Le ministre sortant des finances Ghazi Wazni a indiqué que le contrat de l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban par le cabinet Alvarez & Marsal devrait être signé d’ici quelques jours alors qu’une cérémonie de passation s’est déroulée en présence de son successeur Youssef Khalil, par ailleurs directeur des opérations financières de la banque centrale. Il reviendra à ce dernier, souligne Ghazi Wazni de parapher ce contrat.

Il a également estimé qu’il n’existe aucune autre solution à la crise actuelle qu’à travers la relance des négociations avec le Fonds Monétaire International, qui exige la tenue d’un tel audit afin de chiffrer de manière exacte les pertes de la Banque du Liban.

Par ailleurs, le financement du programme d’aide aux personnes plus vulnérables sera assuré par la Banque Mondiale qui indique être prête.

Aussi, une décision de la chambre des députés est nécessaire afin de réglementer le contrôle informel des capitaux unilatéralement instaurés par l’association des banques du Liban

Le nouveau ministre des finances, Youssef Khalil a pour sa part indiqué qu’il s’agit désormais de “corriger et de restructurer la situation”‘, sans évoquer spécifiquement le secteur bancaire pourtant largement impacté par la crise financière.

“Le Liban doit travailler pour prouver sa valeur. C’est un grand défi pour nous, et la bataille est sérieuse”, a-t-il conclu.

Pour rappel, des sources institutionnelles étrangères ont fortement critiqué la nomination du directeur des opérations de la Banque du Liban comme nouveau ministre des finances, en raison d’un conflit d’intérêt entre ce dernier et l’audit juricomptable mené par le cabinet Alvarez & Marsal. Ainsi, il est également l’auteur de la fameuse politique d’ingénierie financière mise en oeuvre entre 2016 et 2018 et qui a été largement critiquée par le FMI lors de ses différentes visites de travail alors.

Pour rappel, la Banque du Liban a longtemps refusé l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban puis un rapport définitif dans les 6 mois à venir, sous le prétexte des réglementations liées au secret bancaire.

Les pertes de la Banque du Liban pourraient être plus importantes que prévues, estiment les observateurs ainsi que les experts du Fonds Monétaire International, en raison de pratiques peu orthodoxes comme le recours du gouverneur Riad Salamé à déclarer unilatéralement d’importants profits fiduciaires pour couvrir les pertes de l’établissement public depuis des années.

Selon un document d’audit confidentiel mais rendu public par des sources anonymes, le gouverneur de la Banque du Liban aurait ainsi annoncé près de 6 milliards de profits fiduciaires rien qu’en 2018 pour couvrir des pertes de 6 milliards de dollars, principalement liées aux opérations d’ingénieries financières qui ont débuté en 2016.

Pour rappel, cet audit est jugé nécessaire au déblocage des négociations avec le Fonds Monétaire International après la déclaration d’un état de défaut en mars 2020. Le Liban espérait alors obtenir une aide de 10 milliards de dollars.

Cependant, les négociations, aujourd’hui suspendues, ont rapidement achoppé sur la capacité des autorités libanaises à mener les réformes nécessaires pour le déblocage de l’aide internationale ainsi que sur le dossier du chiffrage des pertes du secteur financier. Les autorités libanaises estiment ainsi que ses pertes atteindraient 241 000 milliards de livres libanaises sur la base d’un taux de change de 3600 LL/USD, soit 80 milliards de dollars environ, ce que refusent les banques locales via l’association des banques du Liban ou encore la Banque du Liban elle-même. Cette situation pourrait encore être aggravée avec la dégradation des taux de change depuis 2021, la livre libanaise ayant perdu plus de 90% de sa valeur par rapport au dollar au marché noir.

Désormais, ce chiffrage des comptes de la Banque du Liban devrait être mené par les cabinets Alvarez & Marsal pour l’audit juricomptable et par KPMG et Oliver Wyman pour l’audit normal. Pressenti dans un premier temps pour mener l’audit juricomptable, le cabinet Kroll, spécialisé dans la matière a été écarté suite aux pressions du président de la chambre Nabih Berri, estimant l’entreprise liée à l’état hébreu.

Coup de tonnerre, le cabinet d’Alvarez & Marsal annonce son retrait de la procédure d’audit juricomptable, le 20 novembre 2020 après que la Banque du Liban ait refusé de répondre à 57% des questions posées, sous le prétexte du code du crédit et de la monnaie ou encore des législations liées au secret bancaire, plongeant le Liban dans l’incertitude. En effet, cet audit est désormais considéré comme essentiel pour l’obtention de l’aide de la communauté internationale. Le ministère des finances ou encore celui de la justice estimaient que le contrat ne violait pas les textes en vigueur.

Dans son allocution prononcée à l’occasion de la 77ème commémoration de l’indépendance du Liban, le Général Michel Aoun indique que la procédure devrait pourtant aller jusqu’au bout et envisage donc le recours au parlement pour forcer la Banque du Liban a obtempérer alors que le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé se trouverait à Paris afin, indiquent certaines sources, de trouver un accord avec la France, chef de file de la communauté internationale qui reste jusqu’à présent intraitable sur la nécessité de mener un audit juricomptable des comptes de la banque centrale.

Le 7 avril 2021, le Président de la République le général Michel Aoun a publiquement dénoncé la mauvaise volonté du Ministère des Finances Ghazi Wazni et du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé sans toutefois les nommer directement face aux différents écueils et obstacles mis face à l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban et a appelé à une réunion du gouvernement Hassan Diab pour examiner ce dossier et révéler les dessous de ce qu’il décrit quasiment comme un sabotage de la procédure. 

Le chef de l’état a également accusé le gouverneur de la Banque du Liban de pratiques contraires à la législation financière locale, comme l’utilisation de dépôts privés comme réserves monétaires. Le Président de la République avait rappelé les différentes étapes faites par certains partis pour éviter cet audit de la banque centrale. Il a également rappelé que cette procédure n’est pas seulement une demande personnelle du chef de l’état mais également de la communauté internationale, une condition préalable au déblocage des fonds de CEDRE et du FMI.

Par ailleurs, face à la crise, certaines banques correspondantes de la BdL auraient clôture les comptes, indique dans une lettre Riad Salamé.

Depuis, Alvarez & Marsal a indiqué reprendre le processus d’audit juricomptable. Le 30 avril 2021, elle a ainsi indiqué avoir reçu 95% des réponses aux questions pour l’heure posées. Les 5% restants étaient liées à des banques libanaises privées mais détenues en partie par la Banque du Liban qui se retrancherait ainsi sous le couvert de la loi du secret bancaire pourtant gelé temporairement par décision du Parlement pour une durée es effectuées par les banques et les eurobonds, indiquaient certaines sources à l’époque. Pour l’heure, on ignore si finalement le cabinet a reçu ces réponses ou non.

Le 1er septembre, la présidence de la république signe le décret publié par le ministère des finances permettant de financer et donc de débuter les procédures liées à l’audit juricomptable

Le 23 novembre, le journal Al Nidaa révèle que le cabinet envisage à nouveau de se retirer suite au refus persistant de la BdL à fournir les informations nécessaires alors que le parlement examine un nouveau projet de loi afin de permettre la levée du secret bancaire jusqu’à conclusion de la procédure d’audit.

Par ailleurs, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, fait l’objet lui-même d’enquêtes en Suisse, au Luxembourg et en France concernant de possibles détournements de fonds et de blanchiment d’argent.

Des banques lourdement impactées par la crise économique 

Les banques libanaises sont, pour leur part, lourdement impactées par la crise économique que traverse le Liban. Cette crise est apparue au grand jour avec les fameuses pénuries de devises étrangères dès mai 2019, d’abord mises sur le dos de problèmes logistiques par la Banque du Liban avant de finalement reconnaitre que les établissements privés faisaient face à d’importantes crises de liquidité. L’ABL avait alors mis en place un contrôle informel des capitaux dès novembre 2019.  

Jusqu’à présent, les banques libanaises refusent généralement de permettre aux déposants de disposer librement de leurs fonds.

Dès 2019, de nombreux incidents avaient alors éclaté dans les succursales bancaires, des déposants exigeant de pouvoir retirer leurs fonds, ce que refusaient les responsables des banques alors que devrait prochainement être détaillé la répartition des pertes du secteur bancaire, estimée à 69 milliards de dollars selon le gouvernement Mikati III, 83 milliards de dollars selon le gouvernement précédent, un chiffre proche de celui du FMI et à 103 milliards de dollars selon certaines agences de notation.

Au total, les 14 premières banques libanaises à elles-seules nécessiteraient une injection de 65 milliards de dollars, bien au-delà des possibilités d’aide économique estimée à 26 milliards de dollars. Aussi, les haircuts sur les eurobonds ou encore sur une partie des obligations libanaises semblent devenir inévitables, en dépit de la hausse des fonds propres sur décision d’une circulaire de la Banque du Liban.

Depuis, si côté libanais, les décisions judiciaires sont pour l’heure bloquées et l’épargne toujours bloqué amenant à des opérations de retraits forcés menés par des déposants en colère, côté international, plusieurs banques libanaises ont été condamnées à verser d’importantes sommes dues à des résidents à l’étranger, notamment en Angleterre ou encore en France. ,

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