Il est possible d’ores et déjà de tirer quelques éléments d’enseignement de l’épidémie du Covid-19.

Née “officiellement” et provisoirement en Chine, celle-ci pourrait bien être apparue ailleurs dans le monde sans que l’on en prenne conscience, ses premiers symptômes et les décès liés à cette maladie ayant été attribués à la grippe. L’extrême rapidité de son expansion pourrait s’expliquer par cet élément, le virus s’étant disséminé silencieusement et sous la couverture de la grippe saisonnière. Cela veut dire qu’il faut absolument réévaluer totalement l’ampleur de l’épidémie, cela veut dire aussi que cette maladie couve et se développe dans beaucoup plus de pays qu’on ne le pense, que des personnes y sont affectées et en meurent sans que l’on en prenne ni conscience ni connaissance, tant l’attention et la détection sont concentrées exclusivement sur les nouveaux cas susceptibles de se développer.

De plus, le virus mettant quatorze jours à incuber, les chiffres faisant état du nombre de patients infectés exprime en réalité les cas connus à J -14. C’est dire que nous avons systématiquement deux semaines de retard dans l’évaluation de l’état d’avancement de l’épidémie pour les cas connus et que les moyens définis pour juguler puis enrayer la maladie ont toujours deux trains de retard, compte tenu de sa vitesse de progression. C’est ce qui expliquerait pourquoi il faudrait multiplier les chiffres connus par 27. Il faudrait en conséquence anticiper la définition des moyens à mettre en œuvre en fonction de ce facteur.

Pour en revenir au lieu d’éclosion de la seule certitude qu’on peut affirmer est que c’est en Chine qu’on en a pris conscience et connaissance, que le Covid-19 a été nommé et analysé jusque dans son séquentiel génétique.

Le monde occidental, du haut de son mépris des pays coloniaux, a attribué le Covid-19 au manque d’hygiène, au quasi état encore sauvage de la population chinoise qui vit en promiscuité les animaux les plus répugnants.

Et plutôt que de prendre la mesure du danger qui se fait jour, ce même monde a passé de précieuses semaines à dénigrer les soubresauts des autorités chinoises face à une maladie jusqu’ici inconnue, puis à ses méthodes dictatoriales pour l’affronter une fois celle-ci bien identifiée. Plutôt que d’en tirer des leçons pour lui-même et de mettre sur pied les moyens de prévention et de lutte du tsunami à venir, il a décrété, par on ne sait quelle science infuse, que cela ne pouvait lui arriver, lui si civilisé, si imbu de lui-même, de sa culture et de sa toute puissance.

Quand bien même l’Italie fortement touchée à son tour criait gare, ce n’était là que sous culture de la discipline civique et manque de fiabilité économique des italiens en particulier et de ces sud européens en général.

Malgré l’ampleur de l’épidémie en Chine du fait de la densité de sa population, des voyages démultipliés vers toutes les régions du pays avec les commémorations du nouvel An chinois, du manque de connaissance de cette nouvelle maladie et de sa véritable mesure, les autorités chinoises ont su la juguler rapidement puis en venir à bout au bout de deux mois, du moins dans cette première phase, une fois la maladie identifiée et sequencée. Une des raisons essentielles en est que la Chine s’était de fait donnée auparavant les moyens de l’affronter : du personnel médical qualifié et en nombre, des moyens matériels et techniques à la hauteur des enjeux.

Nombre d’experts occidentaux se moquent régulièrement de la Chine avec ses équipements en “surnombre”, signe de la planification bureaucratique et de la gabegie qu’elle génère. Pendant cette même période, sous la férule du néolibéralisme, les différentes Institutions financières financières internationales n’ont cessé d’exiger des économies et des restrictions budgétaires, années après années, depuis plusieurs décennies. Ces politiques ont abouti à un système à flux tendu sur les personnels comme sur les moyens techniques et matériels, dans le public comme dans le privé. Productivité et restrictions de toutes sortes ont été les maîtres mots de cette période, avec à la clé son chômage, son travail en miettes, ses burnouts et ses antidépresseurs, ses services publics systématiquement dénigrés et rendus exangues, leurs fonctionnaires présentés comme paresseux, pléthoriques, payés à ne rien faire.

Les hôpitaux dans le monde occidental sont mis à mal, avec de moins en moins de médecins, de personnels soignants toutes catégories confondues, de lits, de moyens matériels et équipements techniques. Tout doit être à flux de plus en plus tendu. La moindre élasticité doit être traquée et éliminée pour faire toujours plus d’économies, économies qui devront être orientées vers le profit privé.

L’hôpital public concentre et symbolise, avec ses méfaits à tous les niveaux, toute la politique du néolibéralisme, sous la dictature des fonds de pension américains, de l’industrie pharmaceutique, du FMI et des Institutions financières internationales.

L’hôpital public est aujourd’hui dans un tel état qu’il n’arrive même plus à gérer le quotidien.

L’exigence de la politique du flux de plus en plus tendu se répercute même sur les patients dont les séjours sont toujours plus écourtés, les interventions ambulatoires (c’est joliment dit comme toujours quand il faut faire avaler une saloperie) de plus en plus fréquentes et appliquées maintenant dans quasiment toutes les spécialités. Les personnels sont au bord de la rupture, et jusqu’aux simples masques chirurgicaux, tout est rationné. Il en résulte que la moindre crise ébranle et fissure ce système auquel les pouvoirs publics ont fait perdre toute élasticité.

Lorsque que l’on construit des infrastructures, des bâtiments, des routes, des ponts, il existe des normes liées à la géologie notamment. Lorsque l’on se situe dans une région sismique et selon la densité prévisible de ses secousses, les normes exigent de l’élasticité de plus en plus marquée aussi bien pour les matériaux que pour les techniques mises en œuvre. Ce principe est devenu quasi naturel.

Cela est nécessaire pour que l’ouvrage ainsi construit puisse encaisser les chocs produits par les secousses sismiques. Plus cette élasticité est forte, mieux l’ouvrage absorbe le choc subi.

Le néolibéralisme pratique l’exact contraire de ce principe. L’exigence du flux de plus en plus tendu exclut toute élasticité, rendant ainsi les entreprises et établissements publics totalement fragilisés face à tout contretemps ou événement brutal, toute souplesse étant pensée, mise en œuvre et réservée strictement et exclusivement au profit maximal. Il devient dès lors tout à fait inéluctable que l’irruption d’une épidémie inconnue et non planifiée crée la panique, la désorganisation, et l’épuisement des personnels du système hospitalier. Et pire, le drame de conscience de ce personnel qui non seulement regarde, impuissant, le patient mourir, mais surtout devoir choisir qui va mourir et qui essayer de sauver.

C’est cela le drame odieux que nous imposent, dans les pays riches, les pouvoirs publics sous l’emprise et au service des puissances financières.

La pandémie du Covid-19 n’aurait pas créé cette panique générale induite de plus par une gestion totalement irresponsable de dédain, de mépris et d’autosuffisance de ces classes dominantes à l’échelle mondiale.

Scandre Hachem

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