Alors que les banques libanaises ont décidé, depuis 2 jours, d’entamer une grève générale, suite à une décision judiciaire leur imposant de rembourser en devises les déposants libanais dans l’intégralité des dépôts, une jurisprudence en la matière, le communiqué publié par l’ABL indique que celles-ci ne pourraient pas s’y conformer en raison d’un manque de liquidité. Les banques reconnaissent donc de facto être en faillite, ne pouvant respecter leurs obligations, une situation dont on se doutait bien depuis l’instauration d’un contrôle informel des capitaux en novembre 2019.

Cependant, depuis 2019, les autorités monétaires ont persisté à éviter l’officialisation d’une faillite pourtant annoncée via diverses mesures, comme le refus de toute restructuration, via une politique de taux multiples profitant aux banques ou aux changeurs, mais une politique toujours au dépend des déposants et en faveur des dirigeants des banques et des actionnaires de ces établissements. Jusqu’à présent, la BdL et les banques ont tenté de reporter leurs responsabilités sur le dos des politiciens – dont de nombreux sont par ailleurs également actionnaires, d’où un conflit d’interêt – mais aussi sur le dos des déposants qui mal-gré épongent petit à petit les pertes des établissements financiers aujourd’hui estimées à des montants supérieurs de 100 milliards de dollars, 5 fois le PIB actuel d’un pays meurtri par une crise financière qui s’est officialisée il y a 4 ans.

Face aux décisions judiciaires en leurs faveurs, les dirigeants des banques libanaises ont toujours menacé de fermer rideau, prenant un peu plus ce pays en otage, pensant toutefois échapper au destin que connaissent leurs compatriotes, disposant parfois d’importantes fortunes personnelles placées à l’étranger.

Cependant, depuis quelques temps, se sont multipliées les procédures judiciaires également à l’étranger, plaçant les dirigeants de banques et leurs actionnaires devant un dilemme, celui de ne pas pouvoir au final quitter, surtout devant une communauté internationale qui est non seulement informée de nombreuses dérives mais qui tient bon, à l’image du FMI qui réclame des réformes, notamment dans le secteur financier et qui refuse toute restructuration faisant supporter l’essentiel des pertes sur les petits et les moyens déposants et non sur les grands déposants et les banques, comme ce que réclame l’ABL, devenu porte-parole de ces derniers et non des déposants comme elle se le réclame pourtant comme son dernier communiqué le prouve.

Au Liban même, la justice longtemps silencieuse en raison d’une culture omerta quand il s’agit des banques ou des politiciens, tente depuis 4 ans d’enquêter sur de nombreuses malversations, détournements de fonds et blanchiment d’argent. Précédemment sans appui international, les enquêtes concernant les manipulation des taux de change ou encore les transferts illégaux lancées en 2020 se sont révélées ne pas officiellement aboutir face déjà aux menaces de grève de ces établissements.

Depuis, le lancement d’enquêtes concernant même le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, accusé avec ses proches de blanchiment d’argent et de détournements de fonds via Forry Associates Ltd. fait désormais pencher la balance dans un autre sens, en raison notamment de l’implication des banques locales et ce qui semble amener à poser la question de dirigeants de banques privées.

Par le passé déjà, les banques libanaises ont versé d’importantes dividendes, 66 milliards de dollars entre 2009 et 2019 à leurs actionnaires donc 46% sont impliqués politiquement et certains sont notamment des décideurs. Ils avaient ainsi tout intérêt à endetter l’état avec des projets parfois sur-facturés, à défaut de transparence dans les appels d’offres et la poule donnait des oeufs d’autant plus d’or que par ailleurs, souvent, les sociétés en charge de ces projets étaient également liés à eux. Ils se trouvaient donc en amont mais aussi en aval et les banques libanaises se trouvaient au milieu, comme intermédiaires d’où l’importance de savoir pourquoi on est arrivé à cette gabegie.

L’autre versant de leur responsabilité est induit par le fait qu’ils avaient le choix ou non d’investir dans la dette publique et ils ont choisi volontairement de le faire au lieu de diversifier leurs portfolios. Durant des années, les banques libanaises semblaient être ainsi attractives, avec des taux d’intérêts élevés en raison d’investissements dans la dette publique mais aussi sous forme de certificat de dépôts de la BdL – d’où des ratios de liquidité qui dépassaient souvent les 50% voire atteignaient les 78% pour un établissement alpha en particulier – qui siphonnaient ainsi les devises de leurs déposants. Les banques, parallèlement déclaraient des profits de plus en plus importants alors que le risque lui aussi augmentait.

De nombreuses questions se posent depuis 3 ans concernant la gestion des dépôts privés au Liban, des questions d’autant plus importantes qu’une faillite aurait amené d’une part à la nomination d’un administrateur judiciaire qui aurait dû à ce moment-là mener un audit financier juricomptable des établissements en état de défaut de paiement – défaut pourtant présent selon les agences de notation depuis ce fameux contrôle informel des capitaux – et parallèlement au gel des biens des dirigeants et des capitaux des actionnaires privés.

Parallèlement les mécanismes de garantie bancaire accordant à l’essentiel des déposants les fonds qui leur étaient dû (75 millions de livres libanaises soit 50 000 USD au taux officiel d’alors de 1507 LL/USD alors que la parité au marché noir, il y a 4 ans ne s’était pas autant dégradée et que les réserves monétaires de la BdL étaient encore importantes) auraient au moins permis de ne pas traverser la situation de crise économique si aiguë qu’on connait aujourd’hui d’autant plus aiguë que les négociations avec le FMI, dont l’aide est nécessaire pour le déblocage des autres aides de la communauté internationale, restent bloquées en raison du refus des banques à reconnaitre leur énorme responsabilité.

Malheureusement, aujourd’hui on n’en est plus là. Cette opportunité, en raison des différents conflits d’intérêt n’est plus possible aujourd’hui.

Cependant, s’il n’est plus possible de sauver la majeure partie des dépôts, reste la question de la responsabilité.

Il est aujourd’hui inadmissible que les dirigeants de banques locales prennent en otage la population qui ne dispose pas de ses fonds depuis l’instauration d’un contrôle informer des capitaux en novembre 2019. Il est inadmissible que les projets actuels des diverses autorités, comme la dollarisation des prix des supermarchés puisse paraître comme un moyen d’obliger les petits déposants à accepter de facto une décôte du peu de fonds qu’ils leurs restent pour assurer simplement leurs moyens alimentaires, un lollar, cette monnaie qui n’existe dans aucun pays au monde, même en crise, représentant 10% à 20% d’un dollar réel.

Aussi, un système bancaire défaillant reste mieux que pas de système bancaire. Il est nécessaire de faire travailler le peu d’économie qui reste dans ce pays et d’assurer le versement des salaires, nécessaires d’autant plus que la perte de pouvoir d’achat est importante et que 85% de la population vit sous le seuil de pauvreté, dépendante de facto d’une aide que leur procure ses membres à l’étranger. Un système de transfert de fond minimum, un service public donc minimum doit être assuré.

Enfin, la question de la responsabilité des dirigeants des banques est d’autant plus grande que le manque de transparence actuel ne donne aucun crédit à la gestion du secteur financier. Aujourd’hui, la publication des résultats de l’audit juricomptable de la BdL semble être reportée aux calendes grecques (alors que la Grèce finalement a réussi à se sortir de sa crise économique), tout comme l’audit des 14 premières banques du pays n’est même plus évoqué alors qu’il devait être en principe achevé en novembre 2022, cela comme préalable à la restructuration du secteur. Grosso modo, aucun progrès n’a été effectué sur ce front pourtant essentiel.

Face à cette grève, seule une nationalisation de la gérance via un contrôle judiciaire temporaire de la gérance des banques, qui devrait amener à la nomination d’un mandataire judiciaire, expert qui devra mener un audit juricomptable des établissements et gérer pour le moment afin de détecter toute fraude, détournement de fonds, abus de biens sociaux comme l’utilisation de biens des banques, donc des dépôts dans un cadre privé de la part des dirigeants et assumer parallèlement la poursuite des activités au bénéfice des déposants semble être donc une solution logique et nécessaire afin de remettre la machine en route ou du moins laisser au moins ces banques zombies permettre aux gens de survivre à défaut de vivre.

Si ces anomalies sont confirmées, la question de la saisie des biens des dirigeants et des actionnaires se posera tôt ou tard, comme elle se pose déjà devant des cours de justice étrangères. S’il n’y a pas d’anomalies, les dirigeants de ces banques et de ces actionnaires pourront alors disposer à nouveau de leurs prérogatives.

En d’autre terme, si les choses avaient été faites correctement, les banquiers et les actionnaires des banques auraient ainsi même demandé à procéder de la sorte et en seraient sorti blanchi. Etre riche honnêtement n’est pas une honte quand on a la tête haute. Quand on en a honte, c’est qu’on a bien à cacher quelque chose.

Mais voila, le Liban n’est pas un état au final de droit et les intérêts entre politiciens, banquiers et autres mafieux de service sont tellement imbriqués qu’ils ont déjà pourri la situation depuis 4 ans que dure la crise. Ils s’attendent ainsi que la communauté internationale finisse par lâcher prise et ouvre grande sa bourse comme elle l’a déjà fait par le passé pour stabiliser un pays des cèdres, en raison de la présence d’une importante communauté de réfugiés palestiniens ou syriens, en raison d’une importance géographique etc… sans comprendre que les choses ont bien changé. Beaucoup de pays arabes normalisent leurs relations avec Israël tout comme normalisent leurs relations avec la Syrie. L’Europe aujourd’hui est engagée en Ukraine, les Etats-Unis sont préoccupés tant par l’Ukraine que par l’émergence de la Chine. Le Liban est bien petit face à ces nouveaux facteurs et le pourrissement ne sert au final qu’à rendre encore plus difficile la situation de ceux qui, bon gré, mal gré, ne profitent pas de la crise comme eux, mais qui en souffrent.

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