Sans contestation possible, le titre de l’Homme et de la Femme de l’Année 2019 revient à la Libanaise et au Libanais.

Confronté à des crises sans précédent et le plus dur reste toujours à venir, le libanais était considéré durant tant d’année comme résiliant face à la situation, confondant cette pensée à un immobilisme ou une certaine capacité et facilité à pouvoir partir. Mais au final, 2019 a été marqué par le réveil. C’était pousser le bouchon un peu trop loin, avec ces fameuses 50 nuances de crises à répétition dont on a cru qu’il s’en était habitué: crise des ordures depuis 2015 nous forçant déjà à vivre dans la pollution à la crise économique aujourd’hui, avec une dégradation des conditions socio-économiques sans précédent et le risque de voir 50% de la population se retrouver vivant sous le seuil de pauvreté, annihilant les derniers restes de la fameuse classe moyenne, pilier de l’économie.

Mais cette crise n’est pas nouvelle. Elle a été fabriquée par 3 décennies de mauvais choix où sont impliqués tant les personnalités politiques que les responsables économiques et monétaires qui n’ont eu que des visions à court terme et jamais à moyen et long terme. C’est cette crise, qu’on découvre officiellement aujourd’hui qui a poussé une grande partie des personnes compétentes à l’exil, à la recherche d’un avenir meilleur mais aussi d’autres, un nombre plus réduits, d’irréductibles qui sont conscients de ce qui nous y a mené.

Ceux là sont passés à l’insoumission, à la révolte, à la révolution, brisant ces chaines qui les ont maintenu tant d’année, à la merci de partis politique basés sur un système confessionnel pour mieux contrôler la population.

Les chaines sont aujourd’hui brisées et avec elles, on s’interroge sur tout, on doute, on remet en cause, même la chose la plus banale. Plus personne n’est dupe.

L’esprit scientifique et le doute comme souligne Nietzsche ont besoin d’une méfiance instinctive. “Avoir une opinion, c’est bel et bien pour eux qui s’en faire des fanatiques et de la prendre dorénavant en guise de conviction”. Il convient aussi d’avoir des doutes parce que rien n’est jamais blanc ou noir, et il existe de nombreuses nuances de gris.

L’une des principales avancées de 2019 ou plutôt des 3 derniers mois de 2019, outre le fait d’avoir su garder un caractère principalement pacifique à ces manifestations en dépit d’incident à l’instigation de partis qui tentent ainsi de reprendre la main, c’est que le Libanais a appris à débattre, à quelques exceptions près, sur des thèmes de sociétés dont il avait été longtemps exclu par les partis politiques au nom des sacrosaints accords de Taëf et de “la nécessité du respect de l’union national”. La libanaise et le libanais n’ont plus de tabous et abordent des thèmes multiples concernant la sécularisation du système politique – et donc indirectement à la fin des accords de Taëf – ou des administrations publiques, et cela lié à la compétence. Beaucoup de postes sont en effet attribués à des incompétents parce qu’ils appartiennent à telle ou telle communauté et non à des personnes compétentes qui en sont écartées. Le clientélisme est également un autre sujet, la corruption évidemment est un sujet central, tout comme la réforme du système économique qui nous a amené aujourd’hui au bord de l’abîme.

La population réclame non seulement des réformes économiques mais aussi des réformes politiques, ce qui n’est pas sans entrer en conflit avec les partis politiques qui s’appuient traditionnellement sur des divisions confessionnelles.

Cela démontre qu’en dépit d’avoir été écarté de ces débats durant des années, le peuple libanais n’est pas mort, il a été endormi, comateux durant des années par des paroles et des promesses qui n’ont jamais été au final respectées en raison de “la nécessité d’un consensus national” sur le moindre dossier même ouvrant la voie à des négociations interminables. Mais il se réveille aujourd’hui.

De guerre lasse, nos pensées vont évidemment à toutes celles et à tous ceux qui n’ont pu savoir attendre et qui ont choisi de nous quitter, faute d’espoir, faute de pouvoir même penser que les choses vont pouvoir changer et s’améliorer, comme ces pères de familles qui ont choisi de se donner la mort parce qu’ils ne pouvaient tout simplement plus assumer, non pas la joie d’avoir une famille mais le fardeau financier que cela est devenu à cause de la crise économique. Mais il convient de ne pas perdre cet espoir aujourd’hui.

Si l’année 2019 qui s’achève est l’année du réveil du peuple libanais face à une crise qui existait depuis déjà fort longtemps mais dont on ne ressent aujourd’hui que maintenant les effets, l’année 2020 serait l’année du renouveau, une fois le creux de la vague atteinte. On ne peut que rebondir de là où on nous a conduit.

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