Hier, dimanche 8 mars 2020, le siège des Kataëb a été visé par des tirs d’armes de guerre en provenance de trois voitures (des tout-terrain de couleur sombre) venant du côté nord. Six balles se sont logées dans le poste du gardien (en béton armé) et à d’autres endroits de la façade est du bâtiment. Personne n’a revendiqué cette attaque. L’enquête est ouverte. 

Pierre Gemayel et d’autres personnalités comme Georges Naccache et Charles Hélou (président de la République de 1964 à 1970) ont fondé les Kataëb en 1936. Ils ont été dirigés par Pierre Gemayel de 1937 à 1984, par Élie Karamé de 1984 à 1986, par Georges Saadé de 1986 à 1999, par Mounir Hajj de 1999 à 2001, par Karim Pakradouni de 2001 à 2005, par Karim Pakradouni et Amine Gemayel de 2005 à 2008 et par Amine Gemayel de 2008 à 2015. Samy Gemayel est leur chef depuis 2015. 

Les Kataëb ne sont plus ce qu’ils étaient. D’un point de vue électoral, ils n’ont pu obtenir que trois députés à l’instar du Courant Marada, du parti social national syrien (PSNS) et du parti arménien Tachnag. Le parti n’a pas su se démocratiser et se moderniser. Il en est réduit à la famille Gemayel et ses partisans. 

La vie du parti n’est rythmée que par les flèches lancées contre le Hezbollah (avec lequel il s’était pourtant allié aux élections législatives de 2005 et dans le premier gouvernement après la fin de l’occupation syrienne) et contre le président de la République Michel Aoun (en contradiction avec la tradition historique du parti de soutenir le président quel qu’il soit) et par les relations en dents de scie entre les députés Samy Gemayel (fils d’Amine Gemayel) et Nadim Gemayel (fils de Bachir Gemayel). À l’occasion du 31ème congrès général, l’an dernier, Nadim Gemayel avait menacé de faire invalider le renouvellement du directoire du parti dirigé par son cousin Samy Gemayel. 

En fait, le parti ne s’est jamais remis de l’entente entre Amine Gemayel et Samir Geagea en 1986 pour écarter Élie Karamé de la tête du parti et placer Georges Saadé à sa place ; et, du soutien de Georges Saadé à l’accord de Taëf et de sa participation, avec Roger Dib (représentant Samir Geagea), au premier gouvernement formé sous l’occupation syrienne.  Élie Karamé et Fouad Abou Nader ont toujours voulu sauver le parti. 

C’est Élie Karamé qui a obtenu en 2005 un jugement du tribunal de première instance frappant d’illégalité les chefs successifs du parti depuis 1989 et leurs décisions (comme celle donc d’accepter l’accord de Taëf) depuis 1987 et nommant l’ancien magistrat Hafez Zakhour directeur provisoire des affaires du parti afin d’organiser l’élection d’un nouveau chef. Malheureusement, Karim Pakradouni fit appel du jugement et trouva un accord avec Amine Gemayel en vertu duquel il pouvait terminer son mandat de chef du parti (qui courrait jusqu’à la fin de l’année 2007), l’ancien président de la République devenant chef suprême et son fils, Pierre Gemayel, prenant la tête des sections régionales du parti. Seuls Solange et Nadim Gemayel, l’épouse et le fils de Bachir Gemayel, purent en fait négocier en bons termes leurs retours. Il aurait fallu à l’époque réaliser un congrès de refondation du parti en y conviant tout le monde, y compris Élie Karamé et Fouad Abou Nader. 

Ce dernier est la personne grâce à qui Samir Geagea n’a pas pu prendre la tête du parti en 1992. En effet, il fit campagne pour Georges Saadé non parce qu’il soutenait ses positions mais pour éviter que Samir Geagea mette la main sur le parti. En effet, c’est Fouad Abou Nader qui avec d’autres membres du bureau politique du parti réclama le retour au Liban de Georges Saadé après que celui-ci eut signé l’accord de Taëf qui reprenait, dans ses grandes lignes, le document proposé par les Arabes et non le projet d’amendement approuvé par les Kataëb. C’est également Fouad Abou Nader qui emmena à Baabda une grande foule de manifestants tenant des drapeaux du Liban et du parti pour protester contre l’accord de Taëf. Au sein des Forces libanaises (FL), Fouad Abou Nader a été chef des opérations entre 1980 et 1982, chef d’état-major entre 1982 et 1984 et commandant en chef entre 1984 et 1985. Au sein des Kataëb, il a été chef des sections régionales entre 1985 et 1986 puis membre du bureau politique entre 1986 et 1989. 

Depuis l’élection de Michel Aoun (à laquelle se sont opposés Nabih Berri, Walid Joumblatt et Samy Gemayel) à la présidence de la République, le parti de Samy Gemayel s’est inscrit dans une opposition systématique. La première partie du mandat du général Michel Aoun est un échec. Le Liban étant aujourd’hui en faillite, Samy Gemayel devrait avoir une démarche plus constructive en proposant de véritables solutions financières et ainsi faire passer le salut du pays et du peuple avant ses ambitions personnelles. La réussite de ce gouvernement en va de l’intérêt national. 

Toutefois tirer sur le siège des Kataëb reste symbolique : c’est attaquer le Liban et s’en prendre à tous les chrétiens. En effet, ce sont les Kataëb qui se mobilisèrent pour faire face aux partisans de l’annexion du Liban par la Syrie entre 1936 et 1945 lorsque le Liban n’avait pas encore d’armée libanaise. Ce sont encore eux qui menèrent en 1958, avec le parti social-national syrien (PSNS) une contre-insurrection pour éviter que le Liban tombe dans le giron de la République arabe unie de Nasser après la fin du mandat du président Camille Chamoun, le général Fouad Chéhab (président de la République de 1958 à 1964) ayant décidé de laisser l’armée libanaise passive. Ce sont encore eux qui constituèrent entre 1973 et 1986 parce que l’armée libanaise était paralysée le fer de lance de la Résistance libanaise et le gros de ses rangs contre les Palestiniens cherchant à faire du Liban une patrie de rechange et contre les Syriens cherchant à réaliser l’anschluss. Les Palestiniens, les Syriens et leurs alliés « islamo-progressistes » attaquaient les Kataëb parce qu’ils sont essentiellement chrétiens. Mais agressés en tant que chrétiens, les Kataëb ont résisté en tant que Libanais. C’est pour cela qu’ils ont gagné un fort appui populaire et ont représenté la majorité des chrétiens. Ce sont les Kataëb qui ont payé le plus lourd tribut avec le martyr de milliers de leurs combattants dont le président Bachir Gemayel, fondateur et chef des FL. 

Enfin, ce sont eux qui ont offert au Liban l’un de ses premiers technocrates : Maurice Gemayel. Et c’est Bachir Gemayel qui a chargé un non-Kataëb, Najib Fayad, de transformer le groupe gamma en think-tank composé de technocrates, le premier think-tank de l’Histoire du Liban, avec pour objectif de penser l’État de l’an 2000. La meilleure réponse des Kataëb à cette nouvelle agression serait de se refonder afin de répondre aux aspirations de la société civile et de la jeunesse. 

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