Le commissaire européen en charge des affaires étrangères Josep Borrell s’est exprimé devant le parlement européen concernant le Liban alors que des parlementaires européens ont déposé un texte prévoyant un régime de sanctions visant la classe politique libanaise en cas d’échec du nouveau gouvernement à mettre en place les réformes jugées nécessaires pour sortir le pays des cèdres de la crise économique qu’il traverse.

Le parlement européen a ainsi appelé les dirigeants libanais à mettre en oeuvre leurs promesses et à permettre au nouveau gouvernement de réaliser les réformes nécessaires alors que Josep Borrell a souligné que le modèle économique du Liban est désormais cassé.

Les députés européens envisagent ainsi d’introduire une série de sanctions ciblées à l’encontre des personnalités libanaises accusées d’obstruer le processus politique local, sans identifier formellement les personnes qui seraient ainsi visées. En ligne de mire, les nombreux actifs que ces derniers possèdent au sein de l’Union européenne qui pourraient alors être gelés.

Ce projet a été présenté par Christophe Grudler, Petras Auštrevičius, Malik Azmani, Izaskun Bilbao Barandica, Dita Charanzová, Olivier Chastel, Klemen Grošelj, Bernard Guetta, Karin Karlsbro, Ilhan Kyuchyuk, Karen Melchior, Javier Nart, Jan-Christoph Oetjen, Samira Rafaela, Frédérique Ries, María Soraya Rodríguez Ramos, Michal Šimečka, Nicolae Ştefănuță, Dragoş Tudorache au nom du groupe parlementaire Renew.

Le texte du projet de résolution du parlement européen

Résolution du Parlement européen sur la situation au Liban

(2021/2878(RSP))

Le Parlement européen,

– vu ses résolutions antérieures sur le Liban,

– vu le règlement (UE) 2021/1275 du Conseil[1] et la décision (PESC) 2021/1277 du Conseil[2] du 30 juillet 2021 concernant des mesures restrictives eu égard à la situation au Liban,

– vu la déclaration faite par le président du Conseil européen le 4 août 2021 lors de la troisième conférence internationale de soutien à la population du Liban, organisée à l’invitation conjointe du secrétaire général des Nations unies et du président de la République française,

– vu les informations actualisées par pays concernant le Liban jointes au rapport annuel de l’Union européenne sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde en 2020, publié le 21 juin 2021,

– vu le rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Programme alimentaire mondial (PAM) du 23 mars 2021 intitulé «Hunger Hotspots: FAO-WFP early warnings on acute food insecurity» (Points chauds de la faim: alerte précoce de la FAO et du PAM concernant l’insécurité alimentaire aigüe), selon lequel le Liban est exposé à un risque de famine,

– vu le rapport sur le cadre pour la réforme, le relèvement et la reconstruction du Liban, adopté par l’Union européenne, les Nations unies et la Banque mondiale en décembre 2020,

– vu la déclaration faite le 28 septembre 2020, au nom de l’Union, par le vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sur la démission du Premier ministre désigné du Liban,

– vu l’accord euro-méditerranéen du 30 mai 2006 instituant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la République libanaise, d’autre part[3], ainsi que la décision nº 1/2016 du Conseil d’association UE-Liban du 11 novembre 2016 approuvant les priorités de partenariat UE-Liban[4],

– vu les résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies du 2 septembre 2004 et du 11 août 2006 réclamant le désarmement des groupes armés au Liban,

– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,

A. considérant que la situation humanitaire au Liban s’est considérablement détériorée depuis l’explosion dans le port de Beyrouth du 4 août 2020, qui a fait 218 morts et 7 000 blessés, pour laquelle aucun fonctionnaire n’a été tenu pour l’heure de rendre des comptes; que, selon une enquête du journal The Guardian publiée en janvier 2021, les 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui ont explosé dans le port de Beyrouth étaient peut-être destinées à la Syrie; que la société qui a fourni le nitrate d’ammonium était semble-t-il liée à des entreprises détenues par trois hommes d’affaires russo-syriens entretenant des liens étroits avec le président syrien Bachar Al-Assad;

B. considérant que l’explosion dans le port de Beyrouth n’a fait que mettre en lumière une situation économique et politique déjà dramatique, qui a donné lieu aux grandes manifestations populaires d’octobre 2019 – connues sous le nom de Révolution d’octobre du Liban –, au cours desquelles les manifestants ont dénoncé la corruption généralisée dans la fonction publique et réclamé une réforme des services publics et des réformes démocratiques laïques; que ces demandes émanaient de citoyens libanais de tous horizons religieux et sociaux;

C. considérant que la Banque mondiale a indiqué que la contraction économique du Liban était peut-être l’une des plus «brutales» que le monde ait connues au cours des 150 dernières années; que l’inflation a atteint 84 % en 2020 et devrait dépasser 100 % en 2021;

D. considérant que le pays sombre dans la pauvreté, un rapport des Nations unies de septembre 2021 révélant que plus de 74 % de la population libanaise vit dans la pauvreté, et 82 % dans une pauvreté multidimensionnelle[5]; que, chaque jour, un tiers des enfants libanais doivent se passer de dîner; que la proportion de réfugiés syriens vivant dans une pauvreté extrême est passée de 55 % à 89 % en l’espace de 12 mois à la fin de 2020; qu’en septembre 2021, 17 % seulement de la population était pleinement vaccinée contre la COVID-19;

E. considérant qu’une dépréciation record de la monnaie libanaise à hauteur de 90 % depuis fin 2019 a permis aux personnes les plus riches du pays de réduire la valeur de leur dette financière, au prix d’une inflation record préjudiciable à la majeure partie de la population; que la commission des finances du Parlement libanais a rejeté le plan gouvernemental de renflouement interne qui aurait permis de préserver l’épargne de 98 % de la population en garantissant les actifs des comptes bancaires présentant moins de 500 000 USD d’épargne; que, face aux critiques formulées par les députés au sujet du plan de redressement, le Fonds monétaire international (FMI) a publié trois déclarations par lesquelles il a soutenu le plan proposé par le gouvernement; que les députés qui ont rejeté le plan de redressement ont un intérêt particulier à défendre les intérêts des banques libanaises, compte tenu de leurs relations en tant qu’actionnaires de ces banques ou avec des actionnaires de celles-ci;

F. considérant que les actions contre les gains obtenus illégalement s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre la corruption et l’impunité, qui est particulièrement nécessaire pour résoudre la crise libanaise;

G. considérant que la décision du Conseil du 30 juillet 2021 a établi un cadre de sanctions ciblées à l’encontre des personnes et entités coupables d’atteintes à la démocratie ou à l’état de droit au Liban; que ces sanctions comprennent une interdiction de pénétrer sur le territoire de l’Union et un gel des avoirs pour les personnes entravant de façon persistante la formation d’un gouvernement ou compromettant gravement la tenue d’élections, empêchant ou gênant la mise en œuvre des plans approuvés par les autorités libanaises et soutenus par l’Union visant à renforcer la responsabilisation et la bonne gouvernance, y compris dans les secteurs bancaire et financier, ayant commis des fautes financières graves concernant des fonds publics ou des actes relevant de la convention des Nations unies contre la corruption, ou ayant exporté des capitaux sans autorisation;

H. considérant que, selon des documents officiels divulgués, les douanes, l’armée et les forces de sécurité ainsi que le pouvoir judiciaire libanais ont signalé à au moins dix reprises en six ans aux gouvernements successifs le risque que faisait courir le stock dangereux de produits chimiques explosifs dans le port de Beyrouth, mais qu’aucune mesure n’a été prise; que des personnalités politiques libanaises de premier plan ont fait obstruction à l’enquête locale sur l’explosion, les autorités ayant révoqué le premier juge d’instruction après que celui-ci a convoqué des personnalités politiques pour interrogatoire et ayant rejeté les demandes du deuxième juge d’instruction visant à lever l’immunité de députés soupçonnés d’implication et à interroger des hauts responsables des forces de sécurité;

I. considérant que Riad Salamé, gouverneur de la Banque centrale du Liban depuis 1993, mène une stratégie consistant à payer les créanciers existants en empruntant toujours plus, ce qui revient à un système de Ponzi, stratégie qui a également entraîné le krach monétaire de la fin de 2019; que M. Salamé aurait bloqué des enquêtes sur des fraudes à la Banque centrale ainsi qu’un audit international nécessaire pour débloquer l’aide du FMI; que des juges français et suisses chargés de la lutte contre la corruption enquêtent sur lui et d’autres proches et collègues depuis juillet 2021 au motif qu’ils auraient détourné des fonds du Liban vers des banques suisses et le Panama et blanchi des millions en France, en Allemagne, en Suisse et au Royaume-Uni par l’intermédiaire de biens immobiliers;

J. considérant qu’à la suite de ses déplacements au Liban en août et en septembre 2020, le président français Emmanuel Macron a présenté une feuille de route détaillée pour réformer le Liban, stimuler l’aide internationale et soutenir l’économie du pays;

K. considérant que, pendant 13 mois, la classe politique libanaise n’est pas parvenue à former un gouvernement et à lancer des réformes structurelles urgentes malgré l’engagement pris par tous les partis politiques de respecter le calendrier proposé dans la feuille de route; qu’un gouvernement a été formé le 10 septembre 2021;

1. considère que la situation actuelle du Liban est une catastrophe d’origine humaine causée par une poignée d’hommes de la classe politique au pouvoir; est extrêmement préoccupé par les dommages irréversibles subis par la population libanaise, notamment la fuite des cerveaux et l’épuisement des ressources humaines, alors que ce capital humain est essentiel au redressement et à la vie démocratique du pays; estime que l’obligation de rendre des comptes, la tenue d’élections libres et équitables et la fourniture de services publics de base doivent l’emporter sur toute considération personnelle au sein de la classe politique libanaise;

2. déplore vivement le refus par la majorité des députés au Parlement libanais et certains ministères de coopérer avec les autorités judiciaires pour lutter contre la corruption et enquêter efficacement sur l’explosion dans le port de Beyrouth; insiste par conséquent sur la nécessité de renforcer l’enquête en cours sur l’explosion et de veiller à ce qu’elle soit indépendante, impartiale et efficace;

3. invite tous les États membres de l’Union, sans exception, à coopérer pleinement aux nouvelles sanctions ciblées de l’Union à l’encontre des dirigeants corrompus et des responsables des atteintes à la démocratie et à l’état de droit ainsi qu’à leurs affiliés au Liban, et à renforcer ces sanctions; invite instamment le Service européen pour l’action extérieure et le Conseil à affecter d’urgence des ressources suffisantes au développement effectif du nouveau mécanisme et à lancer le processus d’inscription des dirigeants corrompus et de leurs affiliés sur la liste; engage les États membres de l’Union et leurs partenaires, tels que le Royaume-Uni et la Suisse, à coopérer à la lutte contre le détournement présumé d’argent public par un certain nombre de fonctionnaires libanais;

4. engage le nouveau gouvernement à présenter de toute urgence un plan de relance économique afin de sauver les services publics paralysés du Liban ainsi que les mécanismes de protection sociale et de soutenir les secteurs de la santé et de l’éducation; demande instamment au gouvernement de relancer les négociations avec le FMI; demande la création d’une task force humanitaire internationale au sein des ministères libanais, sous l’égide des Nations unies, afin de renforcer l’aide humanitaire et l’aide au développement et de superviser l’utilisation des fonds; réclame la poursuite du soutien financier de l’Union et de la communauté internationale aux fins de l’achat de produits de première nécessité tels que carburants, médicaments et céréales, et de la préservation des droits fondamentaux à la santé et à l’éducation;

5. prie instamment l’Union d’envoyer une mission d’observation au Liban plusieurs mois avant les élections législatives de mai 2022; souligne que le calendrier fixé dans la Constitution libanaise doit être respecté et ne saurait être reporté par la classe politique du pays;

6. félicite la société libanaise de s’être organisée, de faire preuve d’un haut degré de résilience et d’offrir une solution autre que la classe politique traditionnelle rongée par les divisions sectaires et la corruption; salue, à titre d’exemple, la coalition d’opposition «L’Ordre se révolte», qui a réuni des ingénieurs ayant participé aux manifestations populaires contre le système politique libanais et a remporté les élections du syndicat des ingénieurs libanais en juin 2021;

7. engage la communauté internationale à apporter le soutien financier nécessaire pour permettre aux forces armées et aux forces de sécurité intérieure libanaises de jouer le rôle essentiel qui est le leur en vue d’empêcher un nouvel effondrement des institutions publiques, de protéger l’aide humanitaire et d’assurer la stabilité;

8. condamne les ingérences étrangères déstabilisatrices et demande instamment aux autorités libanaises de s’opposer fermement aux pratiques, notamment du régime de Bachar Al-Assad, consistant à étouffer les accusations de complicité dans l’affaire de l’explosion du nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth; met en avant la responsabilité particulière du Hezbollah et d’autres factions dans la répression du mouvement populaire libanais de 2019 et dans la crise politique et économique du Liban;

9. s’inquiète du rôle joué par le Liban en tant que plaque tournante de la drogue, notamment des amphétamines Captagon;

10. demande la création d’un tribunal spécial de juges indépendants chargé d’enquêter sur les affaires de corruption directement liées à la crise libanaise impliquant des personnes résidant au Liban ou à l’étranger, et d’engager des poursuites en la matière; ajoute que ce tribunal devrait être habilité à ordonner la détention des personnes impliquées et à les exclure de la vie politique du pays, dans le respect des normes internationales et du droit des accusés à une procédure régulière et à un procès équitable;

11. souligne qu’en raison de la répression totale exercée par le régime de Bachar Al-Assad contre le soulèvement populaire syrien de 2011, le Liban compte la plus forte proportion de réfugiés syriens au monde; met en exergue la responsabilité particulière du régime syrien dans la poursuite de cette situation humanitaire dramatique ainsi que le devoir de la communauté internationale de tout mettre en œuvre pour aider le Liban au nom de la solidarité internationale;

12. charge son Président de transmettre la présente résolution au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à la Commission, aux parlements des États membres ainsi qu’au Parlement et au gouvernement libanais.

[1] JO L 277I du 2.8.2021, p. 1.

[2] JO L 277I du 2.8.2021, p. 16.

[3] JO L 143 du 30.5.2006, p. 2.

[4] JO L 350 du 22.12.2016, p. 114.

[5] Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale, «Multidimensional poverty in Lebanon (2019-2021): Painful reality and uncertain prospects», 3 septembre 2021.

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