Aujourd’hui n’est pas un 22 novembre comme les autres. C’est un 22 novembre où l’on est à la fois fier, ému, et déterminé. C’est le premier 22 novembre après 1990 où les Libanais ont le droit de fêter l’indépendance et de défiler fièrement au centre de Beyrouth, qui se dépouille de toutes les appellations dont on l’a affublé au fil des ans et qui redevient El Balad*, le cœur battant à 10452 pulsations par minute.

A chaque commémoration de l’indépendance, les politiciens en costard-cravate s’accaparaient le défilé militaire à eux seuls, empêchant le peuple de prendre part aux célébrations, l’excluant comme ils ont toujours su l’éliminer de leurs préoccupations et de leurs équations politiques. Aujourd’hui le peuple a pris sa revanche, mettant à l’honneur son unité et sa diversité, son drapeau et son hymne national, et surtout son Armée qui était au cœur du défilé avec les militaires à la retraite, le motif du camouflage, le drapeau et le portrait du chef de la grande muette.

D’ailleurs, cette année, l’Armée libanaise a donné la parole au peuple libanais, dans un geste très symbolique à travers la campagne « En défense du ____ Liban » en impliquant son peuple à remplir le vide avec le mot qui lui convienne. Ainsi, en utilisant la dernière phrase du serment que prononce le militaire, il a été voulu subtilement de faire un clin d’œil au peuple et lui faire savoir que la donne a changé, qu’il a pleinement le droit et le choix, et que sa voix est désormais entendue.

Ce que nous avons tous vu et vécu aujourd’hui depuis le cœur de Beyrouth, a ravivé au fond de nous un sentiment d’appartenance à la patrie et au peuple libanais. Je n’aurais jamais cru qu’un jour, après avoir écrit des tas et des tas d’articles depuis 2006 et des poèmes depuis mes onze ans, faisant état de mon désespoir face à l’ineptie du peuple libanais devant la corruption, je serais témoin de mon vivant, de l’insurrection et l’union de tous les Libanais contre le système pourri. Maintenant, mon cœur peut être en paix, car mes yeux ont vu et mes oreilles ont entendu, l’alliance de mon peuple et de son salut.

Cela fait de surcroît plus de trente-trois jours que ça dure. Dans une ambiance insolite, où le peuple fait preuve de créativité, de résilience, de résolution et de beaucoup d’amour… de quoi en être vraiment fier. J’ai eu cette fierté le 14 mars 2005, mais elle n’a duré qu’un seul jour, parce que le soir même, Joumblatt et consort s’étaient adressé au peuple en le chassant chez lui parce qu’ils sont là pour prendre la relève. Résultat, 14 ans se sont écoulés avec encore plus de corruption et d’injustice. Mais ce vendredi 22 novembre 2019, le peuple a la ferme intention de dire qu’il est là, et que c’est aux politiciens de rentrer chez eux.

Depuis le 17 octobre 2019, la donne est différente. Les Libanais unis sous le même drapeau, le seul, l’unique, le drapeau libanais avec le cèdre en son cœur, et les bannières partisanes sont foulés sous leurs pieds. Non ce n’est pas de la poésie, c’est la réalité, et il faut parfois se pincer pour le croire vraiment. Le temps n’est pas à l’écriture, le temps est aux manifestations, à la voix du peuple, à la détermination, à la résistance.

Le géant endormi depuis des années s’est réveillé, ce géant écarté de tout avant le 17 octobre. Il a décontenancé la classe politique qui s’est évertuée à mener des tentatives de sabotages depuis. On nous traite de tous les noms, on nous diabolise, on nous dénonce, on nous classe au rang de traîtres, de vendus, de collabos, etc. C’est le seul langage qu’ils comprennent d’ailleurs parce qu’ils ont toujours été vendu au plus offrant, et ont toujours été prêts à pactiser avec le diable pour leurs propres intérêts.

Aujourd’hui, ce peuple, ce grand, ce géant, ce génie, ce héros, je le prie et le supplie de tenir bon, parce que le plus dur reste à venir. Combattre des mafias politico-économiques n’est pas chose facile, mais sachons que sans nos voix dans les urnes, ils ne valent pas un sou. Œuvrons tous ensemble, dans la même ambiance solidaire et déterminé qui a régné pendant ce défilé de l’indépendance inédit, pour que le 22 novembre prochain, cette parade devienne une nouvelle tradition, que nous fêterons avec plusieurs autres victoires.

*Balad: Ancien nom, qui veut dire le pays, qu’utilisait les libanais avant 1990 pour désigner le centre-ville de Beyrouth.

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

1 COMMENTAIRE

  1. Merci pour ce bel article et ses paroles qui m’ont mis les larmes aux yeux d’émotion. Longue vive le Liban et la révolution de tous les libanais, que Dieu leur vienne en aide et leur donne la force de continuer et surtout réussir, à nous rendre notre Cher Liban.

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