Nous nous sommes abattus sur l’île comme Napoléon sur La Valette, dressée au bout de sa péninsule, sur la mer, comme un défi. Au Sud de l’île où Saint Paul échoua après un naufrage, convertissant tout l’archipel à sa religion. La Valette, du nom du grand maître assiégé par les ottomans au XVIᵉ siècle et qui enregistra là, pour la chrétienté, sa plus grande victoire. Le hasard voulut que, deux siècles plus tard, ce soit Napoléon, un autre Français, qui expulsa de l’île les chevaliers de Malte.

Ici, les églises, en façade, arborent souvent deux horloges. L’une pour indiquer l’heure aux fidèles et l’autre arrêtée. Destinée au diable.

A l’entrée de la ville, le Parlement, construit par Renzo Piano, s’émiette et se parcellise comme pour indiquer l’état qui va suivre ou celui d’avant. Dans un pays où le temps n’a pas de prise et où le changement est la condition pour durer. Il pleut depuis ce matin, mais les tempêtes, a dit Oreste, notre guide, ne durent jamais ici longtemps. Flegmatique comme un britannique, il parle des colons d’un air détaché. Ni révolté, ni soumis, quand il s’agit d’évoquer, depuis les Phéniciens, les douze envahisseurs. Un navire « jamais coulé » disait, de Malte, Churchill et qui n’a nul besoin de lever l’ancre, lui que toute la Méditerranée a déjà pris d’assaut. Seul le diable, ici, se tient à carreau, affublé d’une horloge pathétique.

Toute la nuit la pluie a coulé sur la pierre ocre, les œillets d’Inde, les oliviers, les agaves et les figues de Barbarie. Les Maltais parlent un arabe qui a vu du pays. Qui vient de Tyr et de Sidon. Ce sont des phéniciens de sang-mêlé, croisés avec des chevaliers et dont les femmes aux yeux bleus ressemblent aux madones de Botticelli.

En chemin vers l’île d’Ozo, Oreste a dit qu’il nous fallait imaginer Saint Julian sans la pluie. Vaguement vexé, en parlant de Chemchiya, « ensoleillée » en maltais, d’entendre nos rires sarcastiques. A Dweyra, il a indiqué le lieu où l’an dernier se dressait encore la Fenêtre d’Azur, une arche emblématique emportée par les flots.

C’est une île en arrêt entre l’Europe et l’Afrique où se posent en chemin les oiseaux migrateurs. Un point d’ancrage, un refuge où les temples mégalithiques sont les plus vieux du monde. Des temples couleur de miel pour des déesses fécondes, faits de menhirs et de courbes, de spirales inversées et où le culte à la fertilité exprime la soif d’éternité. La Vénus de Malte aux formes généreuses n’est que la contraction de ces temples dont le plan comporte souvent une tête, des absides, deux supérieures et deux inférieures et dans l’axe, oserait-on dire, une entrée. Ils témoignent de l’effort démesuré déployé par l’homme, dès le Néolithique, dans sa quête de spiritualité. Plus au Sud, à Marsachlokk, nous voilà à Carthage, où Rome n’est pas passée. Son port de pêche, ses barques bigarrées, l’œil sur la proue, son marché et ses tavernes où nous avons mangé du poisson au Caroubier.

Aux dernières nouvelles, l’ouragan Leslie se rapproche du sud de l’Europe et on déplore douze morts à cause des inondations. « Nous nous retrouverons au paradis, peut-être », dit Oreste, à l’heure des adieux, dans un pays qui fut régi par un archevêque, un inquisiteur et un grand maître.

A l’avant de l’île, La Valette, épée sortie de son fourreau. Et derrière me direz-vous, qu’y a t-il derrière Malte ? Il y a Mdina, la ville endormie qu’on a réduite au silence et tournées vers le large, Ras id-Dawwara, la baie de Fommir-Rih et l’île de Filfla. Derrière Malte, il y a dans une fenêtre d’azur, un soleil qui se couche et l’orage qui s’en va.

Nada Bejjani Raad
Née au Liban, Nada Bejjani Raad est architecte et pratique son métier en France depuis 1989. Contributrice régulière dans la presse francophone, bloggeuse à l’Agenda Culturel, elle est l’auteur du roman Le jour où l’agave crie.

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