Le Premier Ministre Saad Hariri, annonçant sa démission, le 29 octobre 2019. Source Photo: Dalati & Nohra
Le Premier Ministre Saad Hariri, annonçant sa démission, le 29 octobre 2019. Source Photo: Dalati & Nohra

Alors que le nouveau gouvernement tarde toujours à se constituer (même si le président du Parlement, Nabih Berri, leader du mouvement Amal, s’est rallié à l’idée d’un gouvernement de technocrates ; et malgré le fait que Walid Joumblatt, leader du parti socialiste progressiste, a été repoussé dans les rangs de l’opposition), Saad Hariri, chef du gouvernement démissionnaire (en charge d’expédier les affaires courantes), se comporte en véritable chef de clan. 

Son comportement démontre que le prochain gouvernement ne pourra pas réformer le Liban sans casser les clans comme celui de Saad Hariri, les cartels comme l’Association des Banques du Liban, les agences exclusives et les monopoles mais aussi le clientélisme au sein de l’administration et notamment de la haute-fonction publique. 

S’il a tout d’abord joué un jeu politicien pour pouvoir être désigné une nouvelle fois premier ministre à ses propres conditions en impliquant le Grand Mufti de la République, le Cheikh Abdel-Latif Derian, pour écarter Samir Khatib (après avoir obtenu le renoncement de Mohammad Safadi), Saad Hariri joue désormais au chef de clan pour pouvoir maintenir ses proches quitte à utiliser un ton menaçant. 

D’une part, il défend les anciens premiers ministres issus des rangs de sa formation politique, le Courant du futur, c’est-à-dire son père Rafic Hariri, Fouad Siniora et lui-même, ainsi qu’un ancien premier ministre proche de lui, Tammam Sallam. D’autre part, il prend fait et cause pour des personnalités proches de lui dont les postes sont menacés (leurs démissions ou limogeages sont réclamées par les manifestants) : le général Imad Osmane, chef des Forces de sécurité intérieure (FSI, police) et Riad Salamé, le gouverneur de la Banque du Liban (BdL, la banque centrale). 

Saad Hariri prétend que la dette du Liban est principalement due à l’électricité afin de désigner le Courant patriotique libre (CPL) comme responsable car le ministre de l’énergie est issu des rangs de celui-ci ou de ceux du parti Tachnag (avec lequel le CPL est allié) depuis 2008 : Alain Tabourian (Tachnag) de 2008 à 2009, Gébran Bassil (CPL) de 2009 à 2014, Arthur Nazarian (Tachnag) de 2004 à 2016, César Abi Khalil (CPL) de 2016 à 2018 et Nada Boustani Khoury (CPL) de 2018 à 2020.

Or, en réalité, la dette est principalement due à la politique économique des gouvernements depuis 1992 (à l’exception de celui entre 1998 et 2000) et à la politique de la BdL depuis 1992 (notamment les taux d’intérêt élevés et la parité entre la livre libanaise et le dollar américain) aggravées par la corruption, le détournement de fonds publics, la bulle immobilière, l’occupation syrienne entre 1990 et 2005 et le poids socio-économique de la présence de réfugiés syriens (depuis 2011) et palestiniens. L’électricité n’arrive qu’ensuite. Saad Hariri a affirmé ces derniers jours que « personne ne peut destituer » Riad Salamé.

Les FSI sont critiquées en raison des violentes confrontations avec des manifestants qui s’insurgent (notamment le 15 janvier 2020 dans le quartier Hamra à Beyrouth mais aussi le 18 janvier 2020 au centre-ville de Beyrouth, journée la plus violente depuis le début du mouvement de contestation avec près de 400 blessés) et de l’usage de la violence à l’encontre des journalistes présents. Les manifestants insurgés s’en prennent notamment à la BdL et aux banques libanaises. Saad Hariri, qui est sunnite, a accusé, sans le nommer, le « duo chiite », c’est-à-dire le mouvement Amal et le Hezbollah, d’avoir infiltré ces manifestants pour provoquer de la violence dans un quartier majoritairement sunnite de Beyrouth. Proche de Saad Hariri, le général Imad Osmane, également sunnite, a présenté ses excuses aux journalistes. Sur un ton menaçant, Saad Hariri a mis en garde le prochain gouvernement contre un éventuel limogeage du chef des FSI. 

Après s’en être pris au duo chiite et à Hassan Diab, sunnite, premier ministre désigné qu’il a accusé d’être l’homme du Hezbollah (chiite), ce qui n’a pas manqué de provoquer la colère de la rue sunnite et de créer des tensions avec les chiites, Saad Hariri a désormais un ton plus apaisé envers eux. Il préfère s’en prendre au CPL, la principale formation chrétienne, qu’il accuse de vouloir contrôler le prochain gouvernement. Ce qui n’est pas la réalité. 

En effet, Hassan Diab veut constituer un gouvernement de 18 ministres technocrates, spécialistes dans leurs domaines, se partageant 22 portefeuilles ministériels. Dans ce cas, le prochain gouvernement compterait 4 sunnites (choisis par Hassan Diab), 4 chiites (choisis par le duo chiite : deux par le mouvement Amal et deux par le Hezbollah), 1 druze (choisi par Talal Arslane, l’un des rivaux de Walid Joumblatt) et 9 chrétiens. D’après les dernières informations, Hassan Diab aurait choisi 3 personnalités chrétiennes : Damianos Kattar, Petra Khoury et Marie-Claude Najm. Le courant Marada aurait choisi 1 personnalité chrétienne : Lamia Yammine-Doueihy. Le parti Tachnag aurait choisi la personnalité arménienne : Varté Ohanian. Pressenti pour le ministère des Affaires étrangères, Nassif Hitti, ancien ambassadeur de la Ligue des États arabes en France, n’est pas un proche du CPL. En réalité, le CPL n’aurait donc choisi que 3 personnalités chrétiennes : Ayman Haddad, Raymond Ghajar et Manal Moussallem. 

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