Publication évènement : Monseigneur Youssef Rizk (1780-1865), Disciple de Aïn Waraka

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A la suite de la brillante soutenance de sa thèse de doctorat, le prêtre savant et chercheur, père Mikhaël Kanbar a signé le 1er juin 2018 son livre, à acquérir de toute urgence, publié par le Centre de Recherches et de Publications de l’Orient Chrétien (CERPOC) avec les éditions de l’USJ.

Ce travail de recherche, incontournable reprend la situation de l’enseignement gratuit, mixte et obligatoire, accompli grâce au clergé maronite, dans l’ensemble de la montagne libanaise. Ce mouvement déterminant a été à l’origine, de la renaissance culturelle et éducative du Liban au XIX siècle. Il décrit avec précision et de manière fort documentée, le rôle de L’institution de Aïn Waraka, qui fut l’institution mère de toutes les écoles du Liban et de Syrie.

 Il plonge par ailleurs dans le climat politique et culturel du temps de l’Emirat sous Béchir II (1789-1840), des deux caïmacamiyatayn (1842-1860) jusqu’aux débuts de la Moutassarifiya (1860-1918).

Il m’a semblé indispensable de présenter cet ouvrage de référence qui nous éclaire sur l’évolution pédagogique et politique du Mont Liban au XIX siècle, surtout à l’heure où les institutions éducatives traversent une grave crise au Liban. A l’instar de tout le pays qui en attendant de célébrer son premier centenaire (1920-2020) s’enfonce de plus en plus, dans la tourmente financière, sociale et identitaire.

La Thèse, en langue arabe, couvre une introduction, cinq chapitres principaux détaillés et une conclusion, avec tous les documents et références en annexe.

Dans l’introduction, la recherche décrit le climat politique et culturel prévalant au XIX ème siècle, ère des révolutions industrielles, économiques, et sociétales, en se penchant particulièrement sur les données historiques et géographiques spécifiques au Liban.

Elle souligne que les maronites avaient renoué avec la papauté à Rome, à partir du XV ème siècle et avaient obtenu, une attention particulière au niveau culturel et intellectuel, menant à la fondation du collège maronite de Rome (1584-1808), par le pape Grégoire XIII, pour donner à de futurs responsables de l’église maronite, une formation ecclésiastique dans la ligne des réformes introduites, par le concile de Trente (1545-1563) et dont il confia la direction aux pères jésuites.

Cette institution devint alors le noyau de la renaissance culturelle au Liban car les élèves qui y étaient formés, furent imprégnés de modernité. Certains devinrent par la suite patriarches et évêques et œuvrèrent, à répandre le savoir et la connaissance dans leur communauté.

Cette renaissance se traduisit un peu plus tard au Liban, par l’édification de l’école de Houka en 1632 puis celle de Aïn Waraka en 1789.Ce mouvement au Liban fut également à l’origine du sursaut culturel dans toutes les communautés, parallèlement à des missions latines, telles que les Franciscains, les Capucins, les Jésuites, les Carmes et les Lazaristes.

Il contribua à forger l’identité libanaise plurielle et le but de cette thèse est d’éclairer, le rôle d’un des piliers de cette renaissance au Liban, l’évêque Youssef Rizk qui accompagna les patriarches et les évêques, en tant qu’inspirateur, que guide, qu’aide et compagnon.

 Le collège maronite (fondé en 1584) commença par former à Rome, une élite intellectuelle parmi le clergé mais le synode maronite de Louaizé de 1736(qui restructura l’église maronite) prit la décision, d’étendre l’enseignement gratuit et obligatoire, à tous les enfants de la communauté maronite au Liban et en Syrie.

 Ce qui poussa le patriarche Youssef Estephan (1766-1793), élève du collège maronite de Rome, sur le conseil de son neveu le prêtre Khairallah Estephan (devenu plus tard l’évêque Youssef Estephan) et l’appui du consul de France Cheikh Ghandour Saad, à transformer en 1789, le monastère Saint Antoine de Ghosta (propriété de la famille Estephan), en une école publique gratuite, qui se charge de la formation des prêtres et de tous ceux qui le désirent de la communauté maronite.

Deux buts furent assignés à la nouvelle institution : renforcer l’éducation spirituelle et diffuser l’éducation religieuse et scientifique ce que le patriarche Estephan a dénommé « les sciences sacrées »et qui couvraient tout d’abord l’enseignement du syriaque et de l’arabe puis l’éloquence, ensuite la science de la logique et de la philosophie puis la science de la théologie théorique et pratique,  celle des débats religieux ,l’explication des livres saints, la maîtrise des homélies spirituelles ainsi que l’avertissement de la parole de Dieu au peuple chrétien. Mais le but ultime était d’effacer l’ignorance et de sauver les âmes.

D’autres raisons ont également poussé à cette transformation notamment l’esprit d’indépendance de l’église maronite, par rapport à l’église de Rome et la congrégation de la  Propagation  de la foi (Propaganda Fide) fondée en 1622 par le pape Grégoire XV ,chargée des œuvres missionnaires et surtout après la dissolution de l’ordre des Jésuites en 1773  (en charge du collège maronite de Rome), d’où la nécessité pour l’église maronite, de pouvoir former sur place ses propres prêtres, dans l’esprit authentique maronite, sans ingérence extérieure.

Toutefois cette transformation ne surviendra effectivement qu’après le décès du patriarche Youssef Estephan, sous le mandat de son successeur le patriarche Youssef Tyan (1796-1808), élu patriarche à 33 ans et qui se distinguait lui-même par une vaste culture et une connaissance approfondie de la théologie. Il convoqua un synode à cet effet le 10 Mars 1797.

L’Histoire a retenu le nom du patriarche fondateur Youssef Estephan mais a occulté le nom de l’évêque Youssef Rizk, qui dirigea cette vénérable institution durant presque cinq décennies (1808-1814 puis 1825-1865) et veilla à son agrandissement, à sa bonne gestion et à sa direction.

D’où le titre de cette thèse « L’évêque Youssef Rizk (1780-1865) : une vie et des réalisations », qui remet en lumière ce parcours exceptionnel.

L’évêque Youssef y apparaît, comme le sauveur providentiel de Aïn Waraka, le gérant dévoué et probe de ses biens, le directeur efficace et vigilant de ses élèves, un pilier incontournable des élections successives des patriarches, un acteur lucide dans l’accompagnement des mouvements populaires (communes) et un médiateur avisé durant les révoltes des paysans. Par ailleurs il joua également un rôle important, durant la période des troubles communautaires du Mont Liban (1840-1860), tout d’abord en tant que rassembleur et artisan de la paix et puis comme défenseur du droit et des opprimés.

L’évêque savait faire évoluer ses positions, en fonction des circonstances mais elles étaient toujours dictées, par ses principes, ses convictions et les idéaux qu’il voulait défendre. Il accordait une priorité à la négociation pacifique, quand elle était possible mais n’hésitait pas à assumer courageusement, l’affrontement et le conflit quand ils lui apparaissaient inéluctables. Il fit preuve en même temps de beaucoup de sagesse et de beaucoup de bravoure. Par ses multiples talents et missions, il accomplit un rôle déterminant tant communautaire que national, durant une grande partie du XIX ème siècle.

 En se penchant sur cette figure majeure, ce travail nous renseigne également sur le rôle pionnier de Aïn Waraka dans l’éveil culturel, intellectuel et pédagogique au Liban et par la suite dans le monde arabe. Parmi les élèves de cette institution nous pouvons citer par exemple, l’évêque Youssef el Debs (fondateur du collège de la Sagesse), l’évêque Youhanna el Habib (fondateur du collège de Kreim des missionnaires libanais)les évêques de la famille Boustani,Le maître Boutros el Boustani (fondateur de l’école Nationale) Rachid el Dahdah et bien d’autres…Outre la révolution scientifique, Aïn Waraka va faire émerger une nouvelle catégorie du clergé lettré et cultivé ,issu des milieux populaires et paysans qui contribuera à réduire, le rôle féodal dans la société chrétienne .Elle accompagnera également  la révolution sociétale.

Cette recherche abordera donc successivement :

L’époque de Aïn Waraka (chapitre I), la modernisation et la bonne gestion de l’institution (chapitre II), les campagnes de diffamation et les complots dont l’évêque a été la cible (chapitre III), sa compétence dans ses rôles politique et social (chapitre IV) et enfin son exemplarité et sa distinction dans son rapport avec sa hiérarchie et l’institution cléricale dans son ensemble (chapitre V).

 Dans le premier chapitre consacré à l’époque de Aïn Waraka, l’étude se penche sur la fondation de l’établissement considéré comme la mère de toutes les écoles en Syrie et au Liban.

Elle relève tout d’abord la coïncidence de dates entre la naissance du prélat (1780) et la fondation de l’institution (1789).

Ainsi le monastère Saint Antoine de Aïn Waraka a été transformé en une école maronite publique, voulant donner l’accès à la communauté maronite, à l’enseignement gratuit de qualité, afin de combattre l’ignorance et l’obscurantisme. Le monastère étant à l’origine une propriété de la famille Estephan.
L’étude se penche sur les circonstances historiques, culturelles et économiques, qui ont mené à cette transformation sous l’égide du patriarcat maronite, la même année que la révolution française (1789).

Puis après avoir évoqué les circonstances de la naissance de monseigneur Youssef Rizk en 1780 (né Hanna Touma Rizk) dont la famille s’était installé à Jezzine en 1697, elle aborde le fait qu’en 1797, il fut à 17 ans, grâce à ses talents précoces, son savoir et sa piété, repéré par l’évêque Youhanna el Hélou de Ghosta, plus tard patriarche (1809-1823) lui-même.

 L’évêque el Hélou avait été dépêché, par le patriarche Youssef Tyan afin de sélectionner les élèves maronites méritants, dans les villages relevant de l’évêché de Tyr et de Saïda. Il sonda le cœur et l’esprit du jeune homme de Jezzine, qui lui confirma, son désir sincère de devenir prêtre.

C’est ainsi qu’il fut appelé à rejoindre la vénérable institution à laquelle il va consacrer la majeure partie de sa vie. C’était la première année (1797) où Aïn Waraka ouvrait véritablement ses portes.

Ce travail se penche dès le départ sur le lien structurel qui va s’établir entre le maître, le prêtre Khairallah Estephan (né en 1759, neveu du patriarche Youssef Estephan et qui deviendra lui-même évêque en 1810 sous le nom de Youssef Estephan) et son élève. Puis il envisage le parcours académique et sacerdotal de Youssef Rizk, en passant en revue ses qualités propres, qui alliaient la quête continue du savoir, la bonne gestion et l’extrême piété.

 L’évêque Youssef Estephan va diriger l’école Aïn Waraka durant 25 ans (1797-1822). Cette période coïncide avec l’âge d’or de l’Emirat de Bachir II Chehab (1789-1840), avec lequel l’évêque Estephan fut au début très lié mais après son retour d’exil (1822), l’émir le pourchassa et le fit empoisonner car il l’avait soupçonné, de l’avoir trahi durant son absence, en soutenant la révolte populaire contre lui.

Ce chapitre nous éclaire sur les circonstances politiques, les usages et les mœurs de l’époque, à l’ombre de la personnalité écrasante de Bachir II qui gouverna durant plus d’un demi-siècle la montagne libanaise.

Après le décès tragique de l’évêque Youssef Estephan et selon son testament, on proposa la direction de l’école, à son élève le prêtre traducteur Hanna Rizk, selon le vœu du nouveau patriarche Youssef Hobeiche et celui du propre frère du défunt. Il se récusa dans un premier temps puis finit en 1825, par accéder à cette demande du patriarche et de la famille Estephan, par fidélité à la mémoire de l’évêque. Il fut lui-même promu évêque en 1829 et prit le prénom de Youssef, en souvenir de son maître l’évêque Youssef Estephan.

Le second chapitre est consacré à la modernisation et la bonne gestion de l’école de Aïn Waraka. Ce chapitre va mettre l’accent tout d’abord sur la gestion financière de l’institution qui était couverte d’innombrables dettes. La bonne gestion et le sens prononcé des affaires du nouvel évêque directeur va assainir la santé financière de l’établissement. Ce chapitre produit plusieurs documents et démonstrations prouvant cette réussite remarquable. L’évêque va multiplier les rentrées par l’acquisition de multiples terrains dévolus à la culture du ver à soie. C’était une activité commerciale à l’époque extrêmement en vogue et très rentable. L’évêque va également consulter des experts économiques et se faire conseiller pour faire prospérer l’école et remplir les caisses. Il s’opposera fermement à toute corruption ou tentative de falsification ou de détournement.

 Puis l’étude va passer en revue les méthodes pédagogiques, le rayonnement de l’enseignement, la maîtrise des langues notamment le latin, l’italien et le français (que l’évêque lui-même va introduire en 1825 car l’école devait combler le vide laissé par la fermeture du collège maronite de Rome), ainsi que bien entendu l’arabe et le syriaque, la bonne tenue et l’apprentissage de la philosophie et de la théologie. Elle met l’accent sur l’impact personnel de l’évêque sur l’institution et ses qualités qui en ont fait un pôle d’excellence à tous les niveaux. Par ailleurs elle décrit les travaux de rénovation et d’agrandissement entrepris avec succès par l’évêque. C’est une édification de l’homme et de la pierre.

Dans le troisième chapitre, cette recherche aborde d’autres réalisations constructives de l’évêque notamment son souci d’établir une école à Jezzine son village natal, où il fera bâtir sur ses biens personnels et familiaux et de ses propres deniers, une école sur le modèle de Aïn Waraka et une église adjacente, qui contribuèrent (et qui contribuent toujours de nos jours) à perpétuer l’esprit de sa mission accomplie et de son sacerdoce. Il a ainsi beaucoup veillé même absent au prolongement de sa vision, dans le village même qui l’a vu naître. Il fit preuve dans ses dépenses et sa gestion d’une extrême générosité personnelle (sur ses biens propres) et d’une grande probité et vigilance institutionnelle (concernant les biens de l’église). L’église qu’il a bâtie et l’institution qu’il a fondée, gardent son souvenir. Il sembla poursuivre le dessin d’élargir le souci familial au communautaire puis au national.

Certes ses succès éclatants et répétés ont entraîné bien des jalousies prévisibles et des campagnes de diffamation notamment de la part de ceux qui profitaient jadis du système ancien et le détournaient à leurs fins propres et personnelles. Des complots furent ourdis contre lui et des rumeurs malfaisantes furent répandues, surtout de la part de certains intrus cupides, qu’il avait pris lui-même sous son aile et qu’il avait protégés. L’appât du pouvoir et du gain vont se traduire par des manœuvres de manipulation, de corruption, de diffamation allant jusqu’à l’accusation d’incitation au meurtre dont a été victime le vénérable prélat protégeant avec ferveur, jusqu’au bout l’institution qui lui avait été confiée.

Toute sa vie l’évêque endura avec vaillance et porta sa propre croix, sans perdre sa foi et sa fermeté, dans ses prises de position dictées par sa conscience et son intégrité morale et intellectuelle. L’évêque s’est également défendu de manière rationnelle, en rappelant tout son parcours au service de l’institution qu’il dirigea à deux reprises, la première fois entre 1808 et 1814, et la deuxième à partir de 1825 durant presque quatre décennies. Il produisit tous les documents vérifiables, susceptibles d’étayer son discours et de prouver sa bonne foi et sa bonne gestion. Tous les comptes étaient en règle et les décisions prises amplement justifiées.

Finalement l’évêque eut gain de cause et la vérité fut entièrement rétablie. Il reçut alors en 1856 du pape par l’intermédiaire de son envoyé, une lettre d’appréciation et un calice consacré par le Saint Père Pie IX. Son labeur fut ainsi reconnu à sa juste valeur et lui-même pleinement réhabilité. Par la suite l’évêque put ainsi compléter sereinement son œuvre à Jezzine, en complétant l’édification de l’école commencée en 1854 et en lui adjoignant en 1861, une église baptisée Saint Joseph, du nom de son saint patron.

Il établit son testament et légua tous ses biens personnels et familiaux au profit de la nouvelle église et de l’école dont la gestion revenait à un membre de sa famille. C’est une institution rattachée à l’évêché maronite de Saïda et non directement au patriarcat (comme Aïn Waraka). Toutefois elle poursuit le même but que son modèle d’origine, l’institution qu’il avait lui-même dirigée, agrandie et fait prospérer, à savoir l’enseignement gratuit et l’excellence du savoir et de la bonne conduite.

Le quatrième chapitre est consacré à la grande compétence de l’évêque dans le domaine politique et social. Il aborde le lien étroit dans une société patriarcale entre le spirituel, le culturel, le politique, l’économique et le social. L’auteur évoque les multiples champs d’action de l’évêque.

 Il aborde ses liens avec cheikh Bachir Joumblatt (1775-1825) et l’émir Bachir II Chehab (1767-1850) et l’étroite et quasi exclusive complicité puis la rivalité sanglante entre les deux, qui allait durablement ébranler la stabilité de la montagne libanaise. L’émir suspecta le cheikh d’avoir soutenu durant son absence (1820-1822) un de ses rivaux de la famille Chehab (Abbas).

Dès son retour d’exil. La guerre était déclarée entre les deux Bachir. Soutenu par les trois pachas (Damas, Tripoli et Saïda-Acre) dont dépendait le Mont Liban, Bachir II doit alors affronter une sorte de « coalition druze » formée par les clans Joumblatt et Yazbak, appuyée par certains féodaux maronites (Khazen et Hobeiche). Bachir II défait Bachir Joumblatt qui se réfugie à Damas et meurt exécuté par le pacha en 1825.

Après la liquidation du cheikh par l’émir, l’évêque Youssef Rizk qui reprit la direction de Aïn Waraka en 1825 est parvenu courageusement à gagner la confiance de l’émir et à être proche de lui. Durant leur première entrevue l’émir demanda à l’évêque s’il détenait comme l’affirmait la rumeur le trésor de cheikh Bachir Joumblatt. Ce à quoi répondit le prélat, en lui demandant en quoi cela lui importait puisqu’il n’en était ni le légataire, ni l’héritier. Puis il affirma qu’il ne disposait pas dudit trésor. Son attitude franche voire audacieuse plut à l’émir qui lui accorda sa confiance. Cette bonne relation ne se démentira pas durant toute la vie de l’émir qui prodigua à l’évêque plusieurs présents précieux. Celui-ci lui restera fidèle même après son exil en 1840 et lui rendra visite à Istanbul où l’émir décédera en 1850.

Ce chapitre nous éclaire à la fois sur la forte personnalité de l’évêque et sur sa loyauté. Il a été fidèle à sa relation avec cheikh Bachir Joumblatt et le lien s’est étendu après sa mort à son fils Saïd. Toutefois il s’est adressé à l’émir Bachir II en toute quiétude et transparence et est resté ferme dans ses engagements et ses convictions. Sa crédibilité provenait du fait qu’il estimait n’avoir rien à cacher et qu’il affrontait ses détracteurs avec la force de la vérité, ce qui forçait le respect. C’est cette droiture, cette solidité et sa grande capacité de dialogue et d’adaptabilité, qui l’ont aidé à traverser toutes les épreuves et les dangers.

L’évêque par ailleurs eut un rôle social important. Il se mobilisera souvent au service des plus démunis, notamment pour les gens de Jezzine qui avaient souvent recours à lui, pour les protéger et dissiper les injustices qui pouvaient les frapper. 

Il interviendra surtout positivement pour calmer les tensions entre les deux communautés druze et maronite en 1845.Il essaya dans un premier temps de les rapprocher et d’œuvrer pour la paix civile. Son lien avec les Joumblatt lui donnait cette autorité ce qui n’était pas du bon goût de tout le monde. Un complot fut fomenté en 1845 pour l’éliminer durant sa visite à Jezzine. Il faillit périr, pendant qu’il était en prière sous le figuier devant sa maison (devenue depuis celle du poète Amine Rizk (1890-1983) et puis de son fils l’écrivain et orateur Edmond Rizk). Il échappa par miracle et pardonna à son assassin. Il fit preuve d’un grand courage et d’une grande détermination dans l’adversité. Il prit même la tête d’une partie de l’armée populaire recrutée à Jezzine pour défendre sa communauté.

Ce chapitre évoque cette période trouble de l’Histoire du Liban et le rôle joué par l’évêque durant cette période. Le lecteur pourra retrouver dans certains détails l’atmosphère de l’époque et la grande difficulté d’asseoir à nouveau, la stabilité et l’équilibre politique entre les communautés. L’étude passe également en revue les soulèvements populaires et leur impact sur la société du Mont Liban.

Elle relate surtout la sombre période des combats communautaires entre 1841 et 1860, les massacres et les désastres économiques, politiques et humains qui en résultèrent.

Le cinquième chapitreappréhende les liens complexes entre la congrégation de la Propagation de la foi à Rome (Propaganda Fide) et l’église maronite, à travers les envoyés papaux qui ambitionnaient parfois, de mettre la main et de contrôler les institutions locales. Il aborde également l’exemplarité de l’évêque Youssef Rizk, dans son obéissance à sa hiérarchie et son désir de se distinguer par le droit.

Ce chapitre se penche sur les relations de l’évêque avec les trois patriarches qu’il a étroitement côtoyés, en tant que directeur de Aïn Waraka, à savoir les patriarches Youssef Hobeiche (1823-1845), Youssef el Khazen (1845-1854) et Paul Massaad (1854-1890), ainsi que sur ses rapports avec les autres membres du clergé, notamment les évêques, les prêtres et les moines.

Le patriarche Youssef Hobeiche a œuvré sans relâche, à renforcer les liens avec le saint siège mais également à asseoir, l’identité orientale de l’église maronite et son autonomie administrative, notamment à travers la formation de son clergé au sein du patriarcat. Cette mission qui débuta avec le patriarche Youssef Estephan (1766-1793), se poursuivit avec le patriarche Youssef Tyan (1796-1808) et s’établit définitivement avec le patriarche Youssef Hobeiche (1823-1845) avec l’aide de l’évêque Youssef Rizk qui dirigea Aïn Waraka (1825-1865).

La relation entre les deux hommes fut exemplaire car ils furent condisciples et amis. L’évêque (né en 1780) étant l’aîné du patriarche (né en 1787). Celui-ci fut élu patriarche en 1823(à l’âge de 35 ans). Ils s’épaulèrent mutuellement surtout face aux intrigues politiques malveillantes, aux ingérences et aux malversations. Le patriarche mourut le 23 Mai 1845, après avoir été victime d’une hémiplégie, suite à tous les chagrins endurés lors des massacres sanglants de 1845.

Le rapport de confiance quasi indéfectible entre eux, a appuyé considérablement le rôle de l’évêque, en tant que médiateur et représentant privilégié. Ce lien fut déterminant face aux divers envoyés papaux et surtout aux complots ourdis, par ceux qui profitaient de l’ancien système et que l’évêque Youssef Rizk avait mis au pas (notamment quelques personnes de la famille Estephan qui voulaient récupérer l’école comme bien familial, pour en profiter eux-mêmes).

Le rapport de l’évêque Youssef Rizk et du patriarche Youssef el Khazen fut également une relation de confiance quasi absolue et d’amitié. D’autant plus que l’évêque joua un rôle déterminant dans l’élection du patriarche el Khazen (lui-même élève de l’évêque). Cette élection fut un compromis entre les deux fortes candidatures, celle de l’évêque Boulos Massaad, secrétaire général du patriarcat et celle de l’évêque Youssef Rizk, le plus proche du patriarche Hobeiche. Cette relation privilégiée durera tout le long du mandat du patriarche el Khazen, presqu’une décennie (1845-1854). Deux autres des élèves de l’évêque furent élus un peu plus tardivement également patriarches.

Quant à la relation de l’évêque avec le patriarche Boulos Massaad (élu à la succession du patriarche el Khazen), il apparaît qu’elle fut excellente à ses débuts car l’évêque le considérait comme son fils spirituel mais elle se détériora après, l’élection du second au patriarcat en 1854 et surtout après, la révolte des paysans en 1858 contre les el Khazen (amis de l’évêque).  Les insurgés, parmi lesquels Tanios Chahine, maréchal Ferrand du Kesrouan chassèrent les el Khazen et se saisirent de leurs biens, soutenus implicitement (par défaut) par le patriarche Massaad, lui-même issu d’un milieu populaire. L’évêque appuya toutefois la cause des el Khazen qui avaient tellement servi et défendu l’église maronite. Le clergé issu des couches populaires soutint la révolte tandis que le patriarche maronite laissa faire avant de la condamner et de recourir en 1860 à Youssef Bey Karam pour mater le mouvement de Chahine et rétablir les el Khazen dans leurs droits.

Cette période charnière fut cruciale et mouvementée car elle cumula les soulèvements populaires au sein de la communauté maronite et les luttes intercommunautaires entre les deux communautés maronite et druze.

 Après la chute de l’émirat en 1842, les massacres de 1841 et de 1845, ce sera la période de transition des deux districts (Caïmacamiyatayn) puis les massacres de 1860, l’intervention étrangère et l’établissement du gouvernement autonome du Mont Liban au sein de l’empire Ottoman (Moutassarifiya), qui durera jusqu’à la chute de l’empire et la proclamation du Grand Liban (1 septembre 1920), suite à la délégation menée au congrès de Versailles par le patriarche Elias Hoayek (1898-1931).

L’évêque Rizk reprochera également au patriarche Massaad son manque de réactivité et de fermeté à la suite des massacres de 1860. Il se battra lui-même encore une fois sur le terrain, pour alléger les souffrances, recueillir des aides et protéger les plus faibles. Il dut pour cela prendre plusieurs initiatives vis-à-vis du Vatican et de l’Europe, pour pallier au vide et le lien de confiance fut donc rompu entre les deux prélats.

Toutefois cela n’empêcha pas l’évêque de conserver, le lien de respect qu’il avait pour le patriarche et sa demande de pardon et d’absolution, peu de temps avant son décès, le jour de l’épiphanie en 1865, car « il ne voulait passer laisser l’exemple d’un évêque en désaccord avec son patriarche ». Le récit de son déplacement soudain, de Aïn Waraka jusqu’à Bkerké, après une longue période de coupure et ses retrouvailles émouvantes et édifiantes avec le patriarche, nous sont parvenus. Sentant sa fin proche, il désirait partir en paix avec sa hiérarchie et avec lui-même.

Ainsi l’évêque Youssef Rizk fut considéré comme un évêque exemplaire et le parrain des pionniers de la renaissance dans l’église maronite et la nation libanaise, à travers l’institution de Aïn Waraka.

Parmi ses élèves les plus proches, on comptera le prêtre Youhanna el Hage (qui deviendra plus tard patriarche 1890-1898) ainsi que le prêtre Youhanna el Habib (plus tard évêque et fondateur de l’ordre des missionnaires libanais). Son influence apparaîtra dans leurs écrits et leur correspondance.

Les deux personnalités qui dirigèrent successivement Aïn Waraka l’évêque Youssef Estephan (1797-1822) et l’évêque Youssef Rizk (1825-1865) ont accompli une œuvre fondatrice essentielle. On cite des générations entières d’évêques, de prêtres et de savants qui ont été formés par cette vénérable institution.

Dans sa conclusion, cette recherche explique comment tous ces documents si précieux sont tombés dans l’oubli depuis presqu’un siècle et demi (depuis la mort de l’évêque en 1865). Et surtout combien il était important de les remettre en lumière. L’évêque de Jezzine (el Jezzini ou l’évêque Gesini) a accompagné et encadré par son action cléricale, institutionnelle, politique et sociale, l’évolution d’une grande partie du XIX ème siècle au Liban. L’école de Aïn Waraka ouvrit ses portes en 1797 et les ferma définitivement en 1950. C’est pourtant l’institution qui restera dans l’Histoire comme étant à l’origine du système éducatif moderne en Syrie et au Liban.

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