Pourquoi le Liban ne s’adresserait-il pas à ses citoyens lorsqu’il souhaite lancer un emprunt ?

Ne serait-ce pas là un moyen de responsabiliser le peuple libanais vis-à-vis de son pays, et surtoutde rendre l’État lui-même véritablement comptable vis-à-vis de ses citoyens ? Le peuple libanais se verrait de fait en droit et en devoir de scruter les décisions du gouvernement concernant la gestion du budget, les dépenses d’investissement comme de fonctionnement, de demander des comptes exactement comme des actionnaires dans une entreprise.

Rompre le nœud de la dépendance…

‌En lançant des emprunts et autres obligations auprès des institutions financières internationales comme à certains pays étrangers, arabes ou non, c’est à ces derniers qu’il rend des comptes. Or, ces institutions cherchent d’abord leurs intérêts, pas ceux du Liban. Elles vont donc exiger des politiques économiques et sociales en fonction de leurs propres intérêts économiques, sociaux et politiques et non de ceux des libanais.

‌Pire, c’est dans leur intérêt que la corruption se développe, soumettant ainsi le personnel politique, bon gré mal gré, à œuvrer individuellement et/ou collectivement à maintenir cette dépendance en place.

‌Le Japon emprunte systématiquement auprès de ses citoyens.

‌Le gouvernement français a mis en place la sécurité sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale alors que le pays était exsangue et que les Français vivaient avec des tickets de rationnement. Dès son origine, le budget de la sécurité sociale était équivalent au budget de l’État et il était pourtant entièrement financé par les travailleurs salariés.

‌C’est cette sécurité sociale, entièrement financée et gérée par les travailleurs, qui a réussi à mettre en place le système hospitalier français qui reste aujourd’hui encore parmi les meilleurs et les plus performants du monde, malgré les multiples interventions de l’État pour le soumettre progressivement au patronat dans un premier temps, puis à son propre contrôle dans un second temps.

…pour une politique indépendante au service de l’ensemble de la population

‌Pourquoi le Liban, avec la richesse de nombre de ses citoyens et ressortissants, vivant au Liban comme à l’étranger, ne pourrait-il pas lever les fonds nécessaires à son développement au lieu de devoir rendre des comptes à des institutions étrangères qui veulent d’abord leur propre bien ?

‌Le gouvernement libanais devrait se tourner résolument vers cette option, cesser de s’adresser à ces institutions et autres pays européens comme ceux du Golfe pour s’adresser dorénavant, d’abord essentiellement puis exclusivement à son propre peuple auquel il devra alors rendre ses comptes. C’est aussi un des meilleurs moyens de lutter contre la corruption qui gangrène le Liban.

Cela répondrait parfaitement au projet défini par le général Aoun depuis une vingtaine d’années et qui est fondé sur deux axes essentiels : l’indépendance de décision de l’État et donc la reconnaissance de sa souveraineté, la lutte contre la corruption. Ces deux axes restent au cœur de son programme en tant que Président de la République. Cela répond aussi au combat que mène depuis plusieurs années, sous son égide, le ministre des Affaires étrangères pour mobiliser la diaspora libanaise pour investir et développer la coopération avec la mère patrie.

Nommer et prendre la mesure des difficultés d’un tel défi…

‌J’entends les difficultés d’un tel défi tout comme les réserves et les méfiances que cela peut susciter face à la gabegie de la classe politique. Ces difficultés sont importantes et se situent à deux niveaux : inhérentes au mécanisme à élaborer et à mettre en place, entraves de toutes sortes que les profiteurs du système en cours ne manqueront pas d’ériger pour y faire échec.

Mais a-t-on le choix sinon de laisser la situation désastreuse du Liban perdurer et continuer de de s’approfondir, les inégalités sociales de plus en plus insupportables se développer, la jeunesse continuer de fuir le Liban, la dette s’enfonçant dans un gouffre sans fond, notre classe politique se noyant, bon gré mal gré, dans la corruption toute honte bue, obligée de se soumettre aux diktats de ses pourvoyeurs et qui a fini par entraîner tous les échelons de l’administration dans ce cycle infernal où tout devient bakchich, débrouille et/ou démission !

… pour mieux les assumer

‌Une telle entreprise nécessite clairement de présenter des garanties solides et des règles précises qui seraient établis par les représentants de ceux grâce à qui elle sera portée, à savoir les entrepreneurs, les syndicats et associations professionnelles, les ONG et autres représentants de la société civile. De plus, la récolte des fonds comme les investissements proposés seraient établis sous leur contrôle. Les comptes seraient publiés et accessibles à tous les citoyens.

‌Cet organisme accueillerait en son sein des représentants de l’État tout en restant indépendant.

‌Une telle organisation, qui reste bien sûr à améliorer et préciser, servirait de creuset, d’exemple et de force d’attraction propre à encourager et fixer une réforme en profondeur de l’État et surtout des pratiques de la classe politique, et ouvrir la voie à la généralisation de cette politique qui consiste à s’adresser uniquement à ses seuls citoyens et ressortissants dans le monde pour tous ses besoins d’emprunt.

La place de la diaspora

Quant à l’engagement de la diaspora libanaise dans ce processus, l’effort du gouvernement, et en particulier de son ministre des Affaires étrangères, depuis quelques années pour mobiliser celle-ci en faveur de l’investissement au Liban trouverait à être élargi à tous les secteurs, jusques y compris dans la participation à des cycles de conférences dans leurs domaines de compétences et qui seraient proposés aux universités, aux laboratoires de recherche comme aux organisations professionnelles, avec la promotion d’accords de coopération avec leurs organismes d’origine. Tout cela établirait un climat de confiance propre à encourager le retour au Liban, ou pour le moins la réalisation d’un pont structurel entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine, de compétences qui ont été obligées par la force des choses à s’expatrier pour un ailleurs meilleur .

‌Pour autant, la diaspora de longue date ne peut être à l’avant poste de ce projet sans qu’il ait d’abord été initié et consolidé par le peuple libanais vivant sur place. C’est lui seul qui est capable d’en contrôler la mise en place et le fonctionnement.

‌La diaspora ne peut ni n’acceptera jamais, et à raison, d’être la vache à lait de qui que ce soit, encore moins de celle d’une classe politique faillie et corrompue et qui chercherait à perpétuer ses pratiques. Elle n’en reste pas moins une richesse considérable à tous les niveaux, au même titre que le peuple libanais lui-même qui n’en peut plus d’être piétiné.

Une coopération ouverte à tous les pays et dans tous les domaines, sans exclusive

Une condition sine qua non à ce projet doit être rappelée cependant, à savoir la nécessité de développer des coopérations à tous les niveaux et avec tous les pays, sans exclusive. Le Liban ne coopère qu’avec les États-Unis, l’Europe et les monarchies du Golfe, Donc un seul camp et la soumission à son chef de file. Il ne peut dès lors avoir une politique indépendante et on en connaît les résultats. Les Palestiniens ont agi de même avec les conséquences que l’on sait.

L’État d’Israël lui-même ne fait, quelque soit l’aide considérable qu’il reçoit des États-Unis depuis des décennies, ne leur leur fait aucune confiance et multiplie ses accords de coopération à tous les pays. Lorsque le gouvernement américain rugit trop fort, il recule pour en fait mieux sauter un peut plus tard.

La seule façon de construire une indépendance de décision est de coopérer avec tous les partenaires potentiels, amis supposés, comme adversaires. Cela fonctionne comme le rapport à la mafia : cela commence toujours par un petit chantage, puis cela va crescendo. Ce qu’un petit pays comme Oman peut faire, pourquoi le Liban n’en serait-il pas capable ? Toute l’histoire nous montre qu’un État ne peut avoir une politique indépendante autrement qu’en entretenant des rapports diversifiés avec tous les pays et dans tous les domaines, sans exclusive. Tous les pays du monde coopèrent aujourd’hui librement, même les dernières chasses gardées des grands empires ont fini par prendre le large. Pourquoi le Liban devrait-il continuer à demander la permission et à s’auto-restreindre ?

Les exigences et prétendues solutions des institutions financières internationales n’ont abouti qu’à un élargissement démesuré des écarts de revenus et au développement de la pauvreté avec le déclassement des classes moyennes. Partout dans le monde. Les richesses augmentent pour être accaparées par une proportion de plus en plus restreinte de personnes.

Le Liban est absolument capable de gérer le choix d’un financement auto-centré avec compétence et rigueur, et qu’il n’a pas besoin de superviseurs comme la Banque mondiale, le FMI ou autre pays « protecteur » qui nous voudrait tant de bien.
Ce que le Japon fait, ce que les salariés français ont réalisé au sortir de la seconde guerre mondiale, dans un dénuement extrême, comment le Liban, avec toutes les compétences de ses enfants, sa volonté mille fois éprouvée de se relever et se reconstruire, s’avérerait-il incapable de le faire. Il faut simplement qu’il en ait la volonté et décide de passer à l’acte ou, comme on dit, « franchir le Rubicon », qu’il s’en donne les moyens et accepte d’en assumer les difficultés avec intelligence et persévérance.

Scandre Hachem

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1 COMMENTAIRE

  1. Refuser l’ingérence des commissions économiques mondiales revient à refuser la place du Liban sur la scène internationale.

    De plus, une commission résultant d’un concours de vox populi qui se rallie toujours à des comités de soutien religieux et qui ont expressément créé le parti populaire syrien est moins en mesure de s’auto gérer que de laisser le FMI et autres créanciers lui donner une place régionale.

    Il faut toujours laisser la place à l’histoire des partis politiques décadents autant que modernes, pour arriver à un meilleur ordre mondial dont le refus de paix est dominant depuis l existence de l’homme.
    En 1901, on brûlait au bûcher en France quelqu’un qui volait une poule.

    Il y a malgré la montée de l extrémisme dans le comportement, un relatif progrès mondial.
    Un peu de diplomatie et le monde avance.

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