Près d’un an après la conclusion d’un accord préliminaire, le Liban, frappé par la crise, est “à un moment très dangereux”, a estimé ce jeudi le responsable de la délégation du Fonds monétaire international (FMI) en déplacement au pays des cèdres, Ernesto Ramirez Rigo avant de poursuivre déclarant que  “la politique d’inaction continue va laisser le Liban dans une crise sans fin”.

Cette délégation, qui a rencontré une partie des dirigeants libanais dont le premier ministre Najib Mikati, le ministre des finances Youssef Khalil, le président de la chambre Nabih Berri et les responsables des commissions parlementaires a ainsi fortement critiqué la lenteur de la mise en place des réformes nécessaires pour débloquer l’aide économique internationale nécessaire face à une crise financière qui ne fait que s’amplifier.

“Près d’un an après la signature de l’accord par Beyrouth, les responsables n’ont pas encore mis en œuvre les changements substantiels nécessaires pour relancer le programme de financement”, estiment ainsi les responsables de l’institution internationale, alors que les projets de réforme de gouvernance, fiscaux, du secteur monétaire ou financier sont au point mort.

Une aide pourtant nécessaire face à une crise considérée comme l’une des pires depuis la moitié du XIXème siècle

Le PIB du Liban est ainsi passé de 55 milliards de dollars à la veille de l’officialisation de la crise financière en novembre 2019 à moins de 20 milliards de dollars en 2023. Si certains s’attendaient à un rebond d’ordre technique, celui-ci ne pourrait pas se produire en 2023, certaines études comme celles de l’IFF prévoyant au contraire une poursuite de la récession économique à hauteur de 7% cette année.

Des réformes bloquées ou dénaturées

Pire les projets de réformes instaurant notamment une libre-concurrence via la liquidation des agences exclusives a été dénaturée de son objectif, soulignent les observateurs tout comme le projet de loi de contrôle des capitaux, une mesure à l’origine demandée par le FMI mais qui offre en réalité une amnistie des crimes financiers commis par les banques et les dirigeants de ces établissements financiers suite aux pressions de l’ABL sur ses relais parlementaires.

Si les autorités libanaises ont déclaré un état de défaut de paiement en mars 2019 et présentés le plan Lazard un mois après, l’application de celui-ci s’est rapidement heurté aux relais des banques libanaises dans les partis politiques, les dirigeants de ces dernières refusant de reconnaitre toute responsabilité.

La refonte secteur financier se heurte donc au refus des banques à reconnaitre leur responsabilité dans une crise majeure de mal-gérance des fonds qui leurs avaient été confiés, me mettant totalement dans l’impasse. Ces derniers tentent ainsi de profiter de la multiplication des taux de change afin de résorber une partie de leurs pertes, qui pourraient dépasser les 151 milliards de dollars selon l’ancien ministre de l’économie Mansour Bteish.

Les experts soulignent qu’aucune relance de l’économie libanaise ne pourra pourtant avoir lieu sans un système financier assaini et qui écarterait les éléments à l’origine de la crise.

Plus de 3 ans après le début de la crise qui a débuté en mai 2019 par une crise de liquidité et par l’instauration d’un contrôle informel des capitaux dès novembre 2019, les banques libanaises traversent depuis une crise de liquidité en devises étrangères. Certaines menaceraient même maintenant d’annoncer publiquement leur état de faillite, chose repoussée jusqu’à présent par des artifices comptables de la Banque du Liban.

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La justice libanaise également bloquée par les ingérences politiques

Les banques libanaises sont par ailleurs depuis confrontées à différentes procédures judiciaires pour détournement de fonds ou encore blanchiment d’argent et font pression sur les autorités politiques via une grève générale hier suspendue pour les suspendre, comme le démontre la lettre du premier ministre Najib Mikati, par ailleurs actionnaire de Banque au Ministre de l’intérieur Bassam Mawlawi, ordonnant aux Forces de l’ordre de ne pas répondre aux demandes des juges dans ces affaires, une manoeuvre que beaucoup considèrent comme étant une ingérence politique dans les affaires judiciaires.

Par ailleurs, les autorités monétaires mêmes sont mises en cause au niveau international avec les poursuites pour détournement de fonds visant le gouverneur de la Banque du Liban en France, en Allemagne, en Belgique ou encore en Suisse. Le premier ministre Najib Mikati lui-même fait l’objet d’accusations similaires à Monaco qui l’accuse d’avoir bénéficié de fonds de la BdL à l’origine destiné à l’achat de biens immobiliers pour les personnes vulnérables au profit de plusieurs de ses entreprises, une affaire évidemment faisant l’objet d’un non-lieu au Liban même.

Une ingérence politique également dénoncée dans le cadre d’une autre affaire, celle de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020 alors que la communauté internationale scrute toute absence de progrès en terme de transparence des procédures locales.

La situation socio-économique continue à se dégrader

Par ailleurs, la détérioration de la parité de la livre libanaise face au dollar s’est accélérée ces derniers mois. La valeur de la livre libanaise est ainsi passée de 52 000 LL pour un dollar début janvier à 140 000 LL/USD, il y a quelques jours à peine, la Banque du Liban poursuivant sa politique de la planche à billet au lieu de chercher à unifier les taux.

Le pouvoir d’achat d’une grande partie de la population libanaise a ainsi fondu. Près de 90% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté et un tiers dans un état de pauvreté extrême. Un tiers des enfants ne mangent plus à leur faim, soulignait un rapport de l’UNICEF.

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