord d’un navire poubelle, le Rhosus battant pavillon moldave, est pour le moment privilégiée par les autorités libanaises. Cette explosion équivaudrait à celle de 600 tonnes de TNT ou encore à un tremblement de terre de 3.3 sur l’échelle de Richter.
Elle aurait ainsi causé un cratère de 110 mètres de long sur 43 mètres de profondeur, indique, le dimanche 9 août, une source sécuritaire citant les propos d’experts français présents sur place.

S’exprimant dans les colonnes du Washington Post dans son édition du 7 septembre, le Procureur de la République, le juge Ghassan Oweidat, a révélé qu’outre les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, du kérosène, du gazoil, 25 tonnes de feux d’artifices et détonateurs à usage pour les mines se trouvaient également présents dans ce même entrepôt.

La présence de ces produits aurait ainsi pu entretenir le feu et lui permettre d’atteindre les températures permettant l’explosion du nitrate d’ammonium, soulignent certains experts.

Les dégâts seraient estimés entre 10 milliards à 15 milliards de dollars.

Le port de Beyrouth, un espace où la corruption était généralisée

Le refus des autorités libanaises à la mise en place d’une enquête internationale serait lié à la crainte de voir l’ampleur de la corruption touchant la principale porte du Liban et où seraient impliqués la quasi-totalité des partis politiques libanais, y compris certains qui réclament aujourd’hui cette enquête, notent certaines sources médiatiques, sous le couvert d’une autorité temporaire de gestion du port de Beyrouth dont les nominations se faisaient selon des lignes sectaires officiellement.

Mis quasiment en cause en raison de sa proximité par rapport à l’ancien directeur du port de Beyrouth Hassan Koraytem en place depuis plus de 20 ans, Saad Hariri dément aujourd’hui tout lien direct avec ce dernier.

Sur place, les opérateurs notent que le transit des marchandises donne souvent lieu à un racket. Ainsi, pour pouvoir sortir des marchandises du port de Beyrouth, d’importants dessous de table doivent être fréquemment payés.

D’autres notent que certaines cargaisons ne sont pas vérifiées. Des marchandises sont également sous-facturées afin de ne pas payer les taxes pourtant dûs à un état en crise financière.

L’enquête sur les responsables impliqués dans l’explosion

Pour l’heure, 33 personnes seraient actuellement mises en examen. Parmi eux, le directeur du port de Beyrouth, Hassan Koraytem, ainsi que le directeur des services de la douane libanaise Badri Daher, tous 2 mis en examen par le juge d’instruction Fadi Sawwan, en charge de l’enquête.

Au total, plusieurs responsables sécuritaires et du port de Beyrouth ont ainsi été arrêtés.

Certaines sources soulignent que les différents partis politiques libanais s’étaient partagés les revenus du port de Beyrouth , rendant difficile actuellement de connaitre les responsabilités de chacun dans cette explosion.

Plusieurs partis politiques, de la majorité comme de l’opposition, souhaiteraient également conclure de manière rapide l’enquête étant impliqués dans différents trafics qui ont lieu depuis ou vers le port de Beyrouth. Ils souhaiteraient ainsi éviter à ce qu’on puisse découvrir le degré d’implication de chacun et des violations sécuritaires nécessaires à la poursuite de ses trafics. 

Aussi, des responsables sécuritaires avaient prévenu les autorités politiques à plusieurs reprises au cours des dernières années, les autorités judiciaires n’ont pas décidé de la mise en oeuvre des mesures de transfert nécessaires de la cargaison.

Certaines sources proches du dossier soulignent également la responsabilité de plusieurs administrations dans le port de Beyrouth, d’autant que de hauts responsables étaient informés du danger posé par le stockage de manière inadéquate de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium depuis 2014.

Si le rapport du FBI n’a pas pu conclure sur l’origine de l’explosion et évoque une piste à priori accidentelle sur base des informations fournies par les autorités libanaises, le Liban reste dans l’attente des résultats des enquêtes parallèles menées par la France et la Grande Bretagne.

Le 10 décembre, le juge Fadi Sawwan met en examen le premier ministre sortant Hassan Diab, l’ancien ministre des finances Ali Hassan Khalil et les anciens ministres des transport Ghazi Zeiter, tous 2 membres du bloc parlementaire du mouvement Amal et Youssef Finianos.

Les 2 anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zoeitar, par ailleurs proches du président de la chambre Nabih Berri, avaient alors refusé de se rendre auprès du juge, estimant jouir d’une immunité parlementaire. Cependant, cette immunité a fait l’objet d’une controverse, le barreau de Beyrouth jugeant qu’elle ne peut s’appliquer dans le cadre de cette affaire

Ces derniers obtiennent alors le renvoi du juge en février 2021, la cour de cassation, saisie par 2 anciens ministres, l’ancien ministre des finances Ali Hassan Khalil et l’ancien ministre des transports Ghazi Zoaiter, ayant décidé que le magistrat avait motivé sa décision alors que son domicile est situé dans le quartier d’Ashrafieh également endommagé par l’explosion. Il était donc partie prenante dans cette affaire.

Le juge Tarek Bitar a alors été nommé dès le 19 février. Son nom ayant déjà été proposé en août dernier dans le cadre de la même procédure. Il avait cependant à l’époque refusé de devenir le juge d’investigation dans le dossier du drame du 4 août dernier, au prétexte d’une charge de travail importante.

Début juin, le nouveau juge a indiqué que 3 hypothèses ont été examinées après que les experts français aient révélé le contenu d’un rapport préliminaire, celle d’une erreur humaine suite à un travail de soudage qui a déclenché un incendie, d’un incendie intentionnel ou encore une explosion suite au tir d’une roquette. 

Selon le juge, l’une de ces hypothèses serait écartée à plus de 80% suite à la réception du rapport des experts français qui est finalement parvenu au Liban. 

Restent donc 2 hypothèses qui font actuellement l’objet d’études approfondies. Certaines sources indiquent qu’il s’agirait des hypothèses d’un incendie volontaire ou accidentel.

Début juillet, le juge Tarek Bitar demande la levée de l’immunité parlementaire d’un certain nombre de responsables dont l’ancien ministre des finances, Ali Hassan Khalil et de l’ancien ministre des travaux public, Ghazi Zeaiter, 2 proches du président de la chambre des députés Nabih Berri ainsi que de l’ancien ministres de l’intérieur Nouhad Machnouk, tous soupçonnés d’avoir été mis au courant de la présence de substances dangereuses. Il a également demandé la permission d’interroger un certain nombre d’anciens responsables et de responsables actuels des services de sécurité dont le directeur de la sureté générale, le général Abbas Ibrahim ou encore de l’ancien commandant de l’armée libanaise, le général Jean Kahwaji.

Ce vendredi 9 juillet, le bureau du parlement et la commission parlementaire de l’administration et de la justice aurait reporté la décision concernant la levée de l’immunité des parlementaires visés, demandant plus d’information à ce sujet.

Le même jour, le ministre de l’intérieur Mohammed Fahmi a refusé de permettre l’interrogatoire du général Abbas Ibrahim amenant le juge Tarek Bitar à déposer un recours devant la cour de cassation.

Des le 11 octobre 2021, le juge Tarek Bitar publie un mandat d’arrêt à l’encontre d’Ali Hassan Khalil après que celui-ci ne se soit pas produit devant lui. Ce mandat d’arrêt mènera à des manifestations devant le palais de justice, le 14 octobre 2021, et aux fameux incidents de Tayyouneh, les pires incidents à caractère sectaire depuis la fin de la guerre civile entre chrétiens et chiites. Le mouvement Amal et le Hezbollah, coorganisateur de la manifestation, accuseront alors des snipers des Forces Libanaises d’avoir fait feu sur eux.

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