Nassif Hitti, le nouveau ministre libanais des Affaires étrangères, a rejeté l’« accord du siècle », projet immobilier censé régler le conflit israélo-palestinien (mais rejeté par les Palestiniens), présenté par Donald Trump, en présence de Benjamin Netanyahu, car cet « accord », qui refuse ce que les Palestiniens appellent le « droit au retour » des réfugiés, signifie pour le Liban l’implantation palestinienne. 

L’« accord » prévoit 6,3 milliards de dollars pour les infrastructures routières du Liban et l’expansion de l’aéroport international de Beyrouth, du port de Beyrouth et celui de Tripoli : 4,6 milliards de dollars sous forme de prêts ; 1,2 milliards de dollars sous forme d’investissements privés ; et, 450 millions de dollars sous forme de donations. Pour cela, même si les conditions ne sont pas stipulées, le Liban doit accepter l’« accord », ce qui signifie l’implantation palestinienne et donc à terme la naturalisation des réfugiés palestiniens. 

D’après les chiffres du recensement du Bureau central des statistiques palestiniennes (BCSP) et de l’Administration centrale de la statistique au Liban (ACS) présentés le 21 décembre 2017 au Sérail en présence de Saad Hariri alors premier ministre, il n’y aurait que 174 422 réfugiés palestiniens au Liban dont 45,1% à l’intérieur des camps. Ils disposent d’un accès restreint à l’emploi (72 professions leur sont interdites), à l’éducation et à la santé et vivent généralement en situation précaire.

Comme le rappelle François el-Bacha, ces chiffres ont été comptabilisés par des étudiants qui bien que mandatés n’ont pas pu rentrer dans tous les camps et dans certaines parties du camp d’Aïn el-Heloué. Les Palestiniens ayant fui les combats à Yarmouk (en Syrie) ne sont pas non plus comptabilisés. À cette époque, le Liban était en pleine polémique sur le nombre de réfugiés syriens. Ces chiffres paraissent donc bidonnés à des fins politiques. 

Rappelons que 469 331 réfugiés palestiniens au Liban sont actuellement enregistrés à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA – United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East en anglais) et que même si l’Unrwa (qui en enregistrait 493 134 en janvier 2015) n’est pas toujours informé lorsqu’un Palestinien enregistré émigre, tous les Palestiniens présents au Liban ne sont pas enregistrés à l’Unrwa. 

Fin novembre 2017, le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a recensé 997 905 réfugiés syriens enregistrés au Liban. Ce chiffre est en recul. Le HCR n’est pas toujours informé lorsqu’un Syrien enregistré émigre mais tous les Syriens présents au Liban ne sont pas enregistrés au HCR. 

D’après d’autres sources, le Liban compterait environ 2 millions de réfugiés : 1 400 000 Syriens (ils ont été jusqu’à 2 000 000) et 600 000 Palestiniens (en comptant les 70 000 qui ont été naturalisés par le décret 5247 et les 75 000 qui sont arrivés après la guerre des Six jours en 1967 et après Septembre Noir en Jordanie en 1970, considérés comme illégaux par le Liban). Les plus anciens réfugiés palestiniens sont arrivés en 1948 et les plus récents (au moins 50 000) sont venus de Syrie depuis 2011. 

Alors que l’Autorité nationale palestinienne existe depuis 1994 et qu’elle délivre des passeports palestiniens, aucun gouvernement libanais n’a exigé de celle-ci qu’elle en distribue gratuitement aux réfugiés palestiniens au Liban, alors qu’ils participent aux élections palestiniennes, afin qu’ils puissent dès à présent retourner sur le territoire sous son contrôle pour ceux originaires de ces régions ou émigrer pour les autres. Quant à ceux désirant rester au Liban, ils devront obtenir pour cela le statut de travailleurs étrangers comme les autres ressortissants étrangers. Sinon, ils seront expulsés. 

Avec l’octroi gratuit par l’Autorité nationale palestinienne de passeports palestiniens et l’application de la résolution 194 de l’ONU, 20% des Palestiniens du Liban pourraient retourner d’ores et déjà sur le territoire sous contrôle de l’Autorité nationale palestinienne. Et avec l’octroi gratuit par l’Autorité nationale palestinienne de passeports palestiniens et l’application du regroupement familial établi par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 25% des Palestiniens du Liban pourraient rejoindre leurs familles installées à l’étranger notamment dans les pays arabes. 

En ce qui concerne les réfugiés palestiniens restant, une bonne partie immigrera en Occident et pour les autres, le gouvernement libanais devra exiger de la Ligue des États arabes une répartition équitable prenant en compte les ressources économiques de chaque État ainsi que les opportunités d’emplois que celui-ci peut leur offrir. 

Au bout de ce processus qui devra être rapide selon un calendrier précis, les camps palestiniens au Liban seraient vidés, fermés puis détruits et les Palestiniens restant au Liban (environ 20 000) y vivraient alors comme tous les autres travailleurs étrangers avec le même statut et les mêmes droits pour éviter qu’ils soient parqués dans des camps-ghettos qui n’engendrent que chômage, pauvreté, extrémisme et terrorisme.

L’interdiction faite par la Constitution de toute implantation n’a nullement empêché le décret 5247 émis par le gouvernement le 20 juin 1994 pour lancer deux grandes campagnes de naturalisations : l’une en 1994 (touchant 2/3 des naturalisés par le décret) et l’autre en 1995 (touchant 1/3 des naturalisés par le décret). Ces naturalisés sont quasi-exclusivement des musulmans, essentiellement sunnites. 

En juin 2006, le ministère de l’Intérieur assurait que 202 000 personnes – environ 150 000 initialement et 50 000 par mariages et naissances depuis le décret – avaient été naturalisées en vertu de ce décret (dont 151 000 musulmans, parmi lesquels 109 000 sunnites) mais en réalité, celui-ci concernerait près de 400 000 personnes ! 

En effet, en 1994-95, le gouvernement n’avait pas comptabilisé dans les chiffres officiels les mineurs et n’avait donc reconnu uniquement la naturalisation de 88 278 personnes âgées de plus de 21 ans. Selon différentes études, 42% des naturalisés seraient des Syriens, 15% des Palestiniens, 6% des Arabes de Wadi Khaled, 9% des personnes ayant omis de s’inscrire après le Traité de Lausanne et 28% à nationalité sous étude dont beaucoup seraient des Kurdes. Officiellement, seule une centaine, musulmans et chrétiens, de ces naturalisés sont d’origine palestinienne. 

Or, à la table de dialogue en juin 2006, Ahmad Fatfat, alors ministre de l’Intérieur par intérim, présenta un document où il était stipulé que plus de 118 000 sunnites avaient été naturalisés dont plus de 25 500 Palestiniens. Or, il faut ajouter les quelques 32 500 Palestiniens dont les dossiers étaient sous étude et plus de 14 000 d’origine non révélée alors que leur lieu de naissance est Jaffa, Haïfa ou encore d’autres villages alors palestiniens. Le nombre de Palestiniens naturalisés par ce décret s’élève donc en réalité à plus de 70 000. D’ailleurs, Assaad Abdel Rahman, le responsable des questions des réfugiés au sein de l’Autorité nationale Palestinienne, avait déclarait au quotidien jordanien al-Arab al-Yom le 2 novembre 1998 que le décret libanais de 1994 avait effectivement naturalisé 70 000 Palestiniens. Ce décret et ces naturalisations doivent être annulés. 

En effet, 240 000 Syriens et Bédouins (essentiellement sunnites) qui pour beaucoup d’entre eux ne résideraient même pas au Liban, auraient acquis la nationalité libanaise ainsi que 18 000 Kurdes et à peine quelques Arméniens… D’autre part, 12 000 personnes des sept villages d’al-Koura al-Sabeh à la frontière libano-israélienne et 30 000 personnes de Wadi Khaled au Akkar sont devenus libanais sous prétexte qu’ils se réclament d’origine libanaise et en revendiquaient la nationalité alors même que la citoyenneté libanaise continue d’être déniée à des Libanais émigrés et à des Libanais de mère libanaise mais de père étranger quand bien même celui-ci ne serait ni Palestinien ni Syrien.  

Il y a lieu de rappeler que la Ligue maronite avait présenté une demande de révision du décret 5247 auprès du Conseil d’Etat, en vue d’invalider les “naturalisations douteuses”. Le Conseil d’Etat se prononça en 2003 en faveur de la requête de la Ligue maronite. Le ministère de l’intérieur avait alors lui-même contesté la naturalisation d’au moins 87 000 personnes. Toutefois, le ministère de l’Intérieur doit appliquer la décision du Conseil d’Etat en procédant aux investigations nécessaires et s’assurer de la véracité des informations que les naturalisés ont fournies pour obtenir la nationalité libanaise. La justice devra ensuite retirer la nationalité libanaise à ceux qui l’ont illégalement obtenue. 

La présence de 1 400 000 de Syriens et de 600 000 Palestiniens au Liban est dans les faits une forme de colonisation du Liban. Avec les vagues d’émigration libanaise qui se poursuivent et s’accélèrent en raison de la crise financière, économique et sociale, c’est même un remplacement à terme de la population libanaise par une population syro-palestinienne. 

Bien qu’elles souhaitent toujours islamiser à long terme la Palestine dans ses frontières d’avant 1948, les pétromonarchies arabes du Golfe ont, surtout depuis la guerre d’Irak en 2003, sacrifié à court terme la cause palestinienne et se sont rapprochées d’Israël pour obtenir la protection américaine d’une part pour faire face à ce qu’elles considèrent être l’« impérialisme » iranien et d’autre part pour ne pas être renversées (Donald Trump n’a d’ailleurs pas hésité à déclarer que l’Arabie saoudite et son roi ne tiendraient pas plus de deux semaines sans la protection militaire américaine).

Jamais elles n’ont acheté autant d’armes. Si bien que leurs achats sont devenus vitaux pour les industries de l’armement aux États-Unis mais aussi en France. Quitte à sacrifier leurs développements et leurs propres économies toujours aussi dépendantes de leurs revenus pétroliers (gaziers pour le Qatar) alors que les États-Unis sont devenus, grâce à la révolution du pétrole et du gaz de schiste, indépendants énergétiquement, les plus grands producteurs de pétrole au monde et même exportateurs de gaz sous forme liquéfiée.

En réalité, cet « accord » a mis ces pétromonarchies arabes du Golfe dans l’embarras : leur « trahison » à la cause palestinienne est exposée au grand jour. En effet, obligées de donner leur opinion sur l’« accord du Siècle », elles ont salué les « efforts » de Donald Trump mais indiqué qu’il ne pouvait pas être accepté en l’état par les Palestiniens. Cela risque de pousser d’une part, leurs propres populations dans les bras des groupes djihadistes qui souhaitent les renverser ; et, d’autre part, les Palestiniens dans les bras des deux puissances non-arabes de la région, la Turquie et l’Iran, ainsi que dans ceux des groupes djihadistes. 

Les pétromonarchies arabes ne veulent pas que les réfugiés palestiniens émigrent chez elles. Si le « droit au retour » n’est pas donné aux Palestiniens (ce qui conduirait à l’islamisation de la Palestine dans ses frontières d’avant 1948), elles veulent favoriser le statu quo, à l’instar de l’« accord du Siècle » présenté par Donald Trump et soutenu par Benjamin Netanyahu. Au Liban, elles souhaitent même l’implantation définitive des réfugiés palestiniens et syriens ainsi que leur naturalisation pour islamiser le Liban. Elles pensent également pouvoir les instrumentaliser face au Hezbollah au Liban, une partie des réfugiés palestiniens étant toujours armée et une partie des réfugiés syriens ayant fait son service militaire.

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