Jocelyne Khoueiry nous a quittés le 31 juillet dernier. L’éditeur de son unique biographie autorisée, Le Passeur Éditeur à Paris, la publie aujourd’hui en version de poche. Les auteurs, Nathalie Duplan et Valérie Raulin, n’ont pas souhaité modifier le texte d’origine de Jocelyne Khoueiry l’indomptable écrit en totale collaboration avec leur amie. En revanche, elles le font précéder d’un avant-propos (et d’un avertissement) en forme d’hommage que nous reproduisons ci-après :

Nous ne pensions pas avoir à écrire ces lignes, un jour, tant il nous est difficile de concevoir le Liban en ton absence. Tu es désormais « l’absente toujours présente », pour reprendre ton expression lors de l’hommage que tu rendis à Bachir Gemayel.

Ces paragraphes sont les plus pénibles qu’il nous ait été donné de rédiger. Notre éditeur, le tien, Christophe Rémond, nous a suggéré de les ajouter à l’histoire de ta vie pour cette édition de poche. Nous n’avons pas voulu les intégrer au corps du récit, car rien de ce qui y est consigné n’a été décidé sans toi. D’où ces mots en forme de message : à toi, chère Jocelyne, partie en ce triste 31 juillet 2020.

« Suis malade chères amies : œdème au cerveau, nodules à identifier dans le poumon droit. Je revois le parcours de Sousou[1]. Union de prière à la rue du Bac. » C’est en ces termes que, le 8 janvier 2019, tu nous as annoncé le combat que tu devrais mener. Tu nous connais bien ; tu sais qu’en nous informant ainsi, sans délai, nous prendrions un avion pour honorer notre engagement de toujours être près de toi quand tu en éprouverais le besoin ou le désir. Merci de ce feu vert, chère amie…

Nous voulons t’exprimer notre reconnaissance : il y a plus d’un quart de siècle, tu nous as accordé ta confiance, tu as accepté notre amitié, et tu nous as donné la tienne en retour. Cela n’a pas de prix ! Depuis, tu fais partie de notre quotidien, et le Liban est devenu notre patrie, avec toi pour principal guide. Avec ta maladie, tu as ouvert la porte au partage du plus intime de l’intime. Cela, non plus, n’a pas de prix ! Il ne nous appartient pas de livrer, ici, le détail de ton calvaire durant ces mois de souffrances indicibles. Mais nous voulons te témoigner notre gratitude de nous avoir permis de t’accompagner, jour après jour, dans cette ultime étape de ton parcours terrestre. Ta famille a bien voulu qu’il en soit ainsi : qu’elle en soit remerciée ; tout comme « tes filles » de La Libanaise – Femme du 31 mai, qui ont accepté notre présence.

Au plus profond de ces heures amères, nous avons trouvé une apaisante consolation auprès des moniales du carmel de la Theotokos et de l’Unité, à Harissa, celles-là mêmes grâce auxquelles nous avons fait ta connaissance en mai 1994. Les 1er et 2 août 2020, de façon tout à fait exceptionnelle, elles t’ont ouvert leur chapelle pour que tes proches te veillent sans discontinuer. En plus de ce geste émouvant, elles t’ont symboliquement remis le voile noir des carmélites, celui qui signifie que la personne est donnée à Dieu pour l’éternité. Pour toi qui as renoncé à entrer au couvent, en 1980, parce que Bachir Gemayel t’a demandé de prendre la tête des femmes militantes, quel cadeau. « Inestimable ! », « Che bello ! », nous semble-t-il t’entendre murmurer, selon deux expressions que tu affectionnes… Tu les chuchotes, sans doute aussi, en considérant la présence indéfectible de Fouad Abou Nader. De là où tu demeures désormais, tu peux mesurer à quel point il a été plus qu’un frère pour toi, dans ses attentions visibles et dans son dévouement caché…

Deux jours après tes funérailles, nous étions à ton bureau, au Centre Jean-Paul II, avec plusieurs de « tes filles ». Ce 4 août, peu après 18 heures, nous avons été rattrapées par l’explosion qui a dévasté la capitale libanaise. Le choc a succédé à la sidération. Ou était-ce l’inverse ? Une question nous taraude : Comment le Liban pansera-t-il ces nouvelles blessures sans toi ? Au chevet de Beyrouth meurtrie, nous imaginons ton déchirement devant tant de désolation. Tu aurais le cœur brisé de voir la ville que tu as défendue durant la guerre, ruelle après ruelle, ainsi détruite. Et tu serais ravagée d’apprendre que Nazo, Nazar Najarian, ton camarade de combat, a péri dans la catastrophe. Au moins as-tu échappé à cette affliction.

Comme elles l’avaient fait après le conflit de 2006, des personnes pour qui le Liban a pris un visage à travers ton portrait, apportent aujourd’hui leur généreuse contribution à la reconstruction. Tu vois, cela valait la peine d’écrire ce livre. Nous avons eu raison d’insister durant de longues années. Tu as eu raison de t’y résoudre. Finalement !

En te retirant juste avant ce cataclysme, tu n’as pas pu abandonner ce pays pour lequel tu as donné ta vie. Nous attendons donc de voir comment tu vas le servir maintenant. Car, « si l’huile de ta lampe s’est éteinte », la flamme est toujours allumée… Ce jour-là, peut-être, aurons-nous le cœur d’ajouter un nouveau chapitre à ton livre.

Beyrouth, 27 novembre 2020

(jour de Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, vénérée à la rue du Bac…)

Nathalie Duplan

Valérie Raulin


[1] Une de ses « filles » morte d’un cancer du poumon le 19 décembre 2018

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