Volonté et consentement : La déclaration ministérielle du 7 octobre 1943

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سلام من الجالية اللبنانية في العالم الى اهالينا في لبنان
سلام من الجالية اللبنانية في المغرب وشمال إفريقيا الى الجالية اللبنانية في فرنسا وأوروبا…
« Le Liban s’honore d’avoir été au cours des siècles un phare de libertés fondamentales et culturelles.
Aujourd’hui, tout Libanais peut être fier de poursuivre cette lignée glorieuse, que les enfants du Liban présents aux quatre coins du monde représentent au mieux.
A tous les Libanais absents, à chacun de nos chers émigrés, j’adresse au nom de la nation libanaise le salut du Liban avec le sentiment d’un attachement dont les liens sont impérissables. »
Béchara El-Khoury

Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis, chers compatriotes,
Nous voilà réunis ce soir autour d’un événement que nous avons voulu, Elie Aouad et moi, partager avec vous : les timbres au nom des « Hommes de l’indépendance » enfin parus le 14 juillet 2015.
Est-ce un hasard que ce projet ait pu voir le jour, un 14 juillet, une date de fête nationale, pour ma deuxième partie en moi, la française que je suis devenue ?

Ces timbres à l’effigie de ces hommes de l’indépendance sont le fruit d’un long projet entamé au printemps 2014.
L’autre visage du Liban, est aussi dans son Histoire, à travers ses Hommes qui ont œuvré ensemble pour constituer aux générations à venir, cette part de l’Histoire. Et quand je parle d’Histoire, ce n’est pas seulement de la politique … L’Histoire du Liban est un ensemble constitué de plusieurs paramètres qui ont fait de nous des Libanais qui rayonnent dans le monde entier, en dépit de notre quotidien au pays, lourd de conséquences.
Le but de ces timbres au nom des « Hommes de l’indépendance » est de leur rendre ainsi hommage, au nom de la diaspora libanaise, en tant qu’artisans du Pacte National ; un pacte qui a scellé l’entente islamo-chrétienne, et bien au-delà, le désir de constituer ce pays indépendant qu’est le Liban. Ce fut le parcours du combattant ! Mais nous avons réussi à braver les étapes. La complexité administrative et sa lenteur passant par ces clivages à droite et à gauche, ont fait que ces timbres n’ont vu le jour, que le 14 juillet 2015. Ce sont des timbres en série limitée ce qui a nécessité l’accord d’un conseil des ministres, C’était en octobre 2014. Le message derrière ce projet est de : Rappeler des faits et des hommes qui ont scellé le pacte national et l’entente entre Libanais. Plus que jamais, ce message est d’actualité !

” Dans ces circonstances difficiles, je considère que cette publication a une importance particulière pour rappeler aux Libanais l’exemple de Riad el-Solh et Béchara el-Khoury qui placèrent l’intérêt du Liban avant tout autre intérêt et ont mené des batailles contre leurs propres partisans. Ces partisans n’étaient pas alors convaincus par l’indépendance et se querellaient, tournés les uns vers l’Orient les autres vers l’Occident, jusqu’à ce que la volonté nationale l’emporte d’une manière qui couronna Riad Solh et Bechara el-Khoury.
Dans les circonstances difficiles que traverse le Liban, qui nous imposent des idées et des projets qui s’accordent avec l’esprit de Riad Solh, nous voyons dans la célébration de la publication de ces timbres commémoratifs la preuve que nous restons attachés au Liban uni et démocratique, au Liban souverain et libre, au Liban du droit et de la loi. ” [Extrait du discours du Ministre Boutros Harb le jour de la remise des timbres, le 14 juillet 2015].
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Béchara El-khoury et Riad El-Solh, des noms de personnes qui demeurent intactes dans notre conscience collective. Par delà les mémoires étriquées des clans, c’est cette mémoire nationale que je voudrai et dont j’ai l’ambition de réveiller auprès de la diaspora libanaise et nos enfants, surtout quand cette population diasporique est plus importante que la population locale, le rapport au territoire devient forcement particulier. Cette diaspora qui est le fruit d’effet « push » et d’effet « pulls » une sorte de répulsion et d’attraction, entre la fuite et la réussite.

L’image du pays du Cèdre, aujourd’hui est loin de celle qu’on veut véhiculer, sans parler de la vacance de la première magistrature du pays, à savoir le siège présidentiel. Nous sommes en octobre 2015, et il manque toujours à mon pays natal, un Chef d’État, un Président de la République libanaise…Loin de vouloir polémiquer, mon intérêt est juste de persévérer et de parler du Liban autrement, car ce Liban, c’est vous, c’est nous tous ici réunis, nous parents et enfants de la diaspora… Cette diaspora qui dépasse largement en nombre la population locale du pays…Nous sommes les racines de ce Cèdre géant implanté à travers frontières et nous avons le devoir d’aider le pays à se lever… Notre pays a un droit sur nous… Il est aussi à l’image de ce qu’on lui donne !!!

Bien qu’il soit une réalité géopolitique qui s’impose depuis le 1er septembre 1920, le Liban en tant qu’identité, que Nation, que peuple, qu’État, et que régime, reste jusqu’à nos jours sujet de débat, à cela s’ajoute la crise et la vacance du premier siège de la magistrature, la présidentielle. L’histoire du Liban, nous ne pouvons pas la relire sans être touché et envahi par la nostalgie, sans nous demander pourquoi en sommes-nous arrivés là, sans nous poser la question sur notre rôle et notre responsabilité. En préparant ma conférence, en relisant et en cherchant, je me suis rendue compte que nous sommes en perpétuel conflit et discorde et ça va en se dégradant, jusqu’à même mettre en cause et en doute, notre système constitutionnel, notre Pacte…
Plus que jamais, l’édifice institutionnel ne nous a paru aussi fragile et aussi menacé. Certes les changements sont nécessaires pour une société en perpétuel avancement et évolution, mais un changement progressif est nécessaire … Car pour arriver à l’Indépendance, d’autres avant nous se sont battus et se sont sacrifiés et nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher leurs legs. Un retour sur les traces de nos ancêtres proches mériterait un arrêt ! Nous sommes en 1943.
Volonté et consentement résument toute une partie de l’histoire et donnent naissance à l’indépendance du Liban. Volonté et consentement, ne sont-ils pas deux piliers du concept de la « nation moderne » ? Deux hommes personnifient ce que l’on appelle le « Pacte National », Béchara el-Khoury et Riad el-Solh qui représentaient alors respectivement les deux ailes, demeurées disjointes durant le mandat, du peuple libanais.
« J’ai décidé, écrivit Béchara El-Khoury, de confier le poste de [Premier ministre] à Riad El-Solh. Un homme d’une grande intelligence et d’un rare courage, qui était très estimé, au Liban et dans les pays arabes. Nous nous sommes rencontrés deux jours avant les élections [présidentielles] et nous sommes entendus sur ce point. »
« Nous voulons une réelle indépendance,
Nous voulons une souveraineté nationale absolue,
Nous voulons disposer de nos ressources comme nous le jugeons bon, selon le seul diktat de notre intérêt national. Voilà le mot d’ordre de ce gouvernement que j’ai l’honneur de former et diriger », déclare Riad El-Solh le 7 octobre 1943.

La déclaration ministérielle du 7 octobre 1943, est d’abord la déclaration de l’indépendance. L’accord Khoury-El Solh fut développé, lors de cette 1ere déclaration ministérielle. Elle est l’élément de base d’un programme gouvernemental qui prit le nom de Pacte National : « Souveraineté et indépendance à l’égard de tous les États. » « Indépendance » ne signifiait pas seulement « souveraineté ». Il voulait aussi dire « Unité Nationale », « unité islamo-chrétienne » ; Elle a finalement trouvé son expression dans une alliance entre ces deux pères de la Nation. Un accord qui consacra la volonté de vivre en commun et qui amena les deux parties contractantes à accepter des concessions substantielles. Elle annonce l’indépendance mais fut « surtout l’expression de la volonté de réaliser cette indépendance. »
La déclaration ministérielle du 7 octobre 1943, annonce pour le Liban « patrie dont le visage est arabe » la nécessité politique et économique de coopérer avec le monde arabe, « mais coopération ne saurait signifier subordination et encore moins, union ou même fédération ».
Le problème politique auquel étaient confrontés ces deux protagonistes, c’était l’ampleur des compromis que chacun d’eux pouvait consentir dans le partage du Pouvoir. La nouveauté originale de ce pacte c’est qu’il traduisit une conciliation habile et heureuse entre la souveraineté et l’arabité. Le rapprochement entre chrétiens et musulmans avait permis de dégager une nouvelle majorité multiconfessionnelle dont l’objectif était l’indépendance.
Ne sommes-nous pas aujourd’hui dans la nécessité d’avoir à nouveau une nouvelle majorité dont l’objectif serait la souveraineté et l’indépendance, une majorité qui ferait passer l’entente dans le pays avant toute autre considération ? N’avons-nous pas le droit à la deuxième chance ?
Si les bouleversements qui affectèrent le pays les années suivantes ont effacé et détruit presque toutes traces de ces efforts fondateurs, nous retiendrons de Riad El-Solh son programme politique, sa patience et son obstination à vouloir réaliser ses projets. Les disparités sociales provoquées par le confessionnalisme ne lui avaient pas échappé. La corruption non plus, tout comme les portes ouvertes au tout-venant, qui permettaient l’ingérence des puissances étrangères dans le destin du pays, profitant des rivalités politico-confessionnelles. Tout cela faisait peser sur l’équilibre du pays [et ça continue encore].

Il proclama ainsi son intention d’abolir le confessionnalisme. Il était conscient qu’un objectif de cette nature ne pouvait se réaliser autrement que par la politique. Un idéal à atteindre au pays du Cèdre … 72 ans après, nous rêvons, nous l’espérons encore …
Seul le travail politique, quand il s’accompagne de moyens, de plans, et de l’adhésion de l’ensemble des acteurs révèle le potentiel de toutes les autres activités. Il vérifie surtout par l’épreuve du réel, la correspondance entre le principe qui dirige l’action et sa réalisation, en montrant s’il a conduit ceux qui ont pensé y trouver le chemin du bonheur éternel à la catastrophe ou non.
Il fallait beaucoup de patience et de sagesse pour concilier l’entreprise de construction nationale et le maintien à l’unité nécessaire à la garantie de ce travail. Plus que jamais nous sommes aujourd’hui confrontés à cette nécessité de maintenir notre union et préserver ce legs historique.

Assassiné à 57 ans, ce « Za’im du jihad » (le jihad de son temps et non pas du nôtre), comme on le surnommait, Riad el –Solh militait dans sa jeunesse pour l’unité arabe, Il n’a cependant pas hésité à faire marche arrière quand il a vu que cela pouvait provoquer la division et la destruction de la nation. Il a trouvé dans l’indépendantisme un principe qui pouvait rassembler les rangs. Ce que l’on nomma le « pacte National » n’était pas un principe abstrait ou une doctrine indépendante du contexte et des équilibres politiques. Il s’agissait d’une réponse de grande sagesse aux défis politiques qu’avaient germé au moment de l’accord et continuent, d’ailleurs… Tout cela dans une société qui avait hérité d’un lourd passif de discorde communautaire par rapport aux grandes décisions politiques.

Face à tous ces défis de l’époque, le pacte a tiré sa force de sa capacité à l’emporter sur tous les courants qui déchiraient la société. Dans la déclaration ministérielle de son 3e gouvernement qu’il forma en décembre 1946, il a explicité ce que voulait dire la formule :

« Nous avons donné naissance à l’État,
il nous reste à construire la Nation »

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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