Hier, lors de la commémoration de l’assassinat de son père Rafic Hariri, Saad Hariri a déclaré : « Seize ans plus tard, les Libanais savent qui a bloqué, qui a saboté, et qui a ramené le Liban trente ans en arrière. À tous ceux qui n’ont rien d’autre à faire que de s’attaquer au “haririsme politique”, je voudrais rappeler ce qu’est le haririsme politique : le haririsme politique a mis un terme à la guerre civile, a permis la reconstruction du pays, de l’aéroport, de l’hôpital gouvernemental qui porte le nom de son fondateur, (…) a ramené les touristes au pays, et a mis en place le premier réseau de téléphonie mobile au Moyen-Orient, avant même Israël (…). Mais vous, quels sont vos accomplissements ? Qu’avez-vous fait pour le Liban et les Libanais ? »

Peut-on sérieusement dire que le “haririsme politique” a mis un terme à la “guerre civile” alors que la guerre opposait essentiellement le camp souverainiste et les agresseurs palestiniens et syriens et leurs alliés locaux ? Alors que Hariri finançait toutes les milices qui combattaient l’État libanais, ce qui aboutissait à affaiblir ce dernier et à empêcher la guerre de se terminer ? Alors que c’est également lui qui, par l’accord de Taëf dont il se disait l’auteur, a légalisé l’occupation syrienne du Liban ? À l’ombre de cette occupation, il fut député (de 1992 à 2005), et Premier ministre (de 1992 à 1998 et de 2000 à 2004). Il se rendait chaque semaine à Anjar ou à Damas pour coordonner avec les Syriens : il y alla 500 fois.

Peut-on sérieusement dire que le “haririsme politique” a permis la reconstruction du pays, de l’aéroport, de l’hôpital gouvernemental alors qu’Hariri les a fait payer à l’État bien plus cher qu’au prix du marché ?

Peut-on sérieusement dire que le “haririsme politique” a ramené les touristes au pays alors qu’il n’a misé que sur les touristes du Golfe qui ont disparu dès que le conflit régional sunnite-chiite s’est exacerbé ?

Peut-on sérieusement dire que le “haririsme politique” a mis en place le premier réseau de téléphonie mobile au Moyen-Orient alors que ce dossier est entaché de corruption ?

Saad Hariri a ensuite accusé le Président de la République Michel Aoun d’empêcher la formation du gouvernement et ainsi les réformes, et a ainsi prolongé la souffrance des Libanais. Il a assuré avoir proposé au Président une mouture de 18 ministres. « Cette liste, dit-il, ne comporte pas de tiers de blocage. Sur les 18 ministres, j’ai considéré que six feraient partie du camp du Président, notamment un ministre affilié au parti Tachnag, quatre autres experts et indépendants des partis politiques que j’ai choisi dans une liste élaborée par le chef de l’État, et le cinquième serait une personnalité indépendante mais proche du Président. J’ai également proposé le nom d’un juge connu pour le ministère de la Justice (…). Mais le président de la République affirme à nouveau que le parti Tachnag ne lui est pas affilié, alors qu’à chaque fois, les députés Tachnag votent aux côtés des députés du CPL. »

Rappelons que le pouvoir exécutif est détenu par le Conseil des ministres et son Président, c’est-à-dire le Premier ministre. Il dispose ainsi d’un pouvoir que le Président de la République n’a pas. Par ailleurs, il est important de dire que les députés du parti Tachnag ont désigné Saad Hariri comme Premier ministre, ce qui n’est pas le cas des députés du Courant patriotique libre (CPL) fondé par le Président de la République Michel Aoun. Réclamer six ministres en dehors du ministre arménien choisi par le parti Tachnag ne peut donc être considéré comme une exigence de tiers de blocage.

Saad Hariri s’est ensuite défendu des accusations de vouloir porter atteinte aux droits des chrétiens : « Rafic Hariri disait : “Nous avons arrêté le recensement démographique, et les chrétiens représentent la moitié de l’État, quel que soit leur nombre.” Aujourd’hui je le répète : nous avons cessé les recensements. Et on ne peut pas accuser Saad Hariri de violer les droits des chrétiens. Les droits des chrétiens sont les droits des Libanais tout simplement. Les droits des chrétiens, c’est l’arrêt de l’effondrement, la reconstruction de Beyrouth, et la fin de la catastrophe qui frappe tous les chrétiens et les musulmans. Les droits des chrétiens, ce sont les réformes, le changement de la façon de travailler. Leurs droits, c’est l’audit juricomptable de la Banque centrale et toutes les institutions et les ministères. J’ai dit au Président que si l’attribution d’un portefeuille ministériel quelconque ne lui convient pas, qu’il me le fasse savoir car je suis ouvert au débat. (…) Où est donc l’atteinte aux droits des chrétiens ? Où étiez-vous lorsque la présidence de la République était restée vacante durant tout ce temps, alors que moi j’ai tout fait pour que le poste ne reste pas vacant, en soutenant notamment le président Aoun et son élection ? »

Là encore, Saad Hariri oublie les découpages électoraux auxquels son père Rafic Hariri, de concert avec son ami le Syrien Ghazi Kanaan de sinistre mémoire (auquel Rafic Hariri a remis les clés de Beyrouth !), se sont livrés pour, justement, priver les chrétiens de leurs droits politiques, notamment par la loi électorale de 2000. Ils ont ainsi augmenté le nombre de députés (128 au lieu des 108 prévus par l’accord de Taëf), pour créer des postes de députés dans des régions où ces députés ne pouvaient être élus par les chrétiens. Avec les découpages électoraux, la majorité écrasante des députés chrétiens élus s’est trouvée élue par les sunnites, les chiites et les druzes. Ces députés appartenaient donc pour la plupart à des blocs parlementaires dirigés par un sunnite (Rafic Hariri), un chiite (Nabih Berri) et un druze (Walid Joumblatt), et obéissaient naturellement au chef de la liste.

Saad Hariri oublie également l’alliance quadripartite qu’il a, en 2005, constituée avec Walid Joumblatt, le Hezbollah et Nabih Berri pour contrer le “tsunami orange”, le vote chrétien (près de 80%) en faveur des candidats soutenus par le général Michel Aoun.

Si les droits des chrétiens, ce sont les réformes et l’audit juricomptable, pourquoi ne seraient-ce pas également les droits des sunnites, des chiites et des druzes ?

Et si les droits des chrétiens étaient défendus par les Hariri, pourquoi des ministres chrétiens devraient-ils être désignés par lui le sunnite, Saad Hariri, alors que tous les ministres sunnites sont également désignés par lui, les ministres chiites par Berri et le Hezbollah, et le ministre druze par le seul Walid Joumblatt ? Hariri veut-il nous faire revenir au temps des dhimmis chrétiens dont les chefs étaient désignés par les Ottomans ?

Enfin, rappelons que si la présidence de la République était restée vacante entre 2014 et 2016 c’est parce que Saad Hariri, Nabih Berri et Walid Joumblatt qui dirigeaient respectivement les plus grands blocs parlementaires sunnite, chiite et druze s’opposaient à l’élection de Michel Aoun, chef du plus grand bloc parlementaire chrétien. Avant de finalement soutenir l’élection de Michel Aoun, Saad Hariri avait cherché à faire élire Samir Geagea puis Sleiman Frangié (un ami du président syrien Bachar el-Assad), alors que leurs blocs parlementaires étaient bien plus petits que celui de Michel Aoun.

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