Renoncer ou Résister ?

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Depuis plus d’un mois (24 janvier 2017), François Fillon victorieux de la primaire de la droite et du centre, est confronté à une succession d’attaques, peu ou prou justifiées, selon l’appréciation de chacun. Mais au-delà des considérations des uns et des autres, il est soumis à ce dilemme auquel est confronté tout décideur politique, face à une violente contestation avec le choix, soit de jeter l’éponge, soit de s’accrocher et de croire à sa bonne étoile et son bon droit. L’issue n’étant jamais garantie.

Certains préfèrent limiter les dégâts et quitter à temps (notion approximative et assez subjective) et d’autres se raidissent et atermoient, en espérant que la tempête passera. C’est une question de tempérament et de concours opportun de circonstances. Il y va autant de la chance, du hasard ou de la fatalité, que de la volonté et de la détermination. On sait de toute manière qu’on prend des risques en se rendant visible dans l’espace public et puis c’est un processus qui s’enclenche et au-delà d’un certain seuil, soit vous porte soit vous engloutit. Il y a dans le pouvoir quelque chose d’irréversible et d’impitoyable.

Depuis un siècle en mars 1917, le dernier tsar de Russie, Nicolas II cédant à un malentendu et une pression de quelques militaires de son entourage, a abdiqué au profit de son frère Michel qui déclina l’offre, ce qui finit par précipiter la sainte Russie, dans une révolution sanglante et une rupture idéologique avec le reste du monde qui dura plus de sept décennies (1917-1989).

Quand on revoit les faits, on se rend compte que souvent cela n’a tenu qu’à un fil et que l’Histoire aurait pu être changée. Mais nul ne peut le prévoir à l’avance. Et une fois le seuil franchi, on ne peut plus revenir en arrière, c’est un non-retour.

Tous les bouleversements individuels ou collectifs semblent parfois basculer dans une dimension qui échappe au décideur lui-même qui n’a plus qu’à attendre des vents favorables, à forcer ou s’abandonner à son propre destin. Cela a été vrai de toutes les batailles, perdues ou remportées. Il faut croire qu’à un moment donné, outre notre rationalité d’êtres humains, il y a une causalité imprévisible qui s’établit et dont nous ne pouvons rendre compte, que rétroactivement. Le récit ne s’élabore et s’écrit, qu’une fois les faits scellés. A la lumière des résultats déjà connus.

Est-ce que François Fillon doit renoncer ou résister ? Personne ne peut se mettre à sa place car il est le seul maître de sa propre décision. C’est à lui seul de calculer les risques de son action. C’est en cela qu’on peut mesurer la solitude du décideur et le caractère implacable de l’Histoire qui finalement nous juge sur nos résultats. Bien sûr la morale reste très importante mais il y a parallèlement, une dimension dramatique dans l’exercice du pouvoir, qui peut autant déboucher sur le vaudeville que sur la tragédie.

La politique est une mise en scène plus ou moins régulée (en fonction des pays et selon qu’il s’agisse de dictatures ou de démocraties). Les acteurs sont chargés de se répartir les rôles et parfois de créer leurs propres textes. Chacun propose son scénario et puis un tri s’opère sans qu’on sache exactement, toutes les raisons d’un choix ou d’une élection.

Aujourd’hui François Fillon est face à lui-même. Certes il engage tout son groupe derrière lui (sa famille politique). S’il réussit, il aura la gloire d’avoir résisté et vaincu et s’il perd, il aura le reproche de s’être obstiné, d’avoir déçu ou même trahi. Les acteurs se mettent en place pour la pièce. Et la distribution finale nous sera révélée le 7 mai 2017, dans trois mois, jour pour jour exactement.

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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