Alors que Hassan Diab a été nommé hier comme prochain Premier Ministre libanais par 69 voix sur 128, quelques remarques tout de même à faire. Le diable est bien dans les détails.

Hassan Diab succède ainsi à Saad Hariri comme locataire du Grand Sérail. Pourtant, si sa candidature a émergé durant cette semaine, il demeure de nombreuses

Tout d’abord, cette nomination ne semble pas de nature à répondre à l’appel de la rue. Hassan Diab, même s’il se présente lui-même comme un indépendant, n’est pas un homme nouveau de la scène politique, ayant déjà exercé un mandat comme Ministre de l’Education au sein du gouvernement Najib Mikati.

Cette nomination semble constituer une tentative de la classe politique libanaise à reconstituer une division ancienne entre 8 et 14 Mars, qui avait en fin de compte disparu, suite à la constitution de gouvernements d’union nationale entre 2014 et 2019 et dont l’absence a permis l’émergence de mouvements dit-civils caractérisés par le rejet de tout ce qui symbolise une classe politique traditionnelle. C’est sur cet élan de la société civile que s’appuient notamment les manifestations qui ont lieu depuis aujourd’hui 65 jours dans les rues libanaises. Ces personnes rejettent des hommes politiques accusés de corruption et d’avoir mené le Liban à la quasi-faillite financière.

Une confiance loin d’être gagnée

Aussi sur le plan de l’instauration de la confiance nécessaire tant interne qu’à l’étranger, les choses sont loin d’être réglées.

Le problème de politique interne avec l’antagonisme entre influences saoudiennes et iraniennes et aujourd’hui l’émergence des mouvements dits de la société civile

Il s’agit également de rappeler que le candidat précédent, l’homme d’affaire Samir Khatib, avait déjà fait face au refus de Dar el Fatwa de le voir nommer à la place de Saad Hariri alors qu’il semblait jouir d’un large consensus en dehors de la communauté sunnite et donc au niveau national. Il disposait donc de la possibilité à ce qu’il puisse constituer un gouvernement d’union nationale.
Face à l’impossibilité de trouver un candidat autre que Saad Hariri, acceptable par la communauté sunnite, ce dernier, souhaitant exclure les partis – d’où la crise politique sous-jacente – de son prochain gouvernement décrit comme devant être un cabinet technocrate suite à la pression de la rue, il convenait pour ces derniers de trouver une alternative:

  • soit un candidat agréé par Saad Hariri et l’ensemble des partis en vue de former un gouvernement d’union nationale,
  • soit un parti composé d’une alliance majoritaire dans le parlement et les partis exclus se retrouvant dans une opposition à cette coalition.

C’est justement ce deuxième scénario que le choix de Hassan Diab confirme face au refus de Saad Hariri de répondre aux conditions d’un gouvernement techno-politique du CPL, Amal et Hezbollah.

Soutenu par une coalition CPL, Hezbollah et Amal, même s’il se considère lui-même comme un technocrate indépendant qui répondrait aux critères des manifestants, il n’aura tout de même pas d’autre choix que de respecter certains impératifs qui lui seront imposés dans la constitution de son gouvernement, à savoir un gouvernement principalement politique quitte à en payer le prix sur un plan interne et externes

Tout d’abord, en évoquant les choix des nominations qui ont eu lieu hier, le conflit entre sunnites et chiites semble aussi être exacerbé. Ainsi, seuls 6 députés sunnites sur les 27 députés de cette communauté religieuse se sont prononcés en faveur de Hassan Diab, qui apparait justement aux yeux d’une grande partie d’entre eux comme le candidat de l’Iran en conflit avec le parrain habituel, c’est-à-dire l’Arabie Saoudite.

Cela risque de raviver les divisions confessionnelles libanaises qu’on avait oubliées avec les risques que cela implique et c’est ainsi d’ailleurs, comment, la presse étrangère se plait à décrire cet homme.

Plus encore, sur un plan local, le manque de soutien pourrait aboutir à des incidents sécuritaires qui pourraient être aggravés par la crise économique. C’est ainsi qu’il s’agit d’interpréter les propos du commandant de l’Armée Libanaise qui évoquait de possibles émeutes de la faim dans les mois à venir.

Faire face à la crise économique: le défi du prochain gouvernement et le nécessaire appel au soutien de la communauté internationale

Le principal défi auquel le Liban fait aujourd’hui face est celui de la crise économique et non celui de la politique et des antagonismes religieux. Au cours des derniers mois, bien avant les évènements de la nuit du 17 au 18 octobre, les libanais ont découvert l’ampleur de l’effondrement économique auquel ils font aujourd’hui face.

Pour résumer brièvement les choses, les chiffres sont catastrophiques avec un taux d’endettement public qui atteint 154% du PIB, le déficit budgétaire qui a, à nouveau, dérapé, atteignant 11.9% en fin d’année, 40% des entreprises menacées de faillite, 30% à 40% de la population active au chômage, l’affaiblissement des banques et des craintes réelles de voir certaines faire faillite ce qui a motivé l’instauration d’un contrôle des changes, non pas par une décision des autorités de tutelle mais des banques elles-même, la crise de liquidité et notamment du dollar qui est en train d’asphyxier les entreprises et donc l’emploi, 50% de la population libanaise totale risquant de se retrouver vivant sous le seuil de pauvreté.

Aujourd’hui, les lignes rouges sur un plan économiques ont toutes été franchies, notamment en raison de l’effondrement des réserves monétaires nettes de la Banque du Liban (BDL) suite à de mauvais choix économiques et aussi en raison du défaut de confiance de la population envers son système bancaire suite à l’instauration de manière bien unilatérale d’un contrôle du capital sur décision, non pas de la banque centrale, mais de l’association des banques du Liban (ABL).

Face à la crise qui ne peut que se durcir, Hassan Diab a pris un pari qui risque bien de le rendre comme étant le Premier Ministre le plus impopulaire de l’après guerre civile. Il sera nécessaire de dévaluer, de décoter une partie de l’épargne publique et de restructurer la dette publique. La question est plutôt de savoir quand et comment que de savoir si on pourra l’éviter aujourd’hui.

Les scénarios économiques sont clairs: Il n’y a plus de solutions internes libanaises, il n’y a plus de fonds disponibles pour cela et seul un appel à l’aide de la communauté internationale pourrait sauver la situation économique libanaise, et notamment à l’expertise du FMI, comme le suggèrent les différents scénarios économiques qui circulent et aussi l’appel à l’expertise de l’institution internationale, officiellement par le Premier Ministre sortant Saad Hariri et officieusement par le Ministre sortant des Finances Ali Hassan Khalil via des sources occidentales.

Etant décrit comme l’homme du Hezbollah par la presse internationale, Hassan Diab pourrait rencontrer certaines difficultés dans l’obtention de fonds visant à relancer l’économique libanaise, avec déjà sus-jacentes depuis un certain temps les menaces américaines de sanctionner ou d’arrêter la coopération avec les institutions publiques dirigées par des membres du Hezbollah, lors de la constitution, en février 2019, du gouvernement Hariri III.

La question sera donc de savoir si Hassan Diab pourra se permettre le luxe de constituer un gouvernement d’une part, en prenant soin de ne pas froisser et de se mettre à dos une partie de la communauté internationale dont l’aide économique est nécessaire, et d’autre part de contenter ses alliés politiques locaux, au quel cas, la durée de vie du prochain cabinet pourrait être relativement courte également.

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