L'entrée principale de la Banque du Liban (BDL) Crédit Photo: Libnanews.com, tous droits réservés
L'entrée principale de la Banque du Liban (BDL) Crédit Photo: Libnanews.com, tous droits réservés

En août 2020, la Banque Mondiale publiait un rapport intitulé « Évaluation rapide des dommages et des besoins à Beyrouth » confirmant l’insolvabilité du système bancaire et disait : « Les réformes à court terme incluraient la restructuration du secteur bancaire (…). Cela impliquerait un programme de stabilisation macroéconomique, la refonte du cadre monétaire et des taux de change, la reconnaissance adéquate des pertes, la recapitalisation des banques d’importance systémique et la liquidation des banques sans importance systémique insolvables. Le retard pris dans la restructuration du secteur bancaire au cours des derniers mois a malheureusement aggravé la situation financière catastrophique du pays. »

L’article 6 de la loi n°110 (novembre 1991) relative au redressement du secteur bancaire dispose qu’en cas de cessation de paiements d’une banque, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) défère cette banque devant le Conseil bancaire supérieur qu’il préside.

Le président directeur-général de la banque, les membres du conseil d’administration, les directeurs exécutifs et les commissaires aux comptes de la banque au moment de la faillite ou durant la « période suspecte » de 18 mois précédent la cessation de paiements ne bénéficient alors plus du secret bancaire car ils sont tenus pour responsables et doivent même répondre sur leurs actifs du passif de la dite banque.

Le juge peut alors obtenir l’annulation d’actes et de transactions survenus durant cette période. Cela est confirmé dans l’article 508 du Code de commerce. Ainsi, les transferts vers l’étranger effectués durant l’automne 2019 et par la suite pourraient ainsi se voir annulés et les fonds être rapatriés.

La période suspecte qui relève du droit civil pourrait ainsi être plus efficace que le droit pénal pour lequel la Justice est plus lente et ne s’intéresse qu’aux virements relevant de l’enrichissement illicite qu’il faut prouver. D’ailleurs, en mars 2020, le procureur général près la Cour de cassation, le juge Ghassan Oueidat, à la tête du pouvoir judiciaire pénal (uniquement) et proche du Président du Conseil désigné Saad Hariri, a coupé l’herbe sous les pieds du procureur financier, le juge Ali Ibrahim, qui voulait geler les avoirs de 21 banques du pays et ceux des présidents des conseils d’administration de ces banques.

L’audit juricomptable (« forensic audit ») de la Banque Centrale vise à retracer l’historique des transactions afin de détecter d’éventuelles fraudes. Il piétine encore car la BDL et son gouverneur Riad Salamé ont mis des bâtons dans les roues du cabinet d’audit Alvarez & Marsal qui a même jeté l’éponge.

L’Association des Banques du Liban (ABL), soutenue par la BDL et Riad Salamé ainsi que par de nombreux députés notamment ceux de la Commission parlementaire des Finances et du Budget, le Président du Parlement Nabih Berri, le Président du Conseil désigné Saad Hariri et Walid Joumblatt, ne reconnait pas le montant des pertes évaluées par le gouvernement, Lazard et le Fonds monétaire international (FMI). Cette situation a entraîné la suspension des négociations du gouvernement avec le FMI alors qu’existe un contrôle des capitaux illégal, que l’audit juricomptable et les réformes n’ont pas pu être réalisées, que la dévaluation et la « lirification » sont de fait des réalités et qu’il y a désormais une hyperinflation et un appauvrissement généralisé. Ni les fonds de la CEDRE (la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises) ni ceux du FMI n’ont donc été débloqués. Les fonds transférés à l’étranger depuis l’automne 2019 n’ont pas été rapatriés.

Suite à l’explosion au Port de Beyrouth le 4 août 2020, le Président du Conseil Hassan Diab a présenté la démission de son gouvernement. Aucun nouveau gouvernement n’a depuis pu être formé.

Désigné dans un premier temps, Moustapha Adib a préféré abandonner. Quant à Saad Hariri, désigné dans un second temps, il assure s’y atteler mais campe sur ses positions, ce qui revient à faire du surplace. En effet, il ne souhaite pas former le gouvernement en partenariat avec le Président de la République Michel Aoun (alors que la Constitution le prévoit) et veut nommer lui-même les ministres de la communauté sunnite (à laquelle il appartient) et une partie des ministres chrétiens tandis que le tandem chiite (formé du mouvement Amal du Président du Parlement Nabih Berri et du Hezbollah) désignerait lui-même les ministres chiites (dont celui à qui sera octroyé le poste de ministre des Finances puisqu’il a été garanti au mouvement Amal par le Président du Conseil désigné) et le leader druze Walid Joumblatt le ministre druze.

Michel Aoun qui souhaite défendre les rares prérogatives présidentielles et les droits des chrétiens et veut que l’audit juricomptable soit réalisé et que Riad Salamé soit limogé est accusé par Saad Hariri et Nabih Berri de bloquer la formation du gouvernement. Or, il semble bien que se soient l’inverse : l’actionnaire de Bankmed Saad Hariri et Nabih Berri dont les proches, Ali Hassan Khalil (de 2014 à 2020) et Ghazi Wazni (depuis 2020), sont les deux derniers ministres des Finances, souhaiteraient en réalité retarder la formation du gouvernement afin d’éviter que la période suspecte (de 18 mois suite à l’annonce de la faillite) suite à la restructuration bancaire (et éventuellement au limogeage de Riad Salamé) par le prochain gouvernement ne les affecte eux-mêmes ou en tous cas leurs amis dans les banques (actionnaires, membres de conseils d’administration, consultants et avocats de celles-ci ainsi que grands déposants) et dans la classe politique qui auraient transféré des fonds vers l’étranger depuis automne 2019.  

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