Quelques mois après la visite du patriarche maronite Bechara Raï à Riyad, le rapprochement entre l’Arabie saoudite et les Chrétiens a connu un nouveau réchauffement avec la venue d’un cardinal à Riyad. Des rumeurs persistent sur d’éventuelles constructions d’églises. Le symptôme d’une Arabie saoudite qui s’ouvre ?

Dans le berceau du wahhabisme, tout culte autre que l’islam est – pour l’heure – interdit. Mais pas inexistant. Selon les informations de La Croix, « plus d’un million et demi de chrétiens vivent actuellement en Arabie saoudite. Un chiffre qui double si l’on englobe les chrétiens qui vivent dans les émirats alentour ». Souvent modestes et occupant des emplois domestiques (Philippins, Sri Lankais…), les chrétiens d’Arabie saoudite célèbrent leur culte « de façon clandestine, le plus souvent dans des officines diplomatiques », ajoute le quotidien.

C’est pour essayer de mettre un terme à cette situation que le cardinal français Jean-Louis Tauran s’est rendu du 14 au 20 avril à Riyad. Ce faisant, il suivait de quelques mois la visite du patriarche maronite Bechara Raï, qui avait fait le voyage du Liban jusqu’en Arabie en novembre dernier. Son Éminence Tauran, qui est également président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, a notamment été reçu par le Centre international pour la lutte contre l’idéologie extrémiste (Etidal). Inauguré en mai 2017, ce dernier est doté d’importants moyens techniques, humains et intellectuels pour lutter en Arabie saoudite contre la propagande extrémiste et promouvoir un islam modéré.

La visite fut un véritable succès. Au point que rapidement, la presse anglo-saxonne et arabe a fait état d’une véritable révolution : l’autorisation de construire des églises chrétiennes dans le royaume. C’est le journal « Egypt Independant » qui lance l’information le 2 mai dernier. Depuis, la nouvelle a été abondamment reprise, puis finalement démentie par les autorités vaticanes. En coulisse, les négociations sont toujours en cours.

Une chose est sûre, un accord a officiellement été signé par le cardinal français et le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, le cheikh Mohammed bin Abdul Karim Al-Issa. Le texte prévoit la création d’un comité mixte de coordination composé de deux représentants des deux parties. Le comité devrait se réunir une fois tous les deux ans et ses réunions se dérouleront en alternance entre Rome et une ville choisie par la Ligue islamique mondiale.

Espoirs déçus


Comme l’a fait remarquer le cardinal Tauran, les autorités saoudiennes « sont maintenant prêtes à donner une nouvelle image à leur pays ». Un avis partagé notamment par Théodore II, pape d’Alexandrie et patriarche de toute l’Afrique et du siège de saint Marc, qui avait rencontré le prince héritier saoudien lors de la visite de ce dernier en Égypte.

Le rapprochement entre les autorités saoudiennes et les représentants chrétiens est une bonne nouvelle pour les chrétiens d’Orient en général et ceux d’Arabie Saoudite en particulier. Des rumeurs ayant circulé en 2008 sur de prétendues négociations entre un représentant de Benoît XVI et le roi saoudien pour ouvrir une première église dans le royaume avaient suscité l’espoir chez de nombreux croyants. Ils ont été violemment déçus en 2010, lorsqu’un prêtre catholique français et une centaine de fidèles ont été arrêtés par la police religieuse alors qu’ils assistaient à une messe dans un lieu privé à Riyad. En 2012, le grand mufti d’Arabie saoudite, cheikh Abdul Aziz bin Abdullah, avait d’ailleurs déclaré qu’il était « nécessaire de détruire toutes les églises [chrétiennes] de la région », les Émirats arabes unis et le Qatar en abritant plusieurs.

Réduire le poids du wahhabisme sur la société

En prônant l’ouverture à l’égard des chrétiens, Mohammed ben Salmane démontre une nouvelle fois qu’il entend réformer le royaume de manière profonde et sur tous les plans. Après avoir supprimé les pouvoirs de la police des mœurs en 2016, il a présenté son plan de réformes économiques et sociales « Vision 2030 ». Son principal objectif : rompre avec la dépendance de l’Arabie saoudite au pétrole et réduire le poids du wahhabisme sur la société. « Nous ne ferons que retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions. Nous n’allons pas passer 30 années de plus à nous accommoder d’idées extrémistes, nous allons les détruire maintenant », avait lancé le prince héritier en 2017.

La même année, il a autorisé les femmes à conduire, à créer et gérer leur propre entreprise sans l’autorisation d’un tuteur masculin et à accéder à des postes militaires. En avril dernier, un cinéma a ouvert ses portes à Riyad, une première après l’interdiction des salles de cinéma dans les années 1980 sous la pression des groupes religieux. Le royaume, qui a également décidé de s’ouvrir au tourisme non religieux, a par ailleurs annoncé sa participation au prochain Festival de Cannes.

Ce rapprochement pourrait également contribuer à resserrer davantage les liens entre le Liban par nature multiconfessionnel et l’Arabie saoudite. Les deux pays avaient connu des tensions il y a quelques mois, depuis oubliées. Une crise qui n’en avait pas été une, si l’on en croit la rencontre de Saad Hariri avec le prince héritier MBS à Paris, qui succédait de peu une rencontre bilatérale sur l’avenir des deux pays.

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