Nous revoilà à nouveau le 13 avril. C’est pour moi la date, que j’attends et que j’appréhende toute l’année. Certes c’est le début du printemps mais surtout la résurgence brutale, de toute la douleur collective enfouie.

A chaque fois je me dis, que ces quelques heures vont vite passer mais je sais que le temps va  subitement, s’arrêter et se figer. Et puis au-delà des sensations et des souvenirs, c’est l’heure de dresser un bilan. Depuis quatre décennies, le cycle libanais commence et se clôture, le 13 avril.

Au-delà du nombre de victimes et de dégâts occasionnés, la tragédie libanaise aurait dû être porteuse, de leçons pour l’avenir. Surtout qu’elle a été rattrapée hélas, par tous les autres printemps sanglants, des pays arabes.

Comment un espace de convivialité peut devenir, un espace féroce d’affrontement ?

Aujourd’hui nous avons toujours au Liban, d’une part  une faction communautaire armée  de la population, poursuivant  unilatéralement sa politique au delà de nos frontières  et d’autre part, un flot disproportionné de réfugiés, qui affrontent ,des conditions de vie dramatique mais avec lesquels il va falloir trouver, des solutions difficiles et à long terme. Et bien sûr le blocage désastreux des institutions, par les différents chefs communautaires car le Liban, ne semble plus être une démocratie parlementaire mais une fédération de communautés. Notre constitution dont nous étions si fiers, est presque désarticulée. Deux ans de vacances présidentielle et parlementaire et un gouvernement aléatoire, qui avance, vaille que vaille, par à-coups et voltefaces.

Des politiciens qui s’insultent, à longueur de journée et une population civile, livrée à elle-même. A défaut d’homme providentiel, y a-t-il quelques hommes de bonne volonté de tous bords, pour soulever cette charge collective ?

Il va falloir tôt ou tard ,définir objectivement le pluralisme culturel, à travers des paramètres anthropologiques  identitaires, reconnus depuis l’émergence des premières structures sociétales (paramètres d’Hérodote : religion, race, langue et mœurs) et évaluer en toute loyauté, si les Libanais disposent ensemble ,d’un vécu et de valeurs communes, qui leur permettent de durer  et d’envisager sereinement, un devenir en tant qu’entité ou s’ils sont provisoirement et artificiellement ensemble,  par défaut et non par choix, en attendant des opportunités meilleures.

Un pays se définit et se décline. La grille paramétrique identitaire n’est pas une accommodation mais une nécessité vitale, à partir de laquelle on établit, une vraie charte de vivre ensemble.

Après la résistance palestinienne sunnite armée, les forces libanaises maronites armées, nous avons aujourd’hui, le parti de dieu chiite armé. Les trois grandes communautés, se sont armées tour à tour, pour se protéger ou prendre le pouvoir, entraînant inéluctablement, l’armement des autres communautés. Seule l’armée libanaise nationale est supposée détenir, le monopole des armes. L’armée d’un pays est censée être, la seule garante de sa sécurité. C’est parce que l’armée s’est retrouvée affaiblie, face aux différentes milices communautaires  successives, que le pays ne pouvait plus être contrôlé. Même si la  trop grande proximité de l’armée et du pouvoir, pourrait  constituer une menace, sur la démocratie et les libertés individuelles. A défaut de maturité démocratique, c’est hélas soit la restriction des libertés, soit le risque latent d’une guerre civile.

On aurait espéré, après toutes les épreuves traversées ,que la classe politique libanaise dans son ensemble, ne s’accroche plus à son fonds de commerce communautaire et qu’elle n’utilise plus, le système confessionnel à des fins personnelles, familiales ou exclusivement communautaires. La répartition du pouvoir entre les différentes communautés, était censée produire une valeur ajoutée, à travers la représentativité équitable, garante des libertés des groupes entre les libanais et non une discrimination arbitraire, un instrument de mobilisation idéologique et d’accaparement. Il y a quelque chose de corrompu et de vicié, dans la dénaturation de notre projet commun et dans le détournement, de nos institutions. Il ne s’agit pas de claironner à tout vent, que nous sommes le pays message et non le pays mensonge (tel que décrit récemment et de manière indigne, par un caricaturiste malencontreux), il faudrait plutôt expliciter et réhabiliter, l’expérience libanaise pionnière, dans ce qu’elle a de plus fondamental.

On fonde une nation sur des fondamentaux et non sur des conjonctures régionales et des échéances électorales. Si ce fut la guerre des autres sur le sol libanais, c’est que les Libanais eux-mêmes ont accepté, de devenir un terrain de jeux et d’enjeux qui leur échappent, pensant qu’ils devenaient des acteurs régionaux et internationaux, alors qu’ils perdaient le contrôle de leur espace et de leur destin.

Le 13 avril  1975 continue à nous hanter, plus de quatre décennies après, car nous y sommes toujours enfermés.

Par Bahjat Rizk

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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