Comme attendu, l’Association des Banques du Liban passe à la contre-offensive et rejette le plan de sauvetage présenté avant-hier par le gouvernement Hassan Diab. 

Et pour cause : ce plan stipule que les actionnaires, qui sont souvent les dirigeants de ces établissements comme toute bonne family business, en perdraient le contrôle avec une perte totale des capitaux qu’ils y ont investi. 

L’ABL a rejeté un plan qui ne fait pas mention de haircut sur les dépôts de leurs clients, chose bénéfique en fin de compte pour la majorité de la population, même si ce plan prévoit une contribution de client au-delà d’un certain solde dans le cadre de la restructuration via un bail-in, synonyme de transformation d’une partie de ces dépôts en action des banques elles-mêmes.

Le communiqué va même jusqu’à demander aux députés de rejeter ce plan, pensant être encore crédibles par rapport à une situation à laquelle ils ont contribué au final et dont ils ont bien profité durant des années en s’attribuant d’importants bénéfices au cours des dernières années et même dernièrement avec l’ouverture d’une enquête sur le transfert de sommes importantes à l’étranger alors qu’un contrôle des capitaux était mis en place pour le commun des mortels. Cela a failli amener à un gel des avoirs de 21 banques et de leurs dirigeants. Cet épisode judiciaire est pour l’heure suspendu.   

En somme, cela signifie que les actionnaires actuels de ces établissements seront remplacés par de nouveaux actionnaires qui ont été lésés au final par la gestion irresponsable des précédents. 

Il convient aussi ici de signaler que les déposants – surtout ceux qui ont une certaine connaissance de la chose économique – doivent également comprendre qu’ils ont bénéficié, durant des années de taux d’intérêt importants, souvent à l’origine de ces fortunes, taux d’intérêts synonymes de risques, ce qui n’était généralement pas expliqué par leurs gestionnaires de compte pour diverses raisons. Par rapport à ce facteur, ces personnes qui seront amenées à devenir les futurs actionnaires de ces établissements devront également responsabiliser les employés par rapport à cela. 
Et cela, les dirigeants des banques ne semblent pas accepter de prendre acte et de porter la responsabilité de ces erreurs. 

Le communiqué de l’ABL sonne par conséquent comme celui de futurs ex banquiers qui pensaient échapper à toute responsabilité et à sauver leurs peaux face au fait qu’ils aient vendu durant des années des produits financiers, – la dette libanaise – qu’ils savaient défectueux en toute connaissance ou par incompétence. 

Ces présidents de banque étaient, par exemple, toujours libres de la politique financière de leurs établissements respectifs. Ils étaient libres d’investir ou non dans les obligations de l’état libanais et de s’exposer ou non au risque souverain. Ils ont été attirés par l’appât de gains faciles – il ne faut pas être très intelligent sur ce type de marché, il faut savoir étudier un business plan pour savoir si une affaire rentable ou pas, ou les marchés financiers et leurs évolutions puisqu’ils attendaient généralement même à ce que les eurobonds arrivent à terme pour prendre leurs gains – jusqu’à ce que le système commence à faillir début 2019, avec l’inversion du cash-inflow.

Dans les 2 cas, cela est grave. Dans les 2 cas, cela signifie que de toute manière, la confiance envers le système financier actuel a disparu et qu’elle est impossible à retrouver. 

Dans les 2 cas, cela signifie qu’un changement de leadership est nécessaire pour retrouver la confiance, un des facteurs fondamentaux dans le système bancaire. 
Les dirigeants des banques ont beau rejeter l’opprobre et la responsabilité de la crise sur les dirigeants politiques et notamment les prédécesseurs de Hassan Diab, l’ABL a également besoin de relais politiques, ceux-là même qui étaient au pouvoir hier. 

Il s’agit du Courant du Futur par exemple dont on connait le lien avec certaines banques ou certains hommes politiques d’influence au Parlement pour faire obstacle à l’application de ce plan. 

Ils disposent également de soutiens dans d’autres secteurs également visés par la restructuration de l’économie libanaise, comme par exemple les fameuses agences exclusives qui sont appelées à être démantelées afin d’éliminer les intermédiaires et donc les gagner du pouvoir d’achat. 


Gagner du pouvoir d’achat est pourtant si nécessaire aujourd’hui pour compenser la perte de la valeur de la livre libanaise face au dollar mais aussi pour intégrer le Liban et l’ancrer à l’économie mondiale alors qu’il rêve de devenir une puissance pétrolière et gazière. 

Last but not the least, l’ABL pourra aussi bénéficier de la complicité de certains hauts fonctionnaires comme par exemple celle du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, son plus vieil ami, et encore celles présentes dans d’autres administrations dont le rôle sera mis sur la sellette par l’application de ce plan : 

Corruption, détournement de fonds, abus d’avantages sociaux, etc… 

Le plan de sauvetage présenté par Hassan Diab prévoit en effet le réexamen des comptes des hauts fonctionnaires, des anciens députés, ministres, présidents de la république, dirigeants et membres des conseils d’administration des banques et des entreprises de l’état sur une période de 30 ans. Personne ne peut pas avoir un cadavre dans son placard au Liban quand il a été à de telles responsabilités. 

Le gouvernement a donc pris de gros risques, celui de se mettre à dos, de nombreux intérêts différents, ce qui ne lui facilitera guère la tâche. 

Pourtant le plan de sauvetage du secteur bancaire est aujourd’hui inéluctable en regard des pertes subies et qui dépassent les 100 milliards de dollars. Peut-être que l’ABL s’attendait à une aide internationale sans condition visant à les renflouer, comme si l’argent de la communauté internationale leur est dû sans avoir à remettre en cause leurs personnes et leurs responsabilités. 

Mais ils semblent aujourd’hui que pour ne pas que les mêmes erreurs soient à nouveaux commises, il faudra désormais des changements non seulement structuraux de ce secteur mais aussi de leadership. 

Tout a un prix, même celui d’avoir commis des erreurs. 

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