« La Blessure », premier roman de Racha Mounaged

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« La Blessure », premier roman de la Belgo-libanaise Racha Mounaged publié en France aux éditions Complicités en juin 2020.

Comme pour la plupart des romans libanais, le récit de « la Blessure » traite de la mémoire, de l’identité et de la résilience. L’auteure a voulu aborder des thèmes difficiles comme la guerre, le divorce et la maltraitance, à travers le regard d’un enfant.

« J’avais envie de décrire la guerre, cette guerre que j’ai vécue en étant enfant. J’avais aussi envie d’évoquer l’après-guerre, les problèmes de fracture sociale, symbolisés par l’hôtel (El Magnifico) qui grignote la façade maritime. Je voulais montrer comment les habitants se sont vu éjecter de l’espace public, à l’image d’Abu Ali, un modeste pêcheur qui vit en bord de mer et qui symbolise l’attachement à la nature et au passé ».

Hana, femme de ménage au lycée international est atterrée. La conseillère d’éducation vient tout juste de l’informer que son fils Jad, 13 ans, a poignardé un de ses camarades à l’aide d’un couteau à huîtres. On remonte au début de l’année scolaire pour comprendre ce qui a bien pu motiver Jad, 13 ans, élève brillant et appliqué…

Le roman est un flash-back qui se déroule à Beyrouth dans les années 1990 durant les dernières années de la guerre civile et qui nous fait voir le monde à travers les yeux d’un enfant extrêmement fragile et blessé. C’est aussi la blessure qu’il inflige à l’Autre. L’enfant a une sensibilité particulière, il s’identifie systématiquement aux êtres les plus faibles : les victimes, les animaux.

Jad vit une période difficile. Sa famille est disloquée, ses parents séparés. il voit très rarement son père, qui vit à Tripoli. L’enfant s’accroche à ses études. C’est un élève brillant, mais c’est aussi un enfant abîmé, qui vit des épisodes de stress intense et des dissociations traumatiques. Il essaie de s’en sortir, malgré la folie guerrière, malgré les problèmes financiers et les maltraitances familiales. Quand la pression est trop forte, il s’enferme dans sa tête et s’échappe dans ses rêves

On a l’impression parfois que Jad en rajoute, qu’il met exprès du sel sur la plaie. Sa blessure entraine un rapport particulier au monde. Il s’échappe dans ses rêves, il exagère les difficultés, il s’isole… Jad a l’impression d’avoir tout perdu. Il se retrouve isolé, enfermé dans un centre de rééducation Curieusement, c’est à cet instant qu’il va renouer avec le monde.

C’est là que pourra s’opérer le changement. L’enfant se connecte avec lui-même et avec sa souffrance, grâce à une psychothérapie et surtout grâce au regard bienveillant et protecteur de Ramy, un des pensionnaires. Son amitié avec son camarade de classe, Raphael, et avec un vieux pêcheur (Abu Ali) et sa fille (Jana) lui permettent de tenir le coup.

Au moment des faits, il venait d’être sélectionné pour représenter le Liban au concours international d’histoire. Suite à un ultime épisode de guerre, le concours international est annulé. Déçu, l’enfant se « venge » de son harceleur, Youssef. Il le poignarde.

Au fil des pages, on a l’impression parfois que Jad en rajoute, qu’il met exprès du sel sur la plaie. Sa blessure entraine un rapport particulier au monde. Il s’échappe dans ses rêves, il exagère les difficultés, il s’isole… Curieusement, c’est à la fin, lorsque Jad est enfermé, isolé plus que jamais, qu’il va renouer avec le monde. « Une seule main, secourable, peut vous sauver. Une amitié, une « connexion », et le monde devient un endroit moins hostile ». L’enfant trouvera-t-il les ressources nécessaires pour ne pas sombrer définitivement dans la folie ?

Mais Jad n’est pas seulement cet enfant abîmé. Il vit des moments de plénitude et de joie : une amitié avec un pêcheur en bord de mer, la préparation de l’anniversaire de maman, les premiers gestes de séduction avec Jana… L’enfance est là, intacte, avec sa sensualité et ses promesses. L’hypersensibilité de Jad trouve parfois d’autres exutoires. Comment cet enfant parvient-il à articuler ses différentes facettes ?

Quelques récits en bord de mer permettent de révéler une belle amitié entre Jad et le vieux pêcheur, elles sont aussi l’occasion de montrer une fracture sociale. L’hôtel El Magnifico, somptueux, luxueux, étend ses tentacules sur la corniche et menace l’écosystème où vit le pêcheur avec sa modeste famille. Fruit de la privatisation illégale de la côte libanaise, l’hôtel enlève aux petites gens l’accès direct à la mer. Abu Ali s’accroche dans un combat désespéré à sa vieille masure, à la mer, à la pêche et au passé.

« La corniche, où les épisodes les plus lumineux ont lieu, est un endroit de mixité, de liberté, un endroit ouvert et accessible à tous. Dans « La blessure » j’évoque ce que ce lieu a de magique et combien il est précieux pour les habitants de la ville. Il est associé à tellement de souvenirs heureux !
Lorsqu’on a vécu autant de drames et de tragédies qu’au Liban, on se raccroche au moindre rayon de soleil, au moindre signe positif. C’est un peu ce que fait Jad, qui essaie désespérément de s’en sortir à travers les moyens qu’il a à disposition (les études, l’amitié…). Y parviendra-t-il ? »



C’est le rapport au temps qui est modifié ; dans une ville en proie à la destruction, la reconstruction peut apparaître comme une opportunité pour certains, comme une catastrophe pour les autres lorsqu’elle est conduite de manière rapide et sauvage. « Y a-t-il encore une place pour la contemplation dans ce nouveau monde régi par la logique de l’investissement et par son pouvoir transformateur ? » Tout ceci vient en résonance avec les séparations, les dissociations et la guerre civile qui constituent la toile de fond du roman.


Racha Mounaged a vécu à Beyrouth jusqu’à ses 18 ans, puis elle a fait mes études de biotechnologies en France. Elle s’est installée par la suite à Bruxelles où elle réside actuellement.
Elle vient d’une famille de littéraires (père journaliste, mère professeur de français) qui lui ont transmis le goût de la lecture et de l’écriture.
Depuis 2009, elle a suivi une série de formations et d’ateliers en écriture scénaristique, en écriture de contes et en dramaturgie Elle a longtemps cherché sa voie, entre le Liban et l’Europe et elle s’est rendue compte qu’il lui manquait toujours quelque chose à sa vie : C’était la littérature. Ecrire un roman sur Beyrouth lui donne le sentiment d’être enfin rentrée à la maison.
Si « La blessure » est son premier roman, elle a par la suite écrit une pièce de théâtre et en train d’écrire un second roman.







Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].