Solidarité avec les réfugiés et les communautés hôtes: Aidons le Liban qui aide la Syrie, maintenant !

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Les principales puissances mondiales avaient prédit que la crise syrienne serait de courte durée. Or, la situation sur le terrain est toujours critique. Par conséquent, il y a maintenant plus de dix millions de réfugiés et de déplacés internes venant de Syrie et approximativement 250 000 morts, du fait de ce conflit. Aussi, Amel demande qu’une solution politique soit trouvée à la crise syrienne afin d’éviter que les civils syriens et les communautés hôtes sombrent dans la misère et dans la violence.

La solution à la crise des réfugiés syriens devrait inclure une aide financière significative de la communauté internationale. Le besoin d’un plan de développement sur le long terme est indéniable. Un tel plan devrait comprendre des engagements financiers pluriannuels. Par exemple, le plan libanais de réponse à la crise syrienne (Lebanon Crisis response plan – LCRP) est resté sous financé (seulement 45% des 2,14 milliards nécessaires ont été reçus), alors qu’un effort financier de la part de la communauté internationale est toujours requis.

De plus, les engagements, pris par les pays donateur, doivent être ramenés à la réalité. Ce qui n’a pas toujours été le cas. Par exemple, la communauté internationale a « promis » 3,8 milliards de dollars dans le cadre de la troisième « International Humanitarian pledging Conference for Syria » tenue au Koweït en mars 2015. Cependant, ces promesses de dons n’ont pas été honorées dans leur totalité alors même qu’ils étaient nécessaires afin que les populations touchées par cette dramatique crise syrienne puissent vivre dignement.

Tel que mentionné par le Secrétaire Général des Nations-Unies, Ban Ki-Moon, les « pledging conférences » sont également une source d’espoir pour toutes les populations vulnérables qui font face aux effets catastrophiques de la crise car cela «[…] envoie un message de soulagement aux millions de Syriens qui ont été affectés par cette terrible crise. »

Dans un tel contexte, toutes les opportunités sont décisives pour atténuer les impacts de la crise notamment pour les pays voisins de la Syrie qui portent le plus grand fardeau de la crise syrienne, particulièrement le Liban. Afin de répondre à cette situation extrême, toutes les parties prenantes, notamment les ONGs du Sud et du Nord, doivent travailler en partenariat pour offrir une réponse et la communauté internationale doit y prendre part afin d’atténuer les impacts de la crise.

Crise de réfugiés syriens et ses conséquences dans les pays d’accueils. 

La crise syrienne a un impact majeur dans le Proche et le Moyen-Orient. Le flux de réfugiés augmente toujours de manière exponentielle. Les données actuelles parlent d’elles-mêmes : plus de 4 millions d’individus sont actuellement enregistrés en tant que réfugiés syriens par le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR) dans la région, en comparaison à 3,222,120 à la fin de 2014. Les pays qui portent le plus grand poids de la crise des réfugiés sont notamment la Turquie, le Liban et la Jordanie. Une assistance significative de la part de la communauté internationale est dnécessaire pour soutenir ces pays hôtes.

Les conséquences économiques de cette situation sont sérieuses. La Banque Mondiale estime que les pertes économiques dues à la crise syrienne vont atteindre environ 35 milliards de dollars pour la Syrie, l’Iraq, la Turquie, le Liban, la Jordanie, et l’Egypte. Ce montant équivaut au montant du PIB de la Syrie en 2007. Le plus inquiétant est que les pays hôtes doivent gérer à la fois une récession économique due à la crise mais également de nouveaux coûts liés à la réponse de cette crise.

Bien que les impacts économiques de la crise syrienne soient importants dans la région, le pays qui porte le plus grand poids des enjeux lié aux réfugiés est sans aucun doute le Liban. Sachant que la population libanaise est composée d’environ 4 millions d’individus, le Liban est actuellement le pays qui accueille la plus grande concentration de réfugiés par habitant, avec plus de 40% de sa population qui est réfugiée. Avec cette population constamment grandissante, la pression sur les services publics est écrasante. Dans un contexte de désengagement chronique de l’Etat libanais pour ce qui est de la réponse aux besoins urgents et de base des individus, les ONGs sont plus que jamais essentielles afin d’offrir des services primaires aux personnes touchées par la crise syrienne. Indépendante, non confessionnelle et engagée pour la justice sociale, Amel Association International (Amel) constitue l’exemple d’un tel engagement, et démontre l’importance des organisations locales et régionales dans de pareils contextes. 

En effet, l’action d’Amel, basée sur la mise en place d’activités pour les groupes vulnérables, sans distinction, ni discrimination, est cruciale. En réponse à la crise syrienne, Amel et ses 800 volontaires et travailleurs ont apporté près de 1,500,000 services aux populations affectées, à travers les 24 centres et 6 cliniques opérés par l’organisation. Dans ce cadre, Amel met en place des projets liés à la santé, à la santé mentale, à l’éducation, à la protection de l’enfance, aux activités génératrices de revenus (« Livelihood »), au développement rural, au genre, et aux droits humains.

Une telle action, compréhensive, est nécessaire car plusieurs secteurs sont actuellement affectés par la crise syrienne, y compris le secteur de la santé. L’impact économique de la crise syrienne sur le système de santé libanais est considérable. Selon la Banque Mondiale, 177 millions de dollars sont nécessaires afin que la qualité des soins soit du même niveau que celui constaté avec la crise syrienne. Au-delà de la question de la qualité des soins de santé primaire, le système libanais fait aussi face à de grandes difficultés lorsqu’il s’agit de prendre en charge le nombre grandissant de personnes ayant besoin d’accéder aux soins hospitaliers, essentiellement géré au Liban par le secteur privé (le pays comporte un total de 145 hôpitaux privés et 29 hôpitaux publics). Le défi pour les populations vulnérables, souhaitant accéder aux services de santé secondaire, est d’autant plus important que les réfugiés doivent payer 25% des frais d’hospitalisation (le reste étant financé par le HCR.). Afin de répondre au défi de l’accès aux soins de santé, les unités médicales mobiles et centre de santé primaire d’Amel, apportent des services de santé primaires, dans les lieux les plus marginalisés et affectés par la crise syrienne.

Par ailleurs, une des raisons amenant à la détérioration de la situation de la santé au Liban renvoie aux problèmes sanitaires auxquels le pays fait face. En effet, le secteur « WASH » (eau, sanitaire et hygiène) a été particulièrement touché par la crise alors que la gestion des déchets pose un problème majeur, pour le Liban. La quantité de déchets produits au Liban a augmenté de 16% en 2014, dans un contexte où les infrastructures ne répondaient pas, avant la crise syrienne, aux besoins des Libanais. Avec l’amplification de cette crise des déchets au niveau national, la situation actuelle est extrême et augmente les risques de transmission de maladies. 

L’éducation est également un secteur comportant plusieurs besoins non-couverts. Tous les enfants entre 3 et 15 ans ont le droit à l’éducation.. Pour l’année scolaire de 2015-2016, au Liban, seulement 155,095 d’enfants réfugiés syriens ont été inscrits dans un cadre d’éducation formelle, excluant 59% de la population composée des enfants syriens. Il y a donc un risque de créer une « génération perdue ».

Par ailleurs, les jeunes (15-25 ans) souffrent aussi  des impacts de cette crise. 34% des jeunes Libanais étaient au chômage avant la crise et ce nombre n’a fait qu’augmenter avec la crise. De plus, la majorité des jeunes réfugiés syriens (incluant 86% de jeunes femmes) n’a pas d’emploi. L’implication des jeunes dans la vie active est pourtant essentielle pour nos sociétés. Dans ce cadre, Amel met en œuvre différents programmes liés à l’émancipation des jeunes et des femmes, afin de leur permettre d’exercer des activités génératrices de revenus et de renforcer ainsi leurs moyens de subsistance.

L’autonomie financière des réfugiés et des communautés hôtes est cruciale dans le contexte actuel marqué par une augmentation constante de la pauvreté. Ainsi, il est estimé qu’il y a actuellement 1,5 million de Libanais vulnérables, en raison notamment de la crise syrienne. Pour lutter contre les tensions entre les communautés syriennes et libanaises, appauvries par la crise, les ONGs ont une influence majeure. Par exemple, Amel opère des activités sanitaires de qualité dans les régions vulnérables, et renforce, à travers des soins de santé et des sessions de sensibilisation, suivant une approche non-discriminatoire, la cohésion entre les communautés.

Travailler ensemble pour répondre au défi des migrations et des réfugiés syriens. 

Répondre aux besoins de 1,5 millions de réfugiés syriens, absorber un tel choc démographique ainsi que ses conséquences sur les infrastructures, est un défi de taille, sachant que les réfugiés sont dispersés à travers tout le Liban et notamment dans 1,903 camps informels.

Les acteurs locaux apportent une expertise conséquente dans un tel contexte. A travers leurs nombreuses années d’engagement auprès des plus démunis. En effet, ces structures locales ont gagné la confiance des populations. L’importance des ONGs locales se doit donc d’être reconnue par la communauté internationale. 

Amel peut, dans ce cadre, être considéré comme un modèle pionnier, notamment dans le contexte libanais, au sein duquel la division et le confessionnalisme règnent. A travers ses actions, Amel s’attache donc à appliquer une approche universaliste. C’est dans ce cadre qu’Amel est présente dans les deux zones où la guerre civile libanaise a commencé : Ain El Remmaneh et Chiyah. Afin de construire des relations pacifiques liant les deux communautés, Amel a organisé régulièrement des évènements pour promouvoir le dialogue entre elles. 

En rejoignant les populations marginalisées de toutes les régions du Liban, sans discrimination, l’action d’Amel a aidé à renforcer et à promouvoir l’accès des citoyens, réfugiés, et immigrants à leurs droits et a renforcé leur participation à la vie publique. De plus, l’approche de terrain d’Amel lui permet de développer et de maintenir une relation forte, basée sur la confiance, avec les communautés locales. La vision d’Amel est déterminante dans le contexte du Liban. Par exemple, l’association a continué de soutenir des personnes dans des villes au contexte sécuritaire préoccupant telles qu’Ersal. A la frontière syrienne, cette ville a fait face à des confrontations armées impliquant des groupes liés à l’ « Etat Islamique ». Malgré les risques et alors que toutes les ONGs internationales avaient quitté cette zone en 2014, Amel a continué d’apporter de l’aide à la population touchée. Protégée directement par ses bénéficiaires et les communautés locales en temps de confrontation, l’approche d’Amel a prouvé qu’une action engagée, tournée vers les citoyens, est essentielle afin de développer une réponse pérenne, loin des modèles de charité commerciale. 

Par conséquent, Amel contribue à la construction d’une société libanaise démocratique et prospère. L’association a développé le slogan « Pensée positive, et optimisme permanent » et la théorie des 3Ps (Principes définissant une Position qui doit être mise en Pratique) pour encadrer ses opérations, sur le terrain.

C’est sur ces bases qu’Amel s’est internationalisée en 2010, en ouvrant un bureau à Genève. En 2015, Amel France a été créée suivi, en 2016, par Amel USA. Le but d’un tel processus est d’unifier le Nord et le Sud à travers des objectifs humanitaires, de travailler dans l’intérêt des populations vulnérables, de s’engager pour les causes justes des peuples et de poursuivre l’engagement pour la cause palestinienne. Cette dimension internationale a aussi permis à Amel de développer divers partenariats avec d’autres ONGs du monde entier, incluant Médecins du monde, Medico International et Oxfam. Amel prouve ainsi l’efficacité indéniable des ONGs locales sur le terrain et concrétise des partenariats égaux entre organisations du Nord et du Sud. Cependant, cet exemple est très particulier. En effet, bien que la solidarité ait longtemps guidé l’action humanitaire, force est de constater que la réalité est maintenant toute autre.

L’évolution historique des valeurs du secteur humanitaire illustre l’importance grandissante de l’argent. La bataille de Solferino et la Première Guerre Mondiale ont notamment contribué à l’émergence des organisations dites humanitaires. La première étant le Comité International de la Croix Rouge (CICR). Le secteur humanitaire est ensuite entré dans une nouvelle phase avec la rupture entre le mouvement « sans frontières » et le CICR. En effet, avec son action basée sur le principe de neutralité, la Croix Rouge ne reconnait pas officiellement le droit de s’ingérer dans les affaires internationales des Etats. Dans les années soixante-dix, cette contrainte a mené à la création de nouvelles ONGs, mettant en œuvre des actions humanitaires engagées, incluant des entités telles que Médecins sans Frontières, Médecins du Monde et Amel Association International.  

Malheureusement, l’action humanitaire actuelle est trop souvent basée sur la « charity business » et les « BONGOs » (« Business oriented non-governmental organisations »). Selon cette nouvelle approche, les principes d’humanité, d’engagement et de solidarité ont été remplacés par la technicité, la professionnalisation, et l’« industrie» de l’aide humanitaire. Premièrement, des sommes astronomiques sont réservées pour les frais en lien avec l’administration, la coordination, la visibilité et la sécurité. Deuxièmement, les organisations locales sont la plupart du temps sous-financées alors même qu’elles sont les plus efficaces afin d’apporter une assistance humanitaire de terrain, correspondant aux besoins réels des populations affectées par les crises. Ainsi, d’après The Guardian, « moins de 2% des fonds humanitaires vont directement aux ONGs locales ».

Une autre illustration du manque de solidarité entre le Nord et le Sud est la réaction européenne à la crise des réfugiés. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a noté une augmentation significative d’individus traversant les frontières européennes en tant que migrants. En 2014, 300 000 personnes ont été enregistrées alors que ce nombre a atteint plus de 1 million de personnes en 2015. Il est clair que ces individus ne sont pas venus en Europe pour obtenir des aides familiales ou des aides au chômage, ils ne sont pas venus en Europe pour voler les emplois des communautés locales ou pour dicter un certain mode de vie, comme beaucoup d’Européens d’extrême droite le proclament. Tout comme les réfugiés présents au Liban et dans d’autres pays, ils essaient d’échapper à la guerre, de sauver leurs enfants et leur famille ainsi que leur propre vie. De plus, la plupart des réfugiés doivent vivre dans des conditions terribles, avec une sécurité minimale et ce, notamment dans des camps informels. En 2014, les pays de l’Union Européenne ont donné l’asile à 184,665 réfugiés alors que plus de 570,000 individus avaient envoyé une demande d’asile. Où sont ces migrants maintenant rejetés par l’« Europe forteresse » ? Dans quelles conditions doivent-ils vivre ? Ces personnes sont dans le besoin urgent d’une assistance humanitaire. Cependant, l’Europe ferme ses frontières. De plus en plus de pays européens, comme la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, le Danemark, ainsi que la Suède rejoignent l’ « Europe forteresse ». 

Enfin, tous les pays doivent montrer leur solidarité avec les réfugiés: il est inacceptable qu’un pays comme le Liban, avec sa population de seulement 4 millions d’habitants, ses problèmes économiques, géopolitiques et politiques, accueille plus de 1,5 millions de réfugiés, alors que des pays européens développés comme la France aient fixé un quota de quelques milliers de réfugiés. Les pays européens et plus généralement les pays développés doivent aider les voisins de la Syrie dans la réponse à la crise syrienne; mais ces pays doivent aussi être directement impliqués pour trouver une solution politique à cette crise.

Recommandations 

Il s’agit donc de s’assurer que toutes les populations, notamment celles affectées par la crise syrienne, vivent dignement. C’est en ce sens qu’Amel propose les recommandations suivantes afin d’aider le Liban, qui aide la Syrie :

  1. Œuvrer à une solution politique pour mettre fin au conflit syrien et engager l’ensemble de la communauté internationale dans ce processus. 
  2. Baser l’action humanitaire sur la solidarité et éviter de mettre en place des opérations qui sont seulement techniques ou commerciales.
  3. Accepter la relocalisation d’au moins 10% des refugiés syriens vers les pays occidentaux.
  4. Coopérer afin de s’assurer que l’action humanitaire est basée sur des relations justes et égales car « nous sommes un seul monde, avec un seul futur ». 
  5. Développer des partenariats justes pour un monde plus humain entre les sociétés civiles du Nord et du Sud. 
  6. Augmenter les investissements dans les secteurs clés de la réponse à la crise syrienne afin de créer des opportunités génératrices de revenus, particulièrement pour les femmes et pour les jeunes. 
  7. Reconnaitre les besoins des communautés hôtes et y répondre afin d’atténuer les impacts socio-économiques dramatiques de la crise.
  8. Eviter la mise en place de doubles standards entre le Nord et le Sud et promouvoir une action humanitaire juste, s’engageant contre le néo-colonialisme. 
  9. Inclure dans la réponse à la crise syrienne des programmes de développement durable et un financement à long terme.
  10. Instaurer une contribution financière obligatoire, reliée aux opérations humanitaires, pour les Etats, suivant la même approche que celle adoptée pour les missions de maintien de la paix. 

Dr. Kamel Mohanna

Président, Amel Association International, Coordinateur général, Collectif des ONGs libanaises et arabes, Professeur de Pédiatrie, Université Libanaise

Facebook: https://www.facebook.com/AmelAssociation

Twitter: https://twitter.com/AmelNGO

Site internet : www.amel.org

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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