Monsieur le Président de la République Emmanuel Macron,

Je suis un citoyen Franco-Libanais né au Liban il y a 30 ans de cela. Je m’appelle Emmanuel comme vous, mais je porte un nom un peu plus exotique. Je ne porte pas vraiment sur moi les stigmates de la Guerre Civile. A l’époque, le Liban sortait tout juste de ces 15 ans d’horreur qui ont ravagé le pays et sa population. Comme bon nombre de mes concitoyens, j’ai choisi à 18 ans la France pour mes études. C’était la décision la plus importante de ma vie (et je m’en aperçois aujourd’hui, la plus sensée).

Depuis je suis devenu Français, j’habite et travaille en région parisienne, et suis sur le point d’épouser une Française. Ma vie est désormais en France. J’aime ce pays de tout mon cœur. Chaque jour je me lève avec le sourire aux lèvres puisque je suis conscient de la chance que j’ai d’être Français et d’habiter dans ce pays. Vous l’aurez compris, je ne suis pas un gilet jaune ! Malgré cela, je n’ai jamais oublié mon pays d’origine. Ce pays qu’on a longtemps appelé la « Suisse du Moyen-Orient », ce pays qui était parmi les pays fondateurs de l’ONU, ce pays où il faisait bon vivre mais qu’on abat à petits coups, ce pays où, disait déjà Desproges dans les années 80s, les cèdres sont coupés et les enfants ne savent plus chanter.

Maintenant que vous savez d’où je vous parle, passons aux choses sérieuses. Je vous écris cette lettre aujourd’hui pour vous faire part d’une affaire de la plus grande importance. Une affaire qui me tient à cœur, et qui tient au cœur de tout un peuple. J’apprends qu’en réponse à la catastrophe qui s’est abattu sur Beyrouth hier, vous êtes sur le point de vous rendre au pays des cèdres. J’apprends surtout que vous comptiez y rencontrer les responsables politiques du pays. J’admire votre décision et l’acte qui en découle. Vous êtes à la hauteur de l’histoire qui lie ces deux pays. Vous êtes à la hauteur de l’Histoire tout simplement. Tous les Libanais vous le diront. C’est tout à votre honneur.

Cependant, il y a une chose qu’il serait urgent de modifier dans votre programme. Il s’agit réellement d’une question de vie ou de mort pour le pays. Vous n’êtes pas sans savoir que, et M. le Drian l’a rappelé il y a une semaine, le Liban va mal. Le Liban va très mal. Depuis presqu’un an, les Libanais défilent dans les rues. Ils défilent dans les rues pour dénoncer avec force ceux qu’on a coutume d’appeler les « responsables » politiques, mais qui mériteraient plutôt l’appellation d’« irresponsables ».  Depuis, l’économie s’est effondrée. La famine menace. La pauvreté grimpe. Je ne vais pas vous faire un tableau de la situation. Vous la connaissez, j’en suis sûr, mieux que moi. Le pays était au bord de l’implosion. Une explosion est venue lui donner plus rapidement le coup de grâce. 

Je vous conjure de ne pas rencontrer les Michel Aoun, les Hassane Diab, les Nabih Berri, les Gebran Bassil, les Saad Hariri, les Hassan Nasrallah, les Walid Jumblatt, les Samir Geagea, les Riad Salamé, et j’en passe. N’allez pas discuter avec le gouvernement en place. N’allez pas non plus discuter avec la (fausse) opposition. Celle qui était aux manettes il y a quelques années. N’allez pas discuter avec ceux qui ont combattu l’état et ses institutions. N’allez pas discuter avec ces chefs de guerre reconvertis en hommes politique confessionnels. N’allez pas discuter avec ces vermines, ces sangsues, ces parasites, qui pillent sans scrupule le pays depuis des décennies. N’allez pas discuter avec cette dictature à mille têtes qu’est le régime confessionnel au Liban et ses sbires. N’allez pas discuter avec ces professionnels de la corruption, du clientélisme et du népotisme. N’allez pas discuter avec ces incapables ! N’allez pas discuter avec ceux qui sont, malgré tout, capables de laisser plus de cinq ans un entrepôt plein de nitrates d’ammonium à proximité d’une des plus denses métropoles du monde. N’allez pas discuter avec les autorités, je vous en supplie. 

Trouvez moyen de discuter avec le peuple. Répondez aux demandes du peuple Libanais. Allez voir ces déshérités. Allez voir ces nouveaux pauvres sans domicile. Allez voir ceux qui souffrent. Allez voir ceux qui constituent encore un espoir dans le pays. Si vous ne les connaissez pas. Il suffit de demander. Nous avons une liste longue comme le bras de personnes capables de relever le défi existentiel du Liban. Malgré la vermine qui s’est installée aux sommets de l’Etat, le peuple est toujours là. Il n’est pas mort. Il n’a pas capitulé encore. Aidez le pour aider le Liban.

Monsieur le Président de la République, si vous entendez mon cri, faites-moi signe, vous ferez signe à un peuple qui n’aspire qu’à une chose, un peu de dignitié.

Emmanuel Ramia