Ce soir là tu portais une jupe un peu trop courte. Tu avais bu un verre ou deux. Tu lui avais rendu son sourire. Ce soir là, tu ne savais pas que le pire pouvait arriver. Pas à 16 ans. Pas comme ça. Pas en l’an 2000 quelque chose. Et sûrement pas au nom d’une loi, qui date d’une ère encore inconnue.

Une loi libanaise. Bien de chez nous. Absurde. Obscurantiste. Sadique. 522. Tout le monde en parle. Mais avant que tout le monde en parle, personne n’en parlait ! Parce que parler de sexe, de pénétration, de gifles, de percussions de poings, de sodomie… Ça ne se fait pas chez nous ! Alors chut ! Un violeur s’en tire en épousant sa victime, et pourra ainsi continuer à tirer tous les coups qu’il désire. Au nom du sexe fort !

Un viol… Rapport sexuel imposé à quelqu’un par la violence, obtenu par la contrainte, qui constitue pénalement un crime. Imposé.  Je souris un peu en essayant de récupérer le sketch de Coluche enfouis au fin fond de mes années lycée. « Euh… Monsieur le juge ! Je vous ferai remarquer que violer c’est quand on veut pas. Moi je voulais, moi. » Et puis elle portait un chemisier entrouvert. Et puis, elle m’a souri. Et puis, je voulais juste lui rendre service à cette gamine. Je l’épouse…  Elle… n’a pas le choix. N’a pas son mot à dire. Et n’a incontestablement pas le droit de porter plainte. Se plaindre de quoi ? Se plaindre pour quoi ? La honte est décrassée par une surdose d’hypocrisie. Lucrèce et son suicide. Elle voulait sa liberté… Eh bien ! La voilà ! Et tout ça dure. Et dure. Depuis quand ? Depuis toujours. Depuis que la Terre est ronde, que les hommes sont Sapiens. Que les femmes sont des machines de reproduction. Depuis qu’elles sont au mauvais endroit, au mauvais moment. Depuis que le sexe faible subit. Que la gifle assourdit, que le poing gicle, que le libanais fait semblant d’être civilisé, mais qu’il reste profondément machiste. Sadique. Au nom de l’Alpha !

Un viol. Collectif…. Est commis par plusieurs personnes sur une seule. Nos dirigeants sur nos corps. Nos vies. Nos rêves. Nos espoirs. La politique par légitimité congénitale. La défaite totale de la démocratie. La démesure de la théocratie qui se veut invincible. Ceux qui sont au pouvoir et qui nous ramollissent un peu plus chaque jour. PornHub et accès gratuit à tous ceux qui nous baisent consciemment. Et on continue notre train-train de vie. Au lieu de crier « Au viol ! ». On continue. En toute banalité. Parce qu’on n’y peut plus rien… C’est le viol de notre intellect collectif. De notre droit à la liberté d’expression. De notre devoir de dénoncer. La corruption. Les vols. Le viol, des foules par la propagande politique. Les silences face aux injustices. Les coups montés face aux coups démontés. Et hier. Un jeune se fait arrêter pour avoir dit tout haut ce que nous pensons tous tout bas. Articuler. Dénoncer. Crier. Tout. Devient un crime. Notre crime. La voix des nations, la voix du sang. Au nom de tous les suivants ! (Et de Brel aussi !)

Un viol… Action de souiller un lieu sacré. Une profanation. Défaire l’espace face à la méditerranée. La seule plage publique qui nous restait. Ramlet Al-Baida. N’est plus ! On aura beau croire que nous pouvons gagner ce genre de batailles. On aura beau croire que les travaux vont s’arrêter, que ce seul bout qui nous appartient à tous, va continuer à nous appartenir. On aura beau s’égosiller, clamer, gueuler ! Mais non ! Les travaux d’excavation ont bien eu lieu. La défiguration est totale. Le règne bestial de l’argent face à la seule chose qui était d’ordre publique. Choc et entrechoc. Crise de nerfs et parti pris. Promoteurs et blanchiment d’argent. Après le vide du centre-ville de Beyrouth, le flop de la restauration et de la reconstruction. Un pays qui nous appartient de moins en moins. Le viol de notre terre. Au nom de la mère !

522 viols quotidiens. Résultats. Stress Post-traumatique. Auto-culpabilité. Honte. Silence. Déni. Syndrome de Stockholm. Récusation. Folie. Hystérie. Apathie. Torpeur.  Déshonneur. Récidive. À cor et à cri !  Au nom d’un peuple !

Hala Moubarak

*Le Viol est un tableau peint par Edgar Degas entre 1868 et 1869.

Hala Moubarak
Trentenaire aux cheveux rouges. Hier, un cri. Aujourd’hui, elle est «À cor et à cri ». Ambidextre. Architecte d’intérieur. Enseignante. Designer à ses heures perdues. Dévoreuse de livres d’histoire et de littérature. Mordue d’art. Râleuse au second degré. Vit une relation ambigüe avec Beyrouth. Se promène souvent avec l’énergie d’une étoile. Aime manger de la glace à la vanille. Grande rêveuse idéaliste. Atteinte d’une folie passagère. Fut le chat de Toulouse Lautrec dans une vie antérieure ! Si, si… je vous le jure !

Un commentaire?

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.