À quelques mois du drame du 4 août 2020, nul ne doute que cette date rentrera dans l’Histoire de l’Humanité. La Grande Explosion a dévoilé au grand jour au peuple Libanais, et à la communité internationale, l’effondrement d’un pays, la gravité de sa chute vertigineuse. Celui qui ignorait les malheurs du Liban et de son peuple a été tiré de son ignorance de la manière la plus brutale qui soit. Aussi petit et insignifiant soit-il, le cas du pays du cèdre a de quoi alerter le monde entier. Cela peut arriver à quiconque laisse pourrir une situation désastreuse. L’Explosion de nitrate d’ammonium a fait éclater en lambeaux, en plus des composantes matérielles de la ville, toutes les autres composantes morales qui forment une nation. Il ne reste plus rien debout dans le pays. La destruction est totale. L’incompétence et la corruption de l’élite gouvernante ont eu raison de tout. Les femmes et les hommes sont à bout de souffle, meurtris, appauvris, et désespérés. L’économie est au sol. Les infrastructures inexistantes. La sécurité physique et financière ne sont plus assurées. L’ampleur de l’effondrement est telle, que l’on pourrait considérer qu’il en soit au quatrième ou cinquième stade sur l’échelle d’Orlov, c’est-à-dire celui où plus rien ne peut être fait pour sauver le pays.

L’effondrement financier, premier stade sur cette échelle, débute à la fin de l’année 2019, lorsque la monnaie locale entame sa dévaluation fulgurante face au dollar. La pyramide de Ponzi mise en place par l’ingénieux, mais irresponsable, Riad Salamé gouverneur de la Banque du Liban, en collaboration avec l’oligarchie politique et financière, s’effondre tel un château de cartes. La citadelle financière était à la merci du moindre coût de vent. Elle a été servie. En effet, comment maintenir le système financier dans le contexte sécuritaire, social et économique du pays du cèdre ? Les méthodes dites « d’ingénierie financières » pratiquées par M. Salamé sont-elles la source de tous les malheurs ? Il est évident que non. Celles-ci n’ont permis que le maintien de l’illusion d’une prospérité Libanaise, alors que l’économie réelle était en berne depuis plusieurs années, économie qui est d’ailleurs structurellement fragile. La gouvernance de la Banque du Liban n’a fait que décaler la catastrophe. Le produit intérieur brut du pays (qui ne se base que sur les flux venant de l’étranger, le tourisme, et le secret du secteur bancaire) a été atteint de plein fouet par les sanctions américaines visant les intérêts iraniens et ceux de son vassal le Hezbollah, ainsi que par les décisions des pays du Golf de ne plus consommer et investir dans un pays « acquis » à l’Iran. La résilience du système financier était nulle. La crise inéluctable. 

L’effondrement économique, deuxième stade sur l’échelle d’Orlov s’est fait en parallèle, la formule économique et commerciale ultra-libérale Libanaise étant très dépendante du système financier. Quand l’un tombe, l’autre est entrainé par sa chute. Aujourd’hui, le centre de Beyrouth est une ville fantôme. Un commerce sur deux est fermé. Personne ne peut consommer. Personne ne consomme. Le destin de l’ultra-centre de la capitale est emblématique. Une fois que le cœur cesse de battre, tous les organes s’éteignent les uns après les autres. 

L’effondrement politique, troisième stade sur l’échelle d’Orlov a été atteint dans les jours qui ont suivi l’Explosion. Ce stade, qui se caractérise par une perte de légitimité du pouvoir politique, était déjà bien en marche avant le drame, mais il a abouti avec celui-ci. Tant de choses ont été dites sur la classe politique Libanaise, qui cumule toutes les tares possibles et imaginables connues depuis la première antiquité. C’est un cas d’école d’incompétence, de corruption, de népotisme, d’incurie, d’avidité et enfin (après le 4 août) de criminalité. Le pouvoir politique n’étant plus un recours, les habitants des quartiers sinistrés ont fait appel, avec succès, aux associations non gouvernementales, associations dont les caisses ont attiré des donations généreuses venant du monde entier.

L’effondrement social, en quatrième position sur la macabre échelle, qui se caractérise par une incapacité des organismes sociaux à remplir leur objectif de protection, a poursuivi son avancée en 2020. Dans un pays où rien ne protège l’individu contre l’appauvrissement extrême (pas de système de retraite, ou de salaire minimum), contre le risque de morts lentes (pas de sécurité sociale) ou accidentelles (pas d’infrastructures convenables), et où les perspectives d’avenir sont inexistantes (aucune méritocratie, corruption extrême), une migration généralisée est inévitable. Cette migration n’est pas une simple fuite des cerveaux, phénomène condamnable en soi, puisqu’elle concerne cette fois-ci aussi bien les diplômés et les non diplômés, tout comme elle atteint les nantis, la classe moyenne et la classe populaire. Ne resteront finalement que ceux qui s’accommodent du système de pourriture et de corruption en place, système dont les assises semblent être les seules qui résistent à l’effondrement généralisé du pays. Comment faire bousculer le destin d’une nation sans ses habitants ?

Pour conclure cette description de la situation Libanaise, nous arrivons au dernier stade de l’échelle qui est l’effondrement culturel. Quand les gens perdent leur capacité de bienveillance, d’empathie, d’honnêteté, et de charité, il n’y a plus aucun espoir de résurrection. En sommes-nous arrivés là ? Je n’en suis pas si sûr. Seul rayon de soleil au milieu de ces ténèbres. Mais nous n’y sommes pas loin non plus. Les gens se soutiennent encore face à tous ces défis, mais jusqu’à quand ?

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