Un an après : il y a près de 5 000 ans, l’exploitation de l’argent sur les rives de la mer Égée

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Denis Morin, Université de Lorraine

Un an après, Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article.


Un an après leur découverte, les mines d’argent de Thorikos sont loin d’avoir livré leur secret. L’exploration de cet extraordinaire labyrinthe minier continue d’apporter son lot de nouvelles découvertes, et de galeries qui s’étendent dans la colline qui surplombe le rivage de la mer Egée. Par chance, le minotaure reste enfoui dans le mythe de sa légende. Le précieux fil d’Ariane que les chercheurs déroulent s’exprime désormais à travers le témoignage des indices et des traces abandonnées dans les profondeurs de la terre.
Dans ce dédale de galeries, lieu de travail intemporel où règne désormais le silence minéral des ténèbres, la mémoire de ceux qui contribuèrent, à leur manière, à la grandeur d’Athènes a désormais rendez-vous avec l’Histoire.


Dans le sous-sol de l’acropole mycénienne de Thorikos, dominant la rade de Lavrio, en Grèce, la surprise est de taille pour les archéologues miniers de la mission française déployés dans le cadre d’un programme de recherche sur l’exploitation du minerai argentifère ; c’est en effet un inextricable réseau de galeries, de puits et de chambres d’exploitation qui vient d’être découvert.

Le labyrinthe des mines de l’acropole de Thorikos…

Les investigations ont commencé en 2012 et se poursuivent aujourd’hui. Forte d’une dizaine de chercheurs, l’équipe chargée de réaliser l’étude des mines de galène argentifère de l’acropole de Thorikos en Grèce se relaie jours après jours pour explorer, étudier et cartographier un gigantesque labyrinthe de puits et de galeries taillées dans le marbre de l’Attique. Une campagne de prospection initiale avait permis de découvrir sous l’acropole de Thorikos un premier réseau minier. L’exploration est loin d’être terminée.

Ce sont près de 5 kilomètres de conduits souterrains taillés dans les marbres et les schistes de l’Attique qui ont été déjà parcourus et cartographiés. Ils débouchent sur des labyrinthes de chantiers complexes dont la hauteur par endroits n’excède pas 30 à 40 cm ; il s’agit actuellement du plus vaste réseau souterrain exploré dans cette partie du monde égéen (réseau Mythos).

Cette année l’équipe a réussi l’exploration d’un second réseau qui s’ouvre à l’angle du célèbre théâtre de Thorikos mettant en évidence de larges chambres d’exploitation et un chantier profond alternant ressauts et galeries sur une zone minéralisée exploitée à la verticale. Des exploitations qui remontent pour certaines à l’époque mycénienne. C’est la première fois qu’un tel complexe souterrain est exploré et étudié.

L’équipe a également réalisé une cartographie photogrammétrique intégrale de la zone au moyen de drones afin de cerner l’emprise de l’exploitation et repérer d’éventuelles installations de surfaces liées à l’extraction minière.

Les travaux d’investigations souterrains s’intègrent dans le cadre d’un vaste programme de recherches archéologiques sur le site de Thorikos sous la direction du professeur Roald Docter de l’Université de Gand et sous la tutelle de l’École belge d’Athènes, de l’Université d’Utrecht et de l’Éphorie de l’Attique orientale.

Un géosystème : le Laurion

Le district minier du Laurion, où se trouvent l’acropole de Thorikos, occupe le plateau calcaire de l’Attique qui s’étend au sud d’Athènes le long de la côte orientale depuis le Cap Sounion jusqu’à Bromopouzi ; il est limité à l’ouest par la vallée de Keratea. Les mines du Laurion, exploitées dès le IIIe millénaire, constituaient le plus important centre minier de la Grèce aux Ve et IVe siècles av. J.-C et l’un des fondements de la puissance d’Athènes. Le district métallifère s’étend du Nord au Sud sur 15 km de long pour une superficie de 120 km2. Il intègre un potentiel de travaux miniers exceptionnels et uniques qui comptent parmi les plus importants et les plus spectaculaires du monde antique. En surface, les vestiges miniers, minéralurgiques et métallurgiques s’étendent sur plusieurs dizaines d’hectares.

Une cité minière au cœur des investigations

Établi à l’extrémité orientale de l’Attique, le dème de Thorikos s’inscrit dans un territoire marqué par la présence de cet imposant gisement métallifère (plomb, argent, cuivre). Les fouilles de l’École belge d’archéologie ont mis en évidence la complexité et la variété des structures présentes sur le site et ce depuis le Néolithique final.

L’acropole qui domine la cité remonte à la création du site. Le théâtre, monument emblématique, s’inscrit dans une phase ultime de développement de l’agglomération. Cet édifice de 2 700 places construit en pierre est caractérisé par un plan semi-elliptique unique : certains auteurs le citent comme le plus ancien des théâtres grecs (VIe siècle avant notre ère).

L’habitat organisé au cœur de l’agglomération, à proximité du théâtre, de la nécropole et de l’enceinte, présente un caractère urbain avec ses quartiers artisanaux, ses voies de circulation, ses citernes qui jouxtent les ateliers de broyage et de lavage du minerai. Au sommet du mont Velatouri, dominant les ruines, se dessinent les vestiges de l’acropole mycénienne : tombes à tholos, fortifications, traces d’exploitation métallurgique.

Seule l’exploitation minière restait à découvrir pour conférer à ce site toutes les caractéristiques d’un modèle rare permettant de comprendre la genèse d’un territoire et le fonctionnement de la société urbanisée de la Grèce archaïque et antique. Quant au métal précieux extrait, des résidus de coupellation (séparation de l’argent du plomb) ont été attestés dans des niveaux datés la première moitié du IIe millénaire av. notre ère. Il s’agit des plus anciens vestiges de ce type connus dans le monde antique.

« Condamnés à l’obscurité et à l’abattage du minerai…»

On a peine à imaginer aujourd’hui les conditions extrêmes dans lesquelles ces mineurs travaillaient dans ces dédales de galeries. Il règne dans cet environnement minéral une chaleur étouffante. La progression nécessite un effort et une vigilance de tous les instants dans cet espace confiné où le taux d’oxygène doit être en permanence mesuré, surveillé. Les traces d’outils sur les parois, les graffitis, les lampes à huile, les aires de concassage attestent de l’activité omniprésente de ces mineurs de fond. La dureté de l’encaissant et des minéralisations témoigne des capacités extrêmes de résistance de ces ouvriers, pour la plupart esclaves, condamnés à l’obscurité et à l’abatage du minerai de plomb argentifère. Cartographier ces réseaux à la fois exigus, complexes et anastomosés et dont les ramifications se situent parfois à plusieurs niveaux, représente un réel défi sur le plan scientifique.

Une exploitation minière polyphasée

Sous terre, la morphologie et l’organisation des travaux permettent de distinguer plusieurs phases d’occupation. Les mines de Thorikos ont été exploitées en effet à plusieurs reprises, mettant en œuvre des stratégies différentes dans l’abattage et l’organisation des chantiers. Dans ces galeries abandonnées, certaines zones sont restées inviolées depuis près de 5 000 ans. D’autres, inaccessibles ont été intégralement remblayées lors des phases successives d’exploitation.

La progression d’archéologues aguerris, porteurs d’équipements de haute technologie reste difficile : elle s’effectue dans une atmosphère étouffante, confinée, avec une température supérieure à 21 °C. et certaines galeries n’offrent le plus souvent qu’une amplitude limitée.

L’exploration souterraine est complétée par des observations sur l’encaissant et les minéralisations exploitées par les Anciens. L’objectif est de dresser la cartographie métallogénique la plus précise possible du réseau et de pouvoir tirer des conclusions sur les stratégies mises en œuvre. Elles confirment que les travaux se sont développés sur des minéralisations subhorizontales, mais dont la fracturation a compliqué par endroit l’emprise.

Des chantiers préhistoriques exigus et étendus

Les données observées et relevées durant la dernière étape de la campagne de 2015 : céramique, maillets à gorges façonnés en roche volcano-sédimentaire, pointent vers une datation très haute de la phase la plus ancienne (Néolithique Final/Helladique ancien : autour de 3 200 av. J.-C.) des mines. Si les recherches futures permettent de confirmer cette hypothèse, l’horizon chronologique des exploitations minières dans la région de l’Attique et le monde égéen s’en trouvera profondément modifié.

Une architecture géométrique des galeries à l’Antiquité classique

La phase classique est de loin la plus perceptible ; omniprésente, elle est caractérisée par la régularité des tronçons de galeries compartimentées qui quadrillent l’espace. Des fragments de récipients et de lampes et une inscription grecque soigneusement gravée sur une paroi, témoignent de cette période. Conduits taillés à la pointerolle, de profils quadrangulaires, découpage de la roche en panneaux successifs, telles sont les caractéristiques de ces chantiers particulièrement soignés. Les puits situés à l’intérieur de ce réseau mettent en relation les deux principaux niveaux de minéralisations ; d’une architecture géométrique parfaite, calibrés au millimètre, ils restent une énigme tant le soin apporté à leur réalisation est impressionnant. Aujourd’hui, ils ne sont accessibles qu’au moyen des techniques de spéléologie alpine : amarrages, cordes statiques, équipements spécifiques.

Une reprise généralisée des travaux se confirme à la fin de la période classique (IVe siècle av. J.-C.) et à l’Époque byzantine comme en témoignent les traces de foudroyage des galeries antiques et les vestiges de céramiques abandonnés au sol.

Une phase ultime d’exploitation est présente au XIXe siècle. Elle correspond à l’exploitation généralisée de la Lauréotique par la Compagnie française des Mines du Laurium (CFML) qui démarre entre 1860 et 1870. Elle sera suivie de la construction ex nihilo d’une véritable cité minière : la [ville de Lavrio], première ville exclusivement industrielle de Grèce, devenue aujourd’hui un centre industriel moderne, jouant un rôle majeur tant au niveau national qu’européen, à l’image du pôle urbain de Thorikos dans l’exploitation minière antique. Les traces de cette exploitation contemporaine sont encore visibles par endroits dans les mines de Thorikos avec en particulier des galeries taillées à la poudre, creusées à partir de galeries anciennes, à la recherche de nouvelles zones minéralisées.

Une découverte majeure

Le réseau Mythos découvert à Thorikos est exceptionnel dans son développement. Jusqu’ici les archéologues qui étudient le Laurion n’avaient pu explorer une telle amplitude de galeries et de chantiers.
Ces travaux témoignent des aptitudes physiques et de l’habileté de ces mineurs pour exploiter ces gisements complexes et assurer le traitement les minerais en surface dès la Préhistoire. Leur généralisation relève d’une stratégie délibérée à l’origine d’une parfaite maîtrise technologique et spatiale : une concentration exceptionnelle des moyens pour extraire l’argent et un système technique unique dans le monde antique à ce niveau d’échelle.

La campagne d’exploration 2015 apporte des informations inédites sur les techniques minières développées depuis les premiers âges des métaux dans cette zone stratégique de Méditerranée orientale. Les investigations qui se poursuivent n’ont pas seulement pour objectif de cartographier ces vestiges ; elles permettent d’appréhender des techniques minières inédites pour ces périodes très anciennes comme la gestion des ressources minérales, l’abattage, le fonçage et la circulation des matériaux… des travaux entièrement conçus de la main de l’homme et qui anticipent déjà les mutations technologiques du Moyen-Age.

Le programme archéologique de Thorikos associe des laboratoires grecs, belges et français autour d’une même problématique. Ces recherches pluridisciplinaires s’appuient sur des disciplines très diverses : géologie, géomorphologie, métallurgie, archéologie, anthropologie physique, chimie, géomatique.

Denis Morin, Archéologue, Maître de Conférences MCF – HDR Directeur de Recherches, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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