Monsieur le Président,

Ma lettre ouverte s’adressant à vous publiquement, émane d’une citoyenne convaincue de la nécessité de progresser en vue d’améliorer le quotidien de nous tous français …

Outre le projet que je vous ai soumis à titre personnel début 2018 (cf. courriers de votre Chef de Cabinet en date du 28 février et 18 mai 2018), ma lettre ouverte d’aujourd’hui se veut une lettre de dialogue autour d’un sujet d’actualité qui revient sur le tapis et cette fois-ci sous votre mandat : Doit-on décider de faire participer les prisonniers à cotiser ou payer une partie des frais de leur incarcération ?

Un sujet « tabou » qui refait surface avec la nouvelle proposition de loi, déposée par  quelques élus, début octobre 2018, à l’Assemblée Nationale estimant «  qu’il ne serait pas mauvais que les détenus paient une partie de la facture de leur incarcération. » 

Loin d’être nouvelle, une proposition de loi similaire a déjà été déposée en 2015 par le député LR de l’Hérault (2012-2017), M. Elie Aboud. Une mesure, qui, selon lui, aurait permis de « lutter contre la surpopulation carcérale et d’améliorer les conditions de vie ». N’étaient toutefois pas pris en compte les détenus mineurs ou encore les détenus sans ressources et les plus démunis,  ceux mentionnés à l’article 31, de la loi pénitentiaire de novembre 2009 ; une prévenance d’ailleurs, que d’autres élus UMP déposant à quelques jours d’intervalle, un second texte, n’avaient pas eu.

Au moment où les français se trouvent, aujourd’hui, tous mis à contribution avec les nouvelles taxes et lois, retraités, salariés, familles voire même les étudiants, pourquoi ne pas se poser cette question qui concerne les prisonniers et le coût de leur incarcération ?

Si actuellement, l’Etat prend à sa charge cette dépense, il va de soi de dire que c’est l’argent du contribuable, nos impôts qui participent de près ou de loin à cette couverture financière.  Ne sommes pas tous soumis aux impôts en fonction de nos ressources ?

Faire participer les prisonniers au frais de leur détention ne plaira pas à certains  mais en tant que citoyenne française obéissante et soumise à ces taxes qui nous tombent dessus pour renflouer les caisses de l’Etat, il m’appartient de m’interroger à voix haute sur cette question, en m’adressant à vous,  afin que le débat puisse être public et non seulement un débat d’élus à l’Assemblée Nationale.

Loin d’être une question anodine, mais plutôt une question de fond, une question de responsabilisation et un geste majeur dans la prise de conscience que cela devient de nos jours une nécessité de faire contribuer cette catégorie de personnes aux frais indispensables de leur incarcération…

Le sujet n’est pas nouveau, la presse en avait parlé abondamment en 2015, quand le député, M. Aboud, l’avait présenté à l’Assemblée Nationale, le 28 mai 2015, exposant ses motifs par la surcharge des établissements pénitentiaires et l’insalubrité des logements et des infrastructures et le coût économique et social d’un détenu qui oblige à réexaminer les conditions de détention.

Prévoyant et anticipant, il affirmait en 2015 : «  Je ne veux pas attendre 2017 en étant passif. Je vais aller la défendre. Et je suis convaincu que si ce n’est pas demain, c’est après-demain »
« … Il nous faut en effet repenser entièrement notre système d’emprisonnement en milieu carcéral. Le détenu de 2015 ne peut être assimilé au bagnard du 19ème siècle. Si un individu est jugé et condamné, il doit être également mis en situation de responsabilité vis-à-vis de la société. »  
(http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion2818.asp)

Monsieur le Président,

A l’image de mes compatriotes soumis à l’impôt, chacun à son niveau de ressources, et qui cotisent encore et encore à travers des taxes nouvelles, pourquoi les prisonniers ne seraient-ils  donc pas impliqués, comme nous tous, dans la participation à la prise en charge d’une partie de leurs frais d’incarcération ?

Sans faire partie de groupements politiques, cette question remise à l’ordre du jour, me donne l’occasion de m’exprimer en tant que citoyenne sur la nécessite de débattre ce sujet publiquement …

Qu’on soit élu ou pas, de droite ou de gauche, l’Exécutif en cours de mandat, ne devrait-il pas prendre au sérieux cette question qui va au delà d’une simple récolte d’argent ou d’une charge imposée aux prisonniers et qu’il s’agit de l’état de nos prisons, des conditions de vie des incarcérés et du coups prohibitifs que cela nous incombe ?

Qui dit contribution et participation, dit aussi ressources et moyens … Certes, tous les prisonniers ne sont pas égaux  entre eux ; il y a des catégories une sorte de mini société derrière les barreaux, des niveaux et des échelons dans le classement de leurs crimes et délits et aussi dans leur situation financière, des actifs et des inactifs….

Participer au frais d’incarcération, dans quel but ?

Interrogé au micro de Christophe Bordet dans « les Vraies Voix » du 8 octobre 2018, sur Sud Radio, l’auteur de la proposition de loi de 2015, M. Elie Aboud, revient sur sa proposition en pointant un élément essentiel en comparaison avec la nouvelle proposition de loi d’octobre 2018.  Ce qui la différencie de celle d’octobre 2018, c’est bien la notion du  « prisonnier  solvable » en excluant « les mineurs, les prisonniers majeurs qui sont en attente de jugement et les personnes relevant de l’article 31 de la loi pénitentiaire de 2009, c’est-à-dire celles qui n’ont pas de ressources» pour ne pas « leur faire subir la double peine ».

« Un détenu solvable » ferait donc la différence.  « Aujourd’hui, nous dit-il,  le partenariat public coute extrêmement cher au contribuable. Si l’on dit que c’est une question qui incombe à l’Etat, la puissance publique qui doit construire et entretenir les prisons, on peut tout à fait utiliser ces sommes récoltés pour améliorer les conditions de vie des prisonniers […] Il s’agit d’une vraie proposition de loi, qui devrait avoir sa chance d’être acceptée par l’exécutif actuel […] Aujourd’hui on paye pour tout le monde […]  La technique du pallier ferait bon usage tenant compte des prisonniers défavorables ». 81% des français interrogés à l’antenne de Sud Radio, ce jour là, avaient répondu par la positive.

Faire participer les prisonniers, ne serait donc pas une question de Responsabilisation ?

En comparaison avec le patient de l’hôpital, pourquoi ce dernier paierait des indemnités journalières, même si celles-ci sont pour une bonne partie prises en charge par les mutuelles… » (M. Aboud, 08/10/2018). Sur ce point, je rappelle que nos mutuelles qui prennent en charge le tiers payant ne sont pas gratuites, nous cotisons aussi pour les avoir, même si toutes ne prennent pas en compte l’ensemble des frais restants à la charge du patient…

Commettre un délit c’est un coût pour la société, commis par le prisonnier… Ne devrait-il pas  participer au coût engendré ?  

S’inspirant des Pays-Bas qui ont déjà décidé de faire participer les détenus, et d’autres pays en Europe comme l’Espagne récemment, la  proposition de loi en 2015, avait suggéré d’imposer aux condamnés adultes une sorte de «forfait carcéral» en fonction de leurs ressources. Ce forfait s’élèverait de 5 à 10 euros par jour, « à adapter » nous précise la proposition. « Sachant qu’un détenu coûte 100 euros par jour, cela représenterait 5 à 10% de ce qu’il coûte.» Cette participation aux « frais d’hôtellerie et de bouche » pour les détenus permettrait donc, selon son auteur, de débloquer des fonds pour les prisons pour ainsi « lutter contre la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de vie en prison » estimant que ce dispositif pourrait rapporter 250 à 350 millions d’euros par an, une somme  réinjectée dans l’univers carcéral : pour moitié « vers la construction et l’embellissement des prisons » et pour le reste vers « les activités pédagogiques, le désendoctrinement, la formation, la réinsertion ».

D’autre part, l’auteur de cette proposition de loi de 2015, dans son ouvrage, « Elie Aboud la République au cœur » (Luc Gras, Editions du Mont, publié en 2016) le député (2012-2017) avait étayé davantage les raisons qui l’ont fait aboutir à déposer ce projet de loi qui viserait  « à conforter notre société en essayant d’asseoir la responsabilité de chacun sur cette question et d’affermir la République ».

Monsieur le Président,

Est-il normal, de nos jours, que les seuls à ne pas contribuer à l’effort de financement des prisons soient les détenus ? En 2015, les dépenses de l’Etat pour les prisons avaient été évaluées à 7%.  « Au delà du caractère pédagogique et équitable de la proposition », cet élément ne serait-il donc pas non négligeable ?

« Aujourd’hui, les prisonniers ne participent en rien au coût qu’ils engendrent à la société ». Est-ce normal Monsieur le Président ?  Ne faudrait-il pas repenser notre système d’emprisonnement en milieu carcéral […] pour plus d’équité entre nous citoyens et prisonniers ? « La situation est devenue particulièrement critique dans les prisons de la République et celle-ci ne peut assurer, seule, les coûts de cette surpopulation […] Si un détenu a un coût, il a pour devoir, dans le cadre de sa réinsertion de prendre à son compte la charge d’une partie de son incarcération. »

Monsieur Le Président, Aimer la France, ne passe pas obligatoirement par une répartition d’idées de gauche ou de droite, c’est de l’intérêt commun à nous tous qu’il s’agit. J’ose espérer que ce débat sur cette question s’ouvre aux citoyens que nous sommes.

En espérant que ma lettre ouverte aura écho auprès de vous, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.

Jinane Milelli

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

Un commentaire?