Dans ce climat fortement exposé à toutes les intempéries inimaginables, tant naturelles que politiques, les précipitations tombent toujours plus fort sur les toits percés. Et Dieu seul sait dans quel état se trouve la toiture du patrimoine libanais… Les fervents défenseurs de notre héritage n’ont toujours pas repris leurs esprits avec la menace guignant le port phénicien de Minet el-Hosn, qu’ils entendent  sonner le tocsin du côté de Tyr.

L’Association Internationale pour la Sauvegarde de Tyr (AIST) lance de nouveau un cri de détresse dans un communiqué où l’on peut lire que « La ville de Tyr se trouve plus que jamais menacée par le risque de voir ses inestimables ruines antiques ensevelies sous des tonnes de ciment ! ».
Cet appel fait écho à une alerte lancée en début d’année par l’AIST, faisant état de menaces titanesques contre les sites archéologiques de Tyr en raison du tracé de l’autoroute du Sud. Cette fois-ci, la réelle menace advient avec le début des travaux de construction, supervisés par le CDR, du bâtiment du syndicat des pêcheurs, au cœur du port phénicien chargé de vestiges antiques. Décidément, il semble que le monde entier a une dent – voire même tout un dentier ! – contre notre patrimoine, plus spécialement, phénicien.

Les organisations internationales finançant ce projet, à savoir la Banque Mondiale et l’AFD, réalisant la grièveté de la situation, ont  admis qu’il est indispensable de réviser le projet. Ils proposent alors une alternative  garantissant aux pêcheurs l’ensemble de leurs droits : chambres, café, syndicat et marché aux poissons. Cependant le dernier mot revient au CDR … Entretemps, l’illogisme usuel des démarches menées par l’État libanais a voulu qu’une réunion ait lieu entre le CDR, la municipalité de Tyr et l’AIST prochainement, en dépit du fait que le chantier est actuellement fonctionnel.

Ici, nous ne sommes pas devant un projet immobiliser privé mené par un géant financier quelconque qui agit faisant fi des lois et des décisions étatiques, stipendiant par ci ou par là pour noyer le poisson, comme il a toujours été le cas dans la capitale libanaise ; ici c’est un établissement public, qui se doit de conserver et protéger les trésors nationaux, notamment la cité regorgeant de vestiges inestimables et qui fut l’une des plus anciennes métropoles du monde.

Pourquoi ce mutisme et cette indifférence de la part des institutions gouvernementales concernées ? La construction d’un syndicat pour les pêcheurs aux dépends de leur espace d’activités et du Port antique, pôle d’attraction des touristes d’une ville qui fut jadis maîtresse des mers, est-elle indiquée ? Si les vestiges archéologiques sont royalement dédaignés par les autorités, comme le démontrent les crimes quasi quotidiens perpétrés contre ces phares historiques, le secteur du tourisme prôné comme étant le moteur de l’économie libanaise, l’est-il aussi ?

Le plus agaçant, révoltant, enrageant, c’est que les travaux sont déjà entamés. Imaginerez-vous le port de Tyr, ce marqueur fondamental de la ville, avec sa simplicité qui fait toute sa grandeur, avec son ambiance chaleureuse et ses cafés anciens où il fait bon déguster un bon café libanais, se résorber aux dépends de la « modernité » ? Auriez-vous à l’esprit un seul instant que ces pêcheurs, qui reprennent au quotidien les mêmes gestes que leurs ancêtres phéniciens, et qui subsistent dans leurs terres malgré toutes les complications financières inconcevables, disparaître parce que leur Port n’arrive plus à contenir leur bateaux et les pêcheurs ?

« La devise du fait accompli est devenue un pilier de la politique nationale » avance le communiqué de l’AIST. Où est l’État libanais dans tout cela ? Question quelque peu inepte, en effectuant une rétrospective de la reconstruction de cette contrée décimée par une guerre utérine et des hostilités avec l’Etat hébreu qui, elles,  n’ont pas sonné l’hallali contre les vestiges nonobstant l’atrocité et la cécité de leurs projectiles inaptes à faire la différence entre la pierre et les hommes. Mêmes les canons aveugles et sans pitié ont appréhendé nos vestiges avec toute leur gloire et leur splendeur …

La reconstruction au Liban a été un phénomène entièrement inconciliable avec la notion de la conservation de notre patrimoine. Ce qui prouve que l’État a brillé dans son impuissance vis-à-vis de l’anéantissement de l’héritage historique, culturel et identitaire du Liban.  Une preuve irréfutable que les Libanais se sont révélés être les pires prédateurs de leur propre patrimoine.

Mais le passage choc dans le dernier message de l’AIST, avec lequel il est judicieux de clore cet article, en raison de son éloquence, sa gravité, sa brutalité, sa létalité, est le suivant : « Il devient de plus en plus évident que le Patrimoine de Tyr est gravement menacé, comme l’ont constaté l’UNESCO et les diverses missions scientifiques ayant visité la ville de Tyr. Le centre du Patrimoine Mondial de l’UNESCO a décidé d’inscrire Tyr sur la liste du Patrimoine Mondial en Péril et de la rayer de la liste du Patrimoine Mondial si les autorités libanaises ne manifestent pas une volonté de collaboration » … A méditer …

Par Marie-Josée Rizkallah
Libnanews

Crédits Photos : Association Internationale pour la Sauvegarde de Tyr

Début des travaux de construction près du port. Source : ©AIST Début des travaux de construction près du port. Source : ©AIST

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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