Parmi l’un des premiers pays à avoir reconnu dès 1997, le génocide arménien, le Liban se devait, par solidarité envers l’une de ses communautés, de commémorer le 24 avril 2015, le 100ème triste anniversaire du début des massacres que l’Empire Ottoman a commis.

Il y a en effet, une centaine d’années que l’Horreur a débuté en Europe, un massacre institutionnel qui préfigure ceux qui ensuite suivront, Holdomor en Ukraine des années 20, Holocauste en Allemagne du Reich,  etc…C’est dans la capitale même d’un Empire moribond, Constantinople, qu’il s’agissait d’abord de réduire à néant l’élite culturelle, politique, sociale et économique d’un peuple fier de ses racines, avec l’arrestation puis la déportation et le massacre. Suivront les mêmes actes dans les autres provinces jusqu’à la presque extermination de la population arménienne au sein de l’Empire Ottoman. Il s’agira aussi des mêmes procédés qui viseront les populations pontiques, assyriennes et des autres minorités présentes dans ces mêmes territoires.

Le signe de la solidarité nait avant tout par la souffrance et la convergence historique entre Arméniens et Libanais d’alors. Cette notion est d’autant plus affirmée par les déclarations mêmes des responsables ottomans d’alors, avec le ministre turc de la guerre Enver Pacha qui expliquait en 1916 :

“Le gouvernement ne pourra regagner sa liberté et son honneur que lorsque l’Empire turc aura été nettoyé des Arméniens et des Libanais. Nous avons détruit les premiers par le glaive, nous détruirons les seconds par la faim”.

Ces paroles se confirmeront par l’Histoire commune, et le destin commun auquel nos anciens ont du faire face.

Au Liban, où l’on accueillera aussi les survivants de ses massacres, le peuple a souffert: 200 000 victimes pour une population totale de 600 000 personnes durant la première guerre mondiale, mortes de maladies ou de faim en raison du blocus imposé à la montagne libanaise par le gouverneur ottoman Jamal Pacha avec la collaboration de certains habitants du Liban. On préfèrera à ces 200 000 morts essentiellement Chrétiens, quelques pendus de la place des canons parce qu’appartenant à toutes les communautés, et cela au nom de la création d’une nation. A ce concept de nation, il est nécessaire de remarquer que 100 ans après, aussi dans le cas libanais, on en est loin, nous ne sommes pas un peuple mais toujours 18 nations présentes sur un territoire qui ne partagent que quelques fois, seulement même, une langue.

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Alors que les Arméniens commémorent le 100ème anniversaire du génocide des leurs, le Liban peine à se souvenir des morts et des massacres tant de son histoire ancienne ou même de son histoire contemporaine et des 170 000 morts de la guerre civile de 1975.  Le Liban est la terre d’accueil des minorités persécutées du Moyen Orient, et cela est d’autant plus criant aujourd’hui que se préparent en Orient, de nouveaux massacres avec Daech à nos portes. Un manquement à ce devoir est une négation de notre Humanité et du rôle que l’on se doit d’avoir.

Certains aujourd’hui, alors que le Pays des Cèdres souhaite honorer sa minorité arménienne et la soutenir dans sa commémoration du massacre de ses aïeux – elle qui garde une mémoire vivante bien après le décès de ses témoins directs – certains refusent de participer à ce travail de mémoire, sous des couverts religieux ou idéologiques, comme certaines organisations sunnites de Beyrouth qui appellent (article en anglais) les écoles à ne pas participer au jour férié du 24 avril 2015 pourtant décidé par le Ministre de l’Education.

Estimant la réalité du massacre non conclusive et s’alignant sur les théories turques actuelles de dénégation, ces organisations contreviennent aux principes fondateurs du Liban. Si la communauté arménienne est bien présente et vivante au pays des Cèdres, c’est avant tout parce qu’il y a une réalité, celle d’un génocide commis, qui a forcé les survivants à venir se réfugier sur notre territoire.

Dénier cela est équivalent à devenir complice d’un crime contre l’Humanité, 100 ans après. Il s’agit là d’un manquement à la solidarité intercommunautaire et un échec de la notion de peuple libanais et qui démontre que ce qu’on appelle “Libanais” n’est qu’une question de territoire et de langue et non d’aspiration à vivre ensemble et à coexister. On y retrouve les germes de la discorde.

Les Arméniens eux, se souviennent d’un massacre subis par les leurs, ils réclament justice, ce qu’on n’a jamais obtenu au Liban, depuis 100 ans. Ils devraient être notre modèle et nous devrions être fiers d’eux. Les Libanais n’ont jamais demandé justice, ils ont fait l’impasse sur leur Histoire, ils ont oublié au nom de la coexistence, pour ne pas heurter l’autre.

Mais peut-être alors est-il temps de changer de modèle de coexistence et se souvenir des morts et des disparus de notre Histoire récente, non pas pour stigmatiser l’une ou l’autre des communautés mais pour ne pas recommencer les fautes des nos anciens et se rappeler de la mémoire et des souffrance de nos aïeux. Un peuple sans Histoire est un peuple sans Avenir.

Sur le Net

Grande Guerre : la famine oubliée qui tua un tiers des Libanais, un document signé par France24

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