Un vieux barbu au visage flou tout de noir vêtu. Un personnage abstrait, énigmatique, immémorial. Mille six cents années, c’est tellement reculé qu’on en a plus trace de mémoire d’homme qui vive à part des écrits patristiques, perles littéraires et théologiques, mais un peu trop élevées par rapport aux goûts du jour. C’est ce qu’évoque de prime abord le nom de l’illustre Mar Maroun.
Paradoxalement, le nom de cette figure multiséculaire est d’une actualité manifeste au siècle actuel. Définissant une communauté itinérante native d’un orient très compliqué, ce nom se réitère dans la vie de tous les jours, et dans tous ses litiges possibles : politiques, ecclésiastiques, scènes de ménage ou de voisinage, anecdotes. Bref, dans tous les contextes probables sauf celui dans lequel il est réellement censé être repris : celui d’un prêtre solitaire amarré à sa foi et sa terre, menant une vie austère de prières et de pénitences, un modèle à suivre.
Les rejetons de ceux qui ont suivi Mar Maroun au cours des siècles, sont un peuple qui a, en grande partie, perdu ses repères, tout comme l’Histoire de ses pères. Il est question de Mar Maroun à l’intérieur du pays au moment de dresser des barrières, de parler de nombres de sièges électoraux et de répartitions des fonctions de l’Etat, et occasionnellement de festivités religieuses, fastueuses ou simplettes, mais certes routinières. Cependant, quand il s’agit d’humilité, de retour aux sources, de foi qui déplace les montagnes et de vie dépouillée, il n’y a pas âme qui vive.
Quant à ceux qui se sont expatriés, ils sont devenus une foule d’individus disparates qui n’a pas su construire d’une manière tangible une diaspora solidaire, enracinée dans son identité, fidèle à son histoire, à ses origines, à sa langue, à ses traditions, à l’instar de la diaspora juive ou arménienne. Leur très haut niveau d’intégration en milieu étranger s’est malheureusement longtemps fait au détriment de leur identité.
Curieusement, l’état des faits décrits un peu plus haut convient également aux Libanais en général, quand il est question du Liban. Peut-être parce que ce que certains désignent par « maronitisme » est intimement lié au Liban et à son Histoire. Il ne faut certes pas généraliser, il existe certes des garants de l’Histoire et de l’Identité, et des initiatives personnelles ou collectives pour promouvoir le rite maronite, mais ceci n’empêche que pour beaucoup, Mar Maroun demeure un ancêtre éponyme d’une communauté dont la plupart ne connait que le nom, accompagné occasionnellement d’une phrase étriqué pour le décrire.
L’Antiquité tardive, époque au cours de laquelle a vécu Mar Maroun a longtemps été considérée comme une époque décadente, avec les persécutions, les invasions, les mouvements hérétiques, les disputes christologiques, l’avènement des barbares … le même cadre de vie que l’on mène aujourd’hui, avec en bonus une invasion d’un autre genre, celle de la technologie. Ce que je retiendrais de ce jour férié dédié à la mémoire du Père de la communauté maronite, c’est de parvenir, au chœur du tumulte, des barbaries, et des invasions en tous genres, à se détacher de tout ce qui nous encombre pour parvenir à effectuer un réel retour aux sources, et pour enfin aller à l’essentiel, où tout ne peut être que paix, extase et sérénité.