Selon Deir el Fatwa, une proposition de loi pour établir le Mariage Civil au Liban contredit la loi islamique pouvait-on lire dans un communiqué publié par la plus haute autorité religieuse sunnite du Pays des Cèdres.

Deir el Fatwa répondait ainsi à la proposition de la nouvelle Ministre de l’Intérieur, Raya al Hassan, d’établir un cadre légal à une union civile – facultative, faut-il préciser – au Liban, alors que de nombreux couples, mixtes ou non, se rendent à l’étranger pour leurs unions.

Il s’agit d’ailleurs d’une disposition, l’article 25, du même arrêté 60 de 1936 que nous évoquerons qui permet la reconnaissance par l’état d’une union civile de ressortissants libanais contractée à l’étranger.

Dans un pays comptant 18 communautés reconnues, sans compter celles qui ne sont pas reconnues – et donc autant d’usages différents pour le Mariage, il semblerait que certains hommes politiques reculent quand les autorités religieuses s’y opposent comme le rappelle l’Histoire même du Liban.

Ainsi, Deir el Fatwa évoque l’Article 9 de la Constitution Libanaise pour expliquer son refus.

Selon l’instance religieuse sunnite, les dispositions de cet article accordent aux communautés religieuses le droit de légiférer sur le statut personnel qui doivent être consultées en cas de réformes à ce sujet.

Le refus d’une seule communauté est donc suffisant, selon Deir el Fatwa, pour faire avorter un projet de loi à ce sujet.

Article 9 de la Constitution

La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’Etat respecte toutes lesconfessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux.

Une autre des causes possibles pour comprendre le poids de l’avis des instances religieuses est relative au fonctionnement confessionnel du Liban. Cela s’est encore aggravé par les accords de Taëf. Ainsi l’article 19 de l’accord du Taëf accorde aux chefs des communautés le droit de saisir le Conseil constitutionnel concernant les questions relatives au statut personnel, à la liberté de croyance, à la liberté des cultes et, enfin à celle de l’enseignement religieux. 

Ce débat n’est donc pas nouveau. Il est apparu dès la création du Liban et déjà il suscitait l’opposition de la part des autorités religieuses et encore aujourd’hui, il a peu de chance de voir être abouti.

Un débat entamé pratiquement à la création du Grand Liban

La Société des nations avait en effet confié a la France le soin d’amener le Liban et la Syrie à un degré suffisant de développement et d’auto-administration afin de leur permettre l’accession à l’indépendance. En 1920, sera proclamé le Grand Liban.

En 1924, le Haut Commissaire Maxime Weygand avait proposé la mise en place d’un statut personnel unique pour toute personne de nationalité libanaise. Cela avait provoqué l’opposition de toutes les autorités religieuses.

En Avril 1926, Henry de Jouvenel, qui avait succédé comme autorité désormais civile en lieu et place des militaires à Maxime Weygand, avait décidé de transmettre les dossiers relatifs aux litiges au sujet des statuts personnels à des tribunaux civils sauf à ceux relatifs aux mariages.

Puis il envisagera d’unifier le statut personnel civil à celui relatif au Mariage civil. Cette proposition fera l’objet d’une opposition dure des instances religieuses qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes.

Dès son arrivé en 1926, Henri Ponsot nommé Haut Commissaire en charge du Mandat sur ce qu’on appelait alors le Grand Liban, souhaitait mettre un système régissant les différentes communautés religieuses.

Selon Henri Ponsot, Dans cet esprit, il fallait « élaborer un statut organique pour la Syrie et le Liban en accord avec “les autorités indigènes” et favoriser les autonomies locales.

De fait, les autorités du Mandat n’imposeront pas le statut du Mariage Civil sans l’accord des autorités libanaises ou syriennes d’alors.

Le Comte Damien de Martel. Source photo Wikipedia.com
Le Comte Damien de Martel. Source photo Wikipedia.com

C’est à son successeur Damien de Martel en remplacement d’Henri Ponsot envoyé en Syrie et au Liban pour occuper le poste de haut-commissaire de France au Levant qu’il reviendra de s’atteler à cette tâche en proposant l’arrêté dit 60 du 13 mars 1936, qui confère une personnalité morale aux communautés chrétiennes et musulmanes leurs permettant de légiférer sur les questions de statuts personnels et de posséder des tribunaux religieux.

Tout en conférant un caractère confessionnel au statut personnel, Damien de Martel insère dans l’arrêté 60, la reconnaissance d’une communauté dite de droit commun, soit une exemption pour personnes qui ne désirent pas appartenir à une quelconque communauté. Il reviendrait à l’Etat alors d’organiser cette communauté civile dans les différents aspects dont celui du Mariage.

Face à l’arrêté 60, la communauté musulmane sera à l’origine de graves troubles, considérant qu’il accorde aux communautés chrétiennes et musulmanes un même statut sur un pied d’égalité et autorise la conversion entre religions et un aussi un statut laic. Le Mufti de la République, Toufic Khaled s’adressera directement à Damien de Martel pour lui signifier son refus de voir appliquer de telles dispositions.

C’est alors que surgiront également des tensions confessionnelles. Les autorités Syriennes alors liées au Liban feront également part de leur opposition à ce projet.

À la même époque que sera organisé le congrès dit du Sahel par les notables musulmans qui revendiqueront un partage “équitable des fonctionnaires entre communautés religieuses”, ce qui donnera aux administrations publiques libanaises un caractère confessionnel.

À la veille de la 2ème guerre mondiale, son successeur, le Haut Commissaire Puaux, à la recherche d’un calme social, signera l’arrêté 53 du 30 mars 1939 qui accordera une exemption pour la communauté musulmane enterrant ainsi également le principe d’une égalité entre communautés libanaises.

Dès lors, à chaque évocation de réformes du statut personnel par l’état comme en 1943 lors de l’indépendance du Liban, en 1951 lors de la reconnaissance de la communauté chrétienne, dans les années 1960 avec la création d’un statut pour les communautés musulmanes et encore dans les années 1998, le débat sur le mariage civil se heurtera à une opposition principalement du fait des autorités religieuses musulmanes.

La tentative d’Elias Hraoui pour imposer un mariage civil

L’ancien Président de la République Elias Hraoui. Source Photo Wikipedia

En 1998, le Président de la République libanaise d’alors, Elias Hraoui, avait présenté au Conseil des ministres un projet de loi réformant le  statut personnel facultatif et permettant une union civile allant des fiançailles jusqu’à la succession, en passant par le mariage, la garde des enfants et la pension alimentaire.

Ce projet sera adopté par le Conseil des Ministres par 21 voix pour, 6 contre et 1 abstention.

Le Premier Ministre Rafic Hariri qui était par ailleurs opposé à ce projet avait déjà consulté Deir el Fatwa, l’instance sunnite supérieure pour motiver son refus à apposer sa signature pour que ce projet ne soit pas présenté au Parlement.

Au final, le projet de réforme du statut personnel finira par être enterré.

Le précédent du mariage de Khouloud Soukkarieh et Nidal Darwich en 2013

Liban: Le Mariage civil de Nidal Darwish et Khouloud Soukarieh
Nidal Darwish et Khouloud Soukarieh

En 2012, Nidal Darwich et Khouloud Soukkarieh, un couple mixte sunnite et chiite souhaitent s’unir civilement au Liban. Ils signeront devant un notaire un acte de mariage après avoir indiqué, conformément à un décret du Ministre de l’Intérieur Ziad Baroud datant de 2009, avoir supprimé de leur état civil la mention de leurs confessions sunnite et chiite.

En janvier 2013, ils demanderont au ministre de l’Intérieur Marwan Charbel de reconnaître leur union rouvrant le débat sur le Mariage Civil au Liban. Ce dernier reconnaitra Marwan Charbel la validité des dispositions utilisées par ce couple, suite à une décision du Conseil Constitutionnel.

Une quinzaine de dossiers concernant des mariages civils au Liban seront alors acceptés par le Ministère de l’Intérieur.

Soutenu par le Président de la République, Michel Sleiman qui considérait le Mariage civile comme un moyen pour éradiquer le communautarisme et renforcer notre unité nationale, le couple fera cependant l’objet d’une désapprobation du Premier Ministre Nagib Mikati: “Les circonstances actuelles ne permettent pas d’aborder de nouveaux sujets controversés qui divisent“, avait-il indiqué, sous-entendant l’opposition des instances religieuses musulmanes à ce projet.

Le Mufti de la République, le cheikh Mohammed Rachid Qabbani, avait alors décrété que tout dignitaire musulman se prononçant en faveur du mariage civil “est apostat et hors de la religion musulmane”.

Le refus de Nouhad Machnouk

Changement de ton à l’arrivée de Nouhad Machnouk au Ministère de l’Intérieur, en 2015.

Ce dernier estimant qu’en dépit de la reconnaissance de la disposition utilisée en 2013, la mise en oeuvre de l’article 60 de la loi de 1936 nécessite également la mise en place de l’article 16 de la même loi définissant les cadres juridiques à utiliser.
Restant pour l’heure inappliqués, les dispositions permettant le mariage civil au Liban sont pour l’heure caduques, toujours selon Nouhad Machnouk. 

Le débat sur le Mariage Civil relancé par Raya Hassan

Succédant à Nouhad Machnouk, Raya Hassan, proche de Saad Hariri, première femme à obtenir dans le Monde Arabe, le poste de Ministre de l’intérieur, a relancé la question du Mariage Civil.

Elle s’est ainsi exprimée en faveur de la mise en place d’un mariage civil optionnel au Liban. S’adressant au Premier Ministre, elle lui aurait demandé d’évoquer ce sujet avec les autorités religieuses. Ce projet cependant risque de finir dans les oubliettes, en raison de l’opposition même de Deir el Fatwa, comme déjà signalé.

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