Après le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et le commandant des Forces de Sécurité, le Général Imad Othman qui fait désormais l’objet d’une plainte pour entrave à la justice, c’est au tour du procureur de la république, le juge Ghassan Oweidat d’être mis en cause, indique-t-on de source médiatique. Il serait également accusé, comme le général Imad Othman d’entrave à la justice, comme dans le cadre de l’enquête en cours concernant le port de Beyrouth mais dans celui de la Banque du Liban, cette fois-ci par les autorités judiciaires européennes.

Point commun entre les trois hommes, ils sont tous proches de l’ancien premier ministre Saad Hariri qui a annoncé le mois dernier se retirer de la vie politique, même si le procureur de la république serait également lié au président de la chambre Nabih Berri, étant le beau-frère de l’ancien ministre des travaux publics Ghazi Zoaiter.

Le refus du procureur de la république à permettre au juge Jean Tannous à se rendre à une réunion de concertation avec ses homologues suisse et français aurait amené les autorités judiciaires de ces pays à envoyer une lettre de blâme à son encontre alors que certaines sources évoquent la réduction de toute coopération avec les autorités judiciaires locales accusées de collusion avec une classe politique corrompue, mettant à jour un manque de confiance manifeste alors que le volet judiciaire des réformes est considéré comme essentiel au déblocage de l’aide économique internationale.

Dans un tel cas, les négociations avec le Fonds Monétaire International pourraient encore s’avérer plus complexes, la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva ayant déjà rappelé que cette institution ne fournira qu’un programme global au Liban, y compris concernant la lutte contre la corruption, alors que la délégation libanaise comptait plusieurs personnes accusées de détournements de fonds comme le gouverneur de la BdL lui-même.

Ghassan Oweidat serait ainsi accusé d’avoir interdit à la demande du premier ministre Najib Mikati – qui avait comparé les descentes des services sécuritaires auprès des sièges des banques à l’invasion israélienne de Beyrouth en 1982 – au juge Jean Tannous de poursuivre son enquête notamment en l’empêchant d’avoir accès aux comptes de Riad Salamé et de son frère Raja Salamé auprès de 6 banques libanaises dont la Bank Med appartenant également à la famille de l’ancien premier ministre Saad Hariri.

Pour rappel, ces établissements bancaires se retranchent sous le couvert du secret bancaire, estimant ainsi ne pas pouvoir fournir ces documents, avec le conseil de l’ancien ministre des affaires sociales du gouvernement Tamam Salam, Rachid Derbas qui les représente, alors que les experts judiciaires soulignent que cette disposition ne s’applique pas dans le cadre d’accusations de détournement de fonds.

Il avait été déjà fortement l’objet de critiques à l’étranger pour avoir tenté de protéger certains hommes politiques dans le cadre de l’affaire du port de Beyrouth et notamment les anciens ministres des finances Ali Hassan Khalil et son beau-frère Ghazi Zoaiter ancien ministre des travaux publics, deux proches du président de la chambre, une affaire différente mais également très surveillée par la communauté internationale.

Pour rappel également, un autre proche de l’ancien premier ministre Saad Hariri, Hassan Koreytem, ancien directeur depuis 20 ans de l’autorité provisoire du Port de Beyrouth avait également été mis en cause puisqu’il connaissait l’existence à l’intérieur des installations portuaires et les risques induits par le nitrate d’ammonium à l’origine du drame.

Le patrimoine de Riad Salamé dépasse désormais 1 milliard de dollars

D’autre part, les enquêteurs européens notent déjà disposer d’informations “explosives” concernant le patrimoine de Riad Salamé avec la découverte d’un important patrimoine estimé à plus d’un milliard de dollars par la justice allemande. Il s’agirait seulement désormais de tracer ces fonds au Liban afin de permettre la saisie des biens et comptes concernés.

Les autorités européennes estiment ainsi que la fortune du gouverneur de la Banque du Liban dépasse désormais les limites d’un enrichissement naturel depuis sa nomination par l’ancien premier ministre Rafic Hariri en 1993, amenant de facto à des suspicions de détournements de fonds vu la nature des placements.

Face à ces menaces, Riad Salamé souhaite être juge et arbitre de Riad Salamé

Face aux affaires judiciaires qui se multiplient à l’étranger et aux menaces grandissantes au Liban, le gouverneur de la Banque du Liban souhaite voir son dossier être déféré devant la Commission spéciale d’enquête de la Banque du Liban qu’il préside, même si dans ce cadre, les faits qui lui seront reprochés seront examinés par son adjoint, Wassim Mansouri.

Des discussions déjà en cours pour remplacer Riad Salamé

Des discussions avec les Etats-Unis auraient déjà débuté en vue de remplacer Riad Salamé à la tête de la Banque du Liban, indiquent des sources proches de partis locaux. Washington n’aurait d’autre choix que d’abandonner son soutien au gouverneur de la Banque du Liban en raison des faits graves qui lui seraient reprochés en Europe.

On rappelle aussi que les autorités américaines étaient informées depuis fort longtemps des accusations de corruption visant le gouverneur de la Banque du Liban, notamment avec les rapports révélés par Wikileaks qui soulignent les mécanismes de rétro commission lors de l’impression de billets de banque en faveur du frère de Riad Salamé, Raja Salamé et du cousin de Bachar el Assad, Rami Makhlouf. Par ailleurs, les autorités américaines étaient également informées des résultats désastreux de la politique monétaire sur les réserves monétaires de la Banque du Liban depuis les années 2000.

Côté local, on estime que les doutes européens qui visent le gouverneur de la Banque du Liban, le commandant des FSI mais aussi le procureur de la république nuisent à l’obtention de l’aide internationale nécessaire face à la crise actuelle. L’abandon du gouverneur de la BdL, partie visible de l’iceberg, pourrait ainsi limiter les dégâts collatéraux vis-à-vis du système mis en place par le Courant du Futur et ainsi éviter des sanctions économiques et politiques à des personnalités politiques, sécuritaires, judiciaires, – en raison aussi des ingérences politiques dans le cadre de l’enquête portant sur le port de Beyrouth – voire même à des institutions financières privées et publiques dont la crédibilité à l’étranger est déjà largement entamée.

Ce remplacement pourrait intervenir lors de la mise en accusation officielle du gouverneur de la Banque du Liban par un pays européen, cela afin de décharger le procureur de la république de ses responsabilités et ainsi sauvegarder à la fois le général Othman et Ghassan Oweidat de possibles répercussions immédiates.

En cas de refus des autorités libanaises, outre le fait que le Liban pourrait ne plus bénéficier de l’aide internationale, des hommes politiques de premier plan faisant déjà l’objet de poursuites judiciaires locales pourraient aussi faire l’objet de procédures à l’étranger, la communauté internationale estimant alors la justice libanaise trop fortement liée à une classe politique décrite comme corrompue et incapable de réformer un système dont elle a elle-même bénéficié depuis la fin de la guerre civile avec la complicité de la banque centrale et de l’établissement financier local. Cela concerne notamment le cas du premier ministre Najib Mikati lui-même, accusé de détournements de fonds dans le cadre d’un programme de la Banque du Liban à l’origine destinés à l’achat de biens immobiliers pour des personnes vulnérables.

Face à la menace de perdre ses pions au sein de l’administration publique, le Courant du Futur se mobilise

Face aux menaces visant à la fois le gouverneur de la BdL, le général Imad Othman et le procureur de la république, le courant du futur est intervenu, dénonçant, selon lui l’ingérence du Palais Présidentiel dans le dossier mais également en obtenant le soutien au général Imad Othman de la part du premier ministre Najib Mikati après des contacts entrepris via une conversation téléphonique par la tante de l’ancien premier ministre Bahia Hariri.

Le Courant du Futur et ses alliés tentent ainsi de convaincre une partie de la population, qu’au delà des affaires judiciaires, la présidence de la république tente ainsi de démanteler l’héritage de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, dans les bagages duquel est arrivé Riad Salamé en 1993. Parallèlement à l’affaire Riad Salamé, certains proches du courant du futur craignent la réouverture de dossiers judiciaires notamment ceux qui visent l’ancien premier ministre Fouad Saniora et les 11 milliards de dollars dépensés via un financement principalement accordé par la Banque du Liban alors aux mains de Riad Salamé, cela sans aucun contrôle de l’état. Le gouverneur semble donc constituer une ligne rouge préfigurant la révélation de nombreux autres dossiers.

Le seule ligne de défense aujourd’hui est d’estimer qu’écarter les proches du courant du futur au sein des administrations publiques, même si elles sont accusées de corruption, revient à favoriser le Hezbollah et ainsi démanteler la structure de l’État et saper ses institutions légitimes, une accusation visant à convaincre les autorités internationales à cesser toute pression sur les hommes de lige dont ils disposent et qui sont confrontés à des procédures judiciaires à l’étranger mais qui revient à accepter une grande culpabilité dans la situation actuelle.

Côté communauté internationale d’ailleurs, on rappelle cependant que le courant du futur ne jouit plus du soutien même de l’Arabie Saoudite et que les conditions pour accorder une aide financière au Liban, pays tout de même confronté à une importante crise économique liée à la mal-gérance des fonds publics, restent liées à l’assainissement des administrations publiques concernant la corruption dont les dirigeants font face à des preuves qu’on considère désormais comme indiscutables.

Ces accusations sont par ailleurs rejetées par la présidence de la république qui indique soutenir l’indépendance de la justice et qui souligne qu’il ne s’agit pas seulement d’enquêtes et de procédures qui ont lieu au Liban mais également à l’étranger.

Face à ces menaces, certains hommes politiques agitent le spectre d’une nouvelle guerre civile

Afin de tenter de circonscrire l’incendie, certains hommes politiques agitent désormais le spectre d’une nouvelle guerre civile en cas d’arrestation du gouverneur de la Banque du Liban, des mots déjà entendus dans le cadre de l’enquête portant sur le port de Beyrouth, des propos qui sonnent un peu en écho à ceux de la justice allemande qui promet des révélations explosives, alors que la population libanaise demande à ce que la vérité éclate concernant le devenir des fonds dont elle pensait disposer.

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