Saint Charbel est à Courbevoie

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Il est arrivé à petits pas, du haut de sa stature, dans cette église où l’abbé Pierre, un jour, a lancé son appel célèbre. Construite pendant la révolution, par un abbé du même nom, qui périt sur l’échafaud. Il est arrivé à Saint-Pierre-Saint-Paul, sans tambour ni trompette. Il se suffisait à lui-même. Il y avait quatre prêtres, ce dimanche, pour la messe de bénédiction. Parmi eux père Georges, le curé de la paroisse. Rapatrié du Cameroun pour avoir été enlevé par Boko Haram, il reçoit, depuis, le monde entier à sa porte.

Quand Roger lui demanda s’il pouvait l’accueillir, il n’a pas dit oui, il n’a pas dit non. Il voulait attendre. Et les mois sont passés. Un jour le prêtre dit à Roger : Je lui ai trouvé une place. Et le moine maronite est entré, un peu courbé, les yeux baissés et portant une longue barbe. On l’installa près de Saint Joseph.

Pour la grand-messe, il fut placé devant une croix, sur l’estrade. L’évêque qui consacra l’hostie parlait la langue du Christ. Pour le présenter, il dit qu’il était l’un des plus grands thaumaturges et qu’il avait à son actif plus de cent miracles. Pendant que lui, le bras levé et les yeux baissés, sur l’estrade, faisait face aux fidèles.

L’évêque qui dit la messe est aussi fils de prêtre. Comme les membres de sa famille, sur sept générations. Avant de prononcer ses vœux, il écrivit une lettre à la femme qu’il n’épousera jamais et l’enfant qui ne naîtra pas. Il raconte souvent cette histoire : Quand il était petit, il se rendit au couvent où le corps du futur saint était exposé. Encore intact, dans une salle fermée par une grille, dont un moine protégeait l’accès. L’enfant lui dit : Mon père aussi était prêtre. Alors, on le fit entrer. Quand il sortit de là, une foule en délire voulut l’embrasser, le porter. Car il avait touché Père Charbel.

J’ai dit : Comment était ce contact ? Il est resté songeur, un peu grisé. Et nous avons pensé qu’à cet instant, peut-être, est née sa vocation.

Après la messe, timidement, une fidèle s’est avancée. Elle s’est mise à genoux devant cet oriental au bras levé, un peu rustre et qui ne parlait pas sa langue. Derrière elle, boitant et soufflant, un autre français s’est approché. Et nous pensâmes : Ca y est. Saint Charbel est opérationnel.

Nada Bejjani Raad
Née au Liban, Nada Bejjani Raad est architecte et pratique son métier en France depuis 1989. Contributrice régulière dans la presse francophone, bloggeuse à l’Agenda Culturel, elle est l’auteur du roman Le jour où l’agave crie.

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