La scène libanaise n’a pas épuisé ses charmes. Apres les correspondants de guerre qui y accouraient, ce sont maintenant les artistes venus de partout qui viennent y trouver inspiration, sur l’impulsion notamment des résidences d’artistes qui y font flores.

Si les précurseurs des résidences tels qu’Ashkal Alwan et Zico House, toujours dynamiques, s’inscrivent dans les problématiques brulantes de l’actualité à savoir : la violence et le déplacement des populations, l’intégration des migrants, le nécessaire dialogue inter-culturel, la crise des déchets,etc, les nouvelles résidences sont plus flexibles, un brin poétiques, sans agenda particulier, même si elles refléteront d’une façon ou d’une autre les préoccupations de leur temps, qui sont aussi parfois les préoccupations de tout temps ; simplement le canal est autre. Ces «jeunes»  initiatives sont  lancées par des jeunes qui ont voyagé, qui se sont frottés au monde et qui veulent amener celui-ci au Liban. Leur objectif est plus de brasser, de faire connaitre le pays aux artistes étrangers, de décentraliser et de créer un climat propice à la création et à l’expression à travers le pays ; d’engager une conversation, entre cultures, entre générations, entre disciplines…  Conversation  et déploiement créatif pour s’opposer à la  violence du monde.

C’est dans ce sens et en ce qu’il promeut, par le biais du théâtre, le vivre ensemble et un certain apaisement que le Collectif Zoukak  a récemment reçu des mains du Président Macron, le prix  Culture pour la paix de la Fondation Chirac.  Travaillant avec des communautés marginalisées: refugiés, déplacés, femmes violentées, etc ; notamment dans des camps ou des regroupements de migrants. Zoukak aide les  enfants et les adultes blessés, tellement qu’ils en sont devenus atones, à retrouver un peu de voix/voie et donc de vie. Ses interventions ont débordé du pays du Cèdre : les membres du Collectif se sont rendus en Serbie ; et en France, dans le camp de Calais, avant son démantèlement, pour la période des fêtes de fin d’année 2015, pour partager leur expérience, jouer et soulager. Le langage de l’art et de l’humain est un.

Les résidences sont diverses et flexibles à l’image du pays lui-même

Pendant que Zoukak se veut résolument populaire et thérapeutique  – théâtre thérapie – la Beirut Art Residency (BAR), une émanation plutôt occidentale dans l’esprit, accueille des artistes étrangers et libanais, dans le design, la réalisation de films et les arts visuels. BAR est née d’une rencontre voire de plusieurs : Amal Abou Zahr sa fondatrice rencontre il y a quelques années, lors d’une résidence en arts visuels qu’elle effectue elle-même à New York, des  artistes émergents en milieu de carrière; qui lui exprime leur intérêt pour le Liban. Elle prend leurs souhaits au sérieux et décide en septembre 2015 de tenter l’ouverture d’une résidence  à Beyrouth de concert avec une autre libanaise  Nathalie Akkawi rencontrée  à New York aussi, dans une galerie qui représente des artistes moyen orientaux. Retour au bercail pour les deux moins que trentenaires.  Un étage d’appartement à Gemmayze est élu comme lieu de résidence.

Tous les deux mois, trois artistes établis y sont invités.  Certains y arrivent aussi en répondant à l’appel à candidature ouvert durant six mois. La résidence est un vrai melting pot : la moitié des artistes viennent de la région, les autres  du reste du monde : Canada, Colombie, Afrique du Sud, etc. Les fondatrices disent recevoir des demandes du monde entier : quatre cents dont seules  cinq pour cent sont acceptées. Un jury (1) prestigieux et spécialisé pour chacune des résidences adoube la sélection des artistes.  Beirut Art Residency a également établi des partenariats avec différents établissements tel que Joy Mardini, pour le design de produits ; le Goethe Institute pour le cinéma (2) et examine des possibilités avec des résidences célèbres dans le monde, telles que Waharca au Brésil et Matador en Espagne.  L’avenir est grand aux yeux de ces jeunes passionnées  qui veulent tisser des liens avec le monde.  Ont déjà séjourné à la BAR des artistes de toute nationalité :  l’islandaise Ragnheiður Gestsdóttir, intéressée à la question de l’héritage et de la « valeur des ruines» , le franco-algérien Abdel Kader Benchamma intéressé  à l’«imaginaire religieux», l’américain   Darryl Westly qui utilise les rues, les murs et l’architecture de Beyrouth comme  source d’inspiration pour une des «paysages» intérieurs / extérieurs

Hammanah Artist House a récemment lancé, avec le soutien du Ministère des Affaires Etrangères Français, un programme de résidences locales pour artistes en exil

Dans ce même esprit passionné, tourné sur les arts vivants et de la scène, la Hammanah Artist House (HAH), dans la célèbre montagne chantée par Lamartine,  a été récemment inaugurée par le Collectif Kahraba qui cherche également à développer des échanges avec les compagnies étrangères et à  développer, avec d’autres compagnies, des lieux de résidences ailleurs qu’au Liban. La sélection des artistes ou des compagnies se fait, pour le moment, au cas par cas. « On veut leur parler en direct. Ce n’est pas juste un dossier qu’ils envoient en ligne » dit Aurélien Zouki, membre du Collectif. «Nous souhaitons développer des liens avec des artistes qui partagent notre démarche, notre approche artistique, poétique, humaine, plutôt que nous ne cherchons à travailler frontalement, des thématiques sociales ou politiquesNous ne voulons pas imposer des sujets, un engagement particulier » explique Zouki. «Le Collectif pose des questions d’un autre ordre, sensible ; du genre «comment créer, dans la compréhension mutuelle entre des gens qui viennent d’horizons différents ? » ».

Le Collectif Kaharaba  brasse de facto les horizons : il reçoit des libanais comme des européens, crée des ponts entre les générations, les disciplines, les contextes, les environnements. Actuellement,  une compagnie de danse, un poète, un peintre, une romancière bénéficient de l’esprit des lieux.  Il est aussi avant-gardiste en ce qu’il est un des premiers à  complètement décentraliser la résidence en l’implantant à  la montagne, dans une magnifique demeure, ancienne,   généreusement mise a disposition par Robert Eid, son propriétaire. Le Collectif  a pris le parti des villages et du terrain depuis longtemps ; il y va en représentation au même titre que dans la capitale  dans le but de diffuser le gout de l’art et de la culture. En ravivant la dynamique des villages, Kahraba souhaite encourager les jeunes à rester dans leurs régions et en faire des pôles culturels.

Aussi, il privilégie pour ses résidences, les jeunes artistes et a récemment lancé avec le soutien du Ministère des Affaires Etrangères Français un programme de résidences locales pour artistes en exil : syriens, yéménites,etc. Sur ce créneau, le Collectif envisage d’impliquer deux autres résidences, à Istanbul et à Paris, A Corner in the World et l’Atelier des Artistes en Exil.  Ils sont nombreux à soutenir HAH: Al Mawrid al Thaqafi , l’Ambassade de France, AFAC, l’ Ambassade d’Espagne. C’est dire l’intérêt que suscite ce genre d’initiatives. BAR eux bénéficient du soutien de plusieurs banques libanaises: Bank Med,  SGBL et Jammal Trust Bank.   

Tous les arts trouvent résidence au Liban, et pas que dans la capitale.

Une des dernières résidences qui tient tout autant à la décentralisation que le HAH est celle du BeMa  avec la contribution de TAP (Temporary Art Platform). L’approche participative donne une place importante à la société civile. La municipalité, les associations, les écoles, etc, sont impliqués, traitant  d’une problématique d’actualité comme celle de l’eau pour cette année, un des grands enjeux de notre temps et de la région, l’or bleu. La résidence est mobile : en 2016, elle se passait au Nord, non loin de Tripoli, à  la Villa Nadia ; en 2017, elle bouge vers le Sud,  à Jezzine, non loin des grandes cascades.

Mobile est aussi la Maison Internationale des Ecrivains, fondée par le célèbre romancier francophone Charif Majdalani, une résidence sans murs qui reçoit chaque année des écrivains francophones pour six semaines, pour un projet ouvert. Beyt el Kottab n’a pas de murs,  pas de règles  contraignantes, loge les artistes à l’hôtel ou en meublés, envoie parfois en échange des écrivains libanais en France et organise surtout des rencontres avec des écrivains venus de partout dans le monde, pour déconstruire les «frontières invisibles, mentales et imaginaires », comme le dit Dabitch un des écrivains reçus en résidence à  Beyrouth. C’est bien ce à quoi œuvrent toutes ces résidences d’artistes bourgeonnantes dans ce qui demeure sans doute une des rares villes de bouillonnement artistique et créatif libre au Moyen Orient.

  • membres du jury: Myriam Ben Salah, Ziad Antar, Marie Spurita, Gregory Buchakjian, Sunny Rahbar, directeur de la Third Line Gallery a Duba
  • mentors Ghassan Salhab et Rania Stephan

Source: Déco Magazine, avec l’aimable autorisation de son auteur

Nicole Hamouche
Consultante et journaliste, avec une prédilection pour l’économie créative et digitale, l’entrepreneuriat social, le développement durable, l’innovation scientifique et écologique, l’édition, les medias et la communication, le patrimoine, l’art et la culture. Economiste de formation, IEP Paris ; anciennement banquière d’affaires (fusions et acquisitions, Paris, Beyrouth), son activité de consulting est surtout orientée à faire le lien entre l’idée et sa réalisation, le créatif et le socio-économique; l’Est et l’Ouest. Animée par l’humain, la curiosité du monde. Habitée par l’écriture, la littérature, la créativité et la nature. Le Liban, tout ce qui y brasse et inspire, irrigue ses écrits. Ses rubriques de Bloggeur dans l’Agenda Culturel et dans Mondoblog-RFI ainsi que ses contributions dans différentes publications - l’Orient le Jour, l’Officiel Levant, l’Orient Littéraire, Papers of Dialogue, World Environment, etc - et ses textes plus littéraires et intimistes disent le pays sous une forme ou une autre. Son texte La Vierge Noire de Montserrat a été primé au concours de nouvelles du Forum Femmes Méditerranée.

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