Le Liban a toujours été, historiquement, un pays d’émigration. On évoque le cas de 4 vagues d’émigration, une au XIXème siècle, une autre à partir des années 60, ces 2 vagues étaient caractérisés par l’idée de revenir toutefois, puis une troisième vague durant la guerre civile, et encore une plus récente, une 4ème vague, toutes 2 caractérisées par un refus peut-être de revenir. 

Aujourd’hui, la diaspora libanaise est estimée de 4 à 14 millions de personnes à l’étranger pour seulement un peu plus de 5 millions de personnes détenant la nationalité libanaise.

Aujourd’hui, cette 4ème vague qui semble se concrétiser est induite surtout pour des raisons économiques et notamment la crise économique. Avant même l’explosion du port de Beyrouth, le chiffre de 30 000 départs annuels de jeunes diplômés était évoqué en haut lieu. De même avant, cette émigration concernait par exemple des pères de familles qui pensaient ainsi subvenir aux besoins de leurs proches avec leurs salaires obtenus à l’étranger.

Pour ces derniers, cette émigration était liée à l’absence d’un ascenseur social. L’économie libanaise est principalement une économie faite d’entreprises familiales et les familles souhaitent conserver le contrôle quitte à faire l’impasse sur la compétence. L’avancement au niveau carrière voire même l’accession à des postes n’était donc pas généralement effectué sur la base du mérite mais sur la base de réseautage familiaux, voire claniques. Les réseautages politiques existaient même au sein des administrations publiques et en affectaient l’efficacité de ces dernières. Le Libanais avait donc l’impression qu’on pouvait avoir l’opportunité de briller à l’étranger mais pas dans son pays d’origine. 

D’autre part, on ne peut qu’évoquer également un autre problème structurel: des individus sont présents dans de nombreuses professions sans qu’il y ait un marché pour absorber leur nombre, notamment dans le milieu médical ou encore d’ingénieurs, cela en raison d’une orientation professionnelle, notamment dans le milieu scolaire pratiquement inexistant.

La crise économique n’a guère amélioré ces facteurs: si le taux de chômage officiel est estimé à 35% pour les jeunes, les statistiques ne sont pas fiables au Liban. Certains estiment même que 46% de la population active au total se trouvent au chômage, de l’aveu même du président de la république l’année dernière. Par ailleurs, 65% de la population risque de vivre sous le seuil de pauvreté en 2020, soit avec moins de 6 dollars par jour. Autre chiffre inquiétant, le PIB s’effondrerait de 24% selon JP Morgan en 2020, passant de 55 milliards de dollars en 2019 à seulement 33 milliards de dollars pour cette année, induisant encore plus de chômage, plus de difficultés à faire face dans la vie quotidienne et rendant par conséquent, les autres chiffres obsolètes.

Avec l’explosion du port de Beyrouth, ce ne sont plus seulement de jeunes diplômés qui pensent partir mais également des familles, avec femmes et enfants pour s’installer dans des pays étrangers, passant à perte surtout et de manière moindre à profit leur vie antérieure au pays, leurs comptes en banque étant bloqués par le contrôle des capitaux imposé par les banques libanaises. Ils partent donc par désespoir, pour reconstruire leurs vies ailleurs. 

Déjà, des files d’attentes se forment devant certaines ambassades occidentales, comme celle du Canada ou de la France qui ont décidé d’alléger les mesures qui limitaient jusqu’à présent l’émigration libanaise vers eux, même si les restrictions liées à l’épidémie du coronavirus semblent quelque peu limiter les mouvements de population, notamment au niveau de l’aéroport international de Beyrouth.

De même, beaucoup de personnes possédant la double nationalité estiment désormais que partir s’impose. La question aujourd’hui n’est plus de savoir “comment vas-tu?” mais “pourquoi tu n’as pas encore quitté?”.

Ils ne voient plus la possibilité de changement d’un système non seulement économique mais aussi politique qui traverse crise après crise, politique, économique et maintenant aussi une crise aux risques inhérents simplement de vivre au Liban dans l’insécurité. 

Il est encore trop tôt pour quantifier l’impact économique de la 4ème vague qui a débuté de manière imperceptible depuis quelques années seulement. Si on doit se baser sur un modèle, le coût de l’exode de l’exil induit par la guerre civile, coût intangible, avait été estimé à plus de 100 milliards de dollars par une ONG américaine, il y a de cela quelques années, pour des dégâts liés à ce conflit fratricide de 9 milliards de dollars. 

Il est vrai que ce chiffre ne prend pas en compte les rentrées financières induites par ces derniers, qui transféraient des fonds à leurs proches restés au Liban. 

En évoquant ce facteur, beaucoup soulignaient le rôle bénéfique de la diaspora, 5 à 9 milliards de dollars de rentrée en devises étrangères annuellement, ce qui a fourni au Liban, durant des années une bouffée d’air… surtout à son secteur financier alors que pourtant les indicateurs économiques tournaient au rouge, les uns après les autres et en réalité, aggravant toujours un peu plus la situation financière réelle du Liban jusqu’à ce que le système financier finisse par s’effondrer sur lui-même. Elle avait donc, bien malgré elle, alimenté un quasi-schéma de fraude de type Ponzi, induite dans l’erreur par une parité de la livre libanaise stable, voire même par une monnaie locale surévaluée par rapport au dollar durant 25 ans et par des taux d’intérêts élevés. Aujourd’hui, ceux qui ont investi au Liban finissent par le reconnaitre et même le regretter bien malgré eux suite au blocage de leurs comptes, la perte induite par les jeux de parité entre livre libanaise et dollar, voire même par les risques de voir les banques libanaises être mises en faillite.

De l’aveu même de responsables bancaires, tant que le cash-inflow était positif, la situation pouvait perdurer. On faisait croire que tout allait bien alors que tout allait mal en réalité. Seulement aussi, les flux financiers s’étaient inversés début janvier 2019, avec les conséquences et surtout la crise sociale et économique qu’on connait aujourd’hui et l’instauration du contrôle des capitaux qui a suivi dès novembre 2019.

C’est ainsi que le système politico-financier, aujourd’hui responsable de cet exode s’est maintenu durant des années, et cet exode risque également d’induire à ce qu’il puisse également perdurer encore de nombreuses années parce qu’il s’agit au final, du principal bénéficiaire. C’est ainsi que la dette publique était financée si on exclut les conférences d’aide au Liban Paris I, II et III.

Par ailleurs, cette émigration est une émigration de personnes principalement de qualité, des personnes dont les compétences sont nécessaires sur le plan politique, économique et social aujourd’hui, plus que jamais.

Former un ingénieur coûte de l’argent, le voir partir après l’avoir formé et ainsi le voir travailler à l’étranger bénéficie à des économies étrangères plus qu’à l’économie locale, même si ces derniers transfèrent des fonds à leurs proches restés au Liban. 

Le Liban est un pays riche en potentiel de par sa société, son système éducatif, son positionnement stratégique dans une région de passage entre Orient, Occident, voire même Afrique. Cependant, à chaque départ, c’est un peu ce potentiel qu’on gaspille.

En effet, les personnes qui quittent aujourd’hui, nouveaux diplômés, pères et mères de familles, enfants, représentent un potentiel pour reconstruire le Liban sur des bases plus saines. 

Malheureusement, cette émigration impacte évidemment la possibilité de reconstruire le Liban sur des bases saines, surtout aujourd’hui après l’explosion du port de Beyrouth et également sur un projet de société. Un pays qui pousse son peuple à partir est un pays qui a failli puisqu’il n’a pas su offrir les opportunités nécessaires à les garder. Il est peut-être plus que temps de casser ce cercle infernal.