Il est dans le style du journal « AL Akhbar », c’est presque un besoin vitale et irrépressible, cette tendance jouissive de calomnie et de ridiculisation de toute manifestation culturelle, de toute initiative politique nouvelle et de tout renouveau qui commence à poindre timidement au Liban.

A la dernière page du Numéro 3289 d’ « Al Akhbar », dans un encadré exigu, on fustige avec des phrases sporadiques et bien enrobées dans leur style faussement bienséant, une présence forte des figures de proue du 14 mars à cette nouvelle édition du Salon du livre qui rend hommage à feu Samir Frangié, le Bey Rouge qui a fait du « vivre-ensemble » au Liban, le vecteur directeur de sa vie, de sa pensée et son souci prégnant jusqu’au dernier souffle. L’usage mesquin des guillemets étouffant le mot « cerveau » et l’expression « la révolution des cèdres » dans la dernière ligne de cette brève n’est qu’un déni sordide de la révolution des cèdres et de la qualité d’intellectuel de Samir Frangié qui nous a quittés en avril dernier.

La duplicité obsessionnelle de ce journal nostalgique de la période obscure de l’occupation syrienne et parangon du Hezbollah et de toutes les voix dissonantes des ennemis de la souveraineté du Liban : PSNS, Baath et la flopée de personnalités de la mouvance du 8 mars commence à friser l’irrationnel flagrant. L’attitude récriminatrice adoptée dans le traitement de l’actualité, notamment l’événement culturel majeur qu’est le Salon du livre francophone de Beyrouth, n’est que le symptôme d’une maladie létale qui ronge le corps délétère de ceux qui veulent vivre en dehors du cours de l’histoire et contre l’évolution de cette dernière. Ce journal arabophone, dévoile très implicitement sa haine larvée de la langue française qui serait « le dernier bastion » des intellectuels du 14 mars. Prisonniers d’une arabité qui les a déçus lors de toutes leurs guerres vaines, trahis par cette langue ; jadis l’outil politique d’une certaine gauche qui s’est épanouie pendant la guerre civile, voire avant, ils se trouvent aux abois avec pour unique arme de défense l’ironie impudique et une condescendance pathétique ; expression parfaite de leur stérilité culturelle.

Ceci n’est pas une attaque, comme le décèleraient d’aucuns, contre la langue d’expression de ce journal. L’arabe est la langue dans laquelle j’exprime ma douleur, mon chagrin et mon exaltation. Ce n’est pas pour rien qu’il est ma langue maternelle… la langue qui me permet aussi de mener à bon port mes projets sur la citoyenneté dans plusieurs pays du monde arabe. La finalité de mon raisonnement est la condamnation de la stratégie de récrimination qui constitue presque la ligne éditoriale de ce journal.

La position hostile d’ « Al Akhbar » vis-à-vis du 14 mars est vulnérable car elle touche aussi à la longue histoire de la francophonie au Liban. Elle profane par son aveuglement politique un des derniers temples culturels libanais qu’est le Salon du livre francophone de Beyrouth, accusé d’être la tribune privilégiée d’une certaine mouvance politique. Ce qui est normal et conséquent avec la longue histoire de la francophonie au Liban. Le Salon du livre francophone qui rend aujourd’hui hommage au grand intellectuel libanais Samir Frangié, dont je ne partage pas toutes les idées mais dont j’admire l’engagement indéfectible pour le vivre-ensemble et la culture de la paix au Liban, a la même symbolique que le drapeau français érigé sur les monastères maronites nichés dans les grottes de la Vallée sainte au temps des persécutions. Le français et la francophonie sont avant tout les gardiens d’un certain Humanisme qui dépasse les clivages partisans et idéologiques… L’Humanisme d’Elias Sanbar le Palestinien qui a raconté son exil dans la langue de Molière, celui d’Amin Maalouf qui a dépeint la montagne libanaise dans son Rocher de Tanios avec des couleurs mirobolantes, celui de Dominique Eddé qui a défendu la cause palestinienne si élégamment avec sa plume qui ne cesse de m’enchanter, celui de Vénus Khoury-Ghata qui a soigné ses blessures de guerre avec ses vers écrits en français, celui de Charif Majdalani qui raconte si bien cet Orient et ce Liban magiques dans ses romans.

Avant de sonner le tocsin contre le salon du livre, chers rédacteurs et journalistes d’ « Al Akhbar », il faut assumer et reconnaître l’effet cliquet de la Révolution des cèdres. Vous avez beau essayer de banaliser cet événement historique, vous ne viendrez pas à bout de vos tentatives. Le 14 mars est présent au Salon du livre et non dans les rues de Hamra bloquées par les parades du PSNS. Le 14 mars est dans le rayonnement culturel et non dans l’obscurantisme et la francophonie est son alliée privilégiée.

Enfin, rien ne vous décrit mieux que les mots mélodieux de Georges Brassens : « Trompettes de la renommée, vous êtes mal embouchées ! ».

Maya Khadra
Maya Khadra, doctorante en littérature francophone libanaise à la Sorbonne, lauréate du prix du journalisme francophone en zones de conflits (2013), auteure de deux ouvrages et critique littéraire à L'Orient Littéraire. Elle vit actuellement à Paris d'où elle gère son travail dans l'organisme CAFCAW pour la citoyenneté dans le Monde arabe en tant que coordinatrice de projets ainsi que ses recherches et son travail dans la traduction.

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