Alors que les pertes du secteur bancaire seraient estimées à 69 milliards de dollars le comité en charge d’étudier la question constitué par le premier ministre Najib Mikati, le ministre des finances Youssef Khalil, le ministre de l’économie Amin Salam et le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé envisagerait de faire porter une large part des pertes du secteur bancaire privé sur les déposants et non sur les actionnaires, indiquent certaines sources proches du dossier.

En ligne de mire, les comptes en dollars ouverts avant l’instauration d’un contrôle informel des capitaux par l’Association des Banques du Liban mais également ceux qui ont été ouverts après novembre 2020.

En cause, l’écart aujourd’hui entre taux de change officiel et ceux du marché noir qui a aggravé les pertes du secteur bancaire après que les banques libanaises ont eu confié la très grande majorité des fonds de leurs clients à la Banque du Liban, bénéficiant en retour des opérations d’ingénierie financière, devises qui ont notamment servi à financer, outre la dette publique, les importations subventionnées par la banque centrale depuis plus de 10 ans.

Par ailleurs, les banques locales sont également confrontées à leur placement en eurobonds estimées à 13% des pertes totales

Face à cette situation, les autorités libanaises envisageraient une double stratégie.

D’une part, les autorités libanaises souhaiteraient liratifier les dépôts dits en fresh-dollars à hauteur de la parité de 8 000 LL/USD – cela concernerait 18 000 comptes équivalents aujourd’hui à 38 milliards de dollars de dépôts ou 37% des sommes actuellement disponibles au sein des banques libanaises -, le déposant faisant face à l’écart entre taux à 8 000 LL/USD à et 27 000 LL/USD et subissant ainsi une décote de 70% -.

Cette estimation de 38 milliards de dollar frais présents actuellement dans le système financier – un montant étonnant en raison de la perte de confiance vis-à vis du secteur financier – s’explique elle-même pour une petite partie par les flux financiers entrant en devise étrangère et principalement par le retrait via les circulaires 151 et 158 de la Banque du Liban à hauteur d’une parité de 3 900 LL/USD jusqu’au mois de décembre puis de 8 000 LL/USD depuis la semaine dernière de fonds précédents l’instauration du contrôle des capitaux échangés ensuite en devises étrangères au marché noir pour ensuite être reversé sur des comptes dits en fresh-dollar. Ainsi, les déposants qui se trouvent dans une telle situation font face en réalité à une décote plus importante, une double peine en quelque sorte puisque le haircut peut ainsi dépasser alors les 90% de la somme initiale, soit bien plus que la détérioration actuelle de la livre libanaise face au billet vert.

D’autre part, sur les comptes dollars ouverts avant le 17 octobre 2019, ces derniers seraient divisés en 2 catégories, ceux au-delà d’une valeur de 500 000 USD – appartenant en grande majorité à des personnes qui avaient épargné en vue d’assurer leurs retraites et dont une partie serait convertie en bons du trésor et une autre partie liratifée au taux de 8 000 LL/USD et ceux dont le montant serait compris entre 50 000 USD et 500 000 USD. Pour ces derniers, une partie pourrait être également transformée en bons du trésor, une partie en livre libanaise et une autre partie payée en dollar. Cependant, les pourcentages ne sont pas pour l’heure connus.

Enfin, pour ceux équivalents à moins de 50 000 USD, des discussions seraient toujours en cours avec une option de les payer en totalité en dollars ou à moitié en livre libanaise selon la circulaire 158.

Cependant, cette double stratégie fait face également à un nouveau foyer de perte pour les déposants, qui sont ainsi doublement punis. Il s’agira pour les autorités monétaires locales d’augmenter la masse monétaire en livre libanaise, induisant un fort taux d’inflation qui pourrait amener la monnaie locale à des plus bas historiques du jamais-vu encore, alors que les représentants des déposants sont pour l’heure totalement exclus des discussions actuelles. Les anciens comptes en dollars et liratifiés pourront ainsi perdre rapidement leur valeur, contribuant ainsi encore à augmenter la pression sur la livre libanaise.

Aussi, la mise en oeuvre de ce plan pourrait se voir être confrontée d’une part à la paralysie actuelle du gouvernement, mais surtout aux négociations avec le Fonds Monétaire International qui souhaite au contraire voir la parité de la livre libanaise être stabilisée, certaines sources de l’institution estimant qu’une majorité des pertes devrait être supportée par les actionnaires des banques parmi lesquels figurent le premier ministre Najib Mikati lui-même en limitant autant que possible les impacts sur la masse monétaire et non par les déposants.

Focus

Le rapport publié en 2020 par la Foundation for Defense of Democracies et intitulé Crisis in Lebanon, Anatomy of a financial Collapse estime toutes les banques libanaises étudiées comme étant insolvables. Elles sont également menacées par des procédures judiciaires, accusées de blanchiment d’argent et en raison du lien de certains établissements avec le Hezbollah aux USA.

• Bank Audi S.A.L.
• Bank of Beirut S.A.L.
• Bank of Beirut and the Arab Countries S.A.L.
• Bankmed S.A.L.
• Banque Libano-Française S.A.L.
• BLOM Bank S.A.L.
• Byblos Bank S.A.L.
• Crédit Libanais S.A.L.
• Fenicia Bank S.A.L.
• Fransabank S.A.L.
• IBL Bank S.A.L.
• Lebanon and Gulf Bank S.A.L.
• MEAB Bank S.A.L.
• Société Générale de Banque au Liban S.A.L.

Parmi les banques citées:

Au total, les 14 banques prises en compte nécessiteraient un apport de 67 milliards de dollars, ce qui est bien éloigné des sommes maximales que le Liban pourrait obtenir dans le cadre d’une aide internationale, soit 26 milliards de dollars (15 milliards de dollars de prêts via le FMI et 11 milliards de dollars via CEDRE à condition de mettre en place les réformes économiques, monétaires et financières nécessaires pour les débloquer).

Selon les calculs effectués par un expert étranger, tous les établissements nécessiteraient des injections massives de fonds, allant jusqu’à 11.9 milliards de dollars pour la BLOM seulement, suivie de 11 milliards de dollars pour la Banque Audi, des sommes aujourd’hui impossibles à trouver au Liban même. Le risque de faillite ou encore de shutdown complet est donc présent pour ces établissements avec d’importantes pertes pour les actionnaires actuels.

Ils ne pourraient survivre qu’à condition de fusionner ou encore de procéder à des haircuts sur les dépôts.

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