Les réseaux technologiques ne remplacent pas les réseaux humains. Les forums de musée n’offriraient-ils que des espaces de réaction et l’internet renfoncerait-il, dans le secteur muséal, la logique de sondage pour rendre les sites de musée plus adaptés à la demande ? L’approche serait purement économique et instrumentale, et l’interactivité informatique ne provoquerait que « l’absorption du social ».[1]

Le musée virtuel remplacera-t-il le musée actuel en tant que média culturel, pour promouvoir le patrimoine ? Pourrait-on parler d’un patrimoine numérique ?

« Un nouveau type d’artiste, qui ne raconte plus d’histoire. C’est un architecte de l’espace des événements, un ingénieur de mondes pour des milliards d’histoires à venir. Il sculpte à même le virtuel ».[2]

 Depuis 2004, le bouleversement numérique ne cesse de bousculer les usages et les besoins de la culture. L’essor des usages de l’Internet s’accompagne de progrès techniques. Le Web 2.0 offre aujourd’hui la possibilité depuis les blogs jusqu’aux sites de réseaux sociaux, d’échanger et de partager entre internautes connectés dans le monde entier. Le Web 2.0 tel que nous le connaissons, un Web « de conversation » est centré autour des hommes et de leurs interactions, entre eux et entre les documents. « Deuxième génération » est une expression lancée en 2004 par John Battle et Tim O’Reilly qui désigne la création, le traitement et l’éditorialisation de contenus sur le web et donc des processus susceptibles d’être partagés.

Aujourd’hui, l’évolution ininterrompue de la vitesse de connexion, l’expansion de la couverture du « Wifi » partout dans le monde et le développement des téléphones mobiles de plus en plus performants, jusqu’à devenir intelligents, les « Smartphones », produisent une instabilité entre le réel et le numérique et mêlent les deux univers. L’expansion d’Internet transforme donc les usages, mais aussi la façon de communiquer de toutes les sociétés, y compris les entreprises et les institutions culturelles, dont les musées. Ces derniers tentent de nouvelles expériences de médiation depuis quelques années en se servant de ce support.

Le Web peut en effet être considéré comme un médium cherchant à accompagner la visite : avant, pendant et après celle-ci. Nous assistons donc à une numérisation massive des collections des musées, à leurs indexations ainsi qu’à la production de contenus autour de ces dernières, de sorte que le musée physique semble se construire un espace virtuel.

 D’après Olivier Ertzscheid, on peut aujourd’hui établir trois niveaux :

  • le Web consultatif qui correspond à des usages exploratoires.
  • le Web participatif : ce sont les comportements en ligne se résumant à des opérations documentaires apparentées à l’indexation, au commentaire ou à l’amélioration (wikis par exemple) de ressources existantes.
  • le Web contributif regroupe, pour O.Ertzcheid les créateurs de contenus et ceux qui visent à initier des débats sur différents types de réseaux sociaux Au sein de ces usages contributifs, les créateurs de contenus représentent 40%, et les conversationnalistes 60%.

Chaque musée semble pratiquer des expérimentations différentes, élaborant à sa manière une vision du musée virtuel ou « cybermusée », qui semble plus ou moins intégrer de nouvelles notions et substituer ce nouveau type de musée au musée institutionnel. La création d’une communauté, la co-production de contenus et l’agrégation des œuvres (une collection organisée d’artefacts) sont désormais ses principales missions. Notons que ces notions ont toujours existé dans le musée institutionnel et elles en avaient intégré quelques principes tout au long de leur histoire et même après leur mutation au XXe siècle. Il est dorénavant essentiel de comprendre ces nouvelles formes de musées virtuels, leurs missions de médiation, ainsi que la diversité de leurs expériences numériques existant sur Internet, cela éclaircira les obstacles et mettra l’accent sur les enjeux qui résident derrière la conception du musée virtuel.

Mais comment un musée peut en cacher un autre ?

Avec les nouvelles tendances des musées virtuels, leurs objectifs sont de toucher des publics en les mobilisant de façon continue et durable, réaliser collectivement des contenus et valoriser les productions des musées et leurs collections (collections organisées d’artefacts électroniques et de ressources informationnelles). Ces missions sont liées à la participation des visiteurs du musée et les internautes observateurs, interlocuteurs, ou leaders qui ne sont que les « acteurs ». Ces communautés éloignées géographiquement, mais proches virtuellement, n’existent que par l’émergence de la communication et l’avènement des réseaux sociaux. Il existe plusieurs formes de politiques et de manières de s’adresser aux publics. Ces plates-formes sociales sont un impératif inhérent au monde numérique: l’accès, la visibilité, le partage et la circulation.

Les musées virtuels cherchent à produire des espaces réels pour y exposer des œuvres, mais ils se présentent parfois sous forme de plate-forme participative. « Il y a en effet un champ muséal propre, qui ne se réduit pas à une institution particulière mais qui fonde théoriquement un faisceau d’institutions diverses : c’est ainsi que des expériences aussi différentes que le sont celles des écomusées, des « muséobus », des musées de substituts ou encore des bases de données, intéressent la muséologie, dans la mesure où elles appartiennent au champ muséal, sans pourtant s’identifier à la figure habituelle du musée ».[3]

Les musées libanais qui existent déjà dans le paysage culturel sont entre nombreuse et moindre fréquentation. Viennent s’ajouter sur la liste de nouveaux musées qui ouvriront leurs espaces dans les années à venir. Le cas du Musée National de Beyrouth, qui est le principal musée archéologique du Liban situé à Beyrouth depuis 1942, et qui, malgré sa richesse archéologique patrimoniale datant de plusieurs siècles, sombre dans l’indigence en médiation numérique, le manque de lisibilité et l’absence d’impact esthétique de son site sur la toile sont bien visibles. En outre, le musée a comme vocation d’informer et de partager l’information dans un espace de sociabilité.

Aujourd’hui, il paraît incontournable que le Musée National de Beyrouth développe son image via les réseaux sociaux en pensant à sa stratégie Internet. L’étude du développement rapide du multimédia en réseaux dans le secteur muséal conduit en outre à adopter un double point de vue technique et social. Il semble que les musées se trouvent dans des processus informationnels accélérés, les plaçant comme acteurs sociaux de premier ordre pour proposer des espaces publics de critique des logiques dominantes. Ainsi le contexte socio-politique saisit le développement des réseaux et du multimédia, des logiques de communication et de services, ainsi que la politique éditoriale multimédia des musées. Le secteur muséal participe à la démocratisation des usages de l’Internet. Les différentes productions multimédias rejoignent à la fois la démarche communicationnelle adoptée par les musées, et les outils de médiation liés à une vulgarisation des sciences et à une volonté éducative. Or, les spécifités du l’hypermédia amènent les musées à multiplier les espaces interactifs en ligne hors musées, à domicile et dans les endroits culturels publics.

En réalisant des musées virtuels sur le web, les institutions muséales en ligne deviennent des centres de ressources multimédiatiques, relevant autant de pratiques culturelles et de recherche que d’une culture technique. Mais s’agit-il d’une nouvelle extension de l’univers muséal, concernant de nouveaux publics qui ne visitent pas les musées réels ? Aujourd’hui, les institutions muséales cherchent à attirer un grand nombre de visiteurs, en allant dans la « scénarisation » qui est un élément important dans le nouveau type de dialogue à instaurer à distance entre le musée et l’internaute par le biais d’interfaces et d’applications de plus en plus conviviales.

La transformation des musées s’exprime en termes euphoriques : « fièvre muséale ». Plusieurs indicateurs confirment cet engouement soudain : chantiers de construction ou rénovations de musée, comme le cas de Beit Beirut qui a ouvert ses portes depuis Octobre 2017, engagements financiers des collectivités locales et de l’Etat, professionnalisation du secteur. Les spécialistes de la communication ne sont pas les moins enthousiastes : « Aujourd’hui, les musées sont plus que des reliquaires, des mémoriaux figés, en cela qu’ils vivent comme espaces de communication sans cesse renouvelés ».[4] (Lamizet et Silem, 1997, p 400) Le salut est advenu aux musées par la communication. Dans un espace culturel, qui se définit comme l’espace au sein duquel les médiations s’exercent dans des lieux ouverts et des lieux de circulation, il existe un certain nombre de pratiques culturelles qui font l’objet d’une « clôture », parce qu’elles font l’objet d’une accumulation d’une collection, dont la globalité les fonde comme objets culturels. Le musée est l’espace de « clôture » des formes culturelles. L’immortalité est la logique constitutive de l’initiative de la collection muséale. Il s’agit, par cette collection d’assurer l’immortalité à une forme de sociabilité à laquelle on appartient. L’espace culturel muséal, espace du miroir social, un lieu où s’inscrivent les médiations esthétiques de l’appartenance et de la sociabilité.

Comme l’explique B. Lamizet, l’espace public est le lieu caractéristique de la sociabilité puisqu’il se définit comme le champ de médiations, par opposition à l’espace privé, qui représente les lieux du désir et de l’intimité. Ces espaces de médiation se définissent par des espaces de circulation qui ne sauraient constituer des espaces de séjour. Les espaces culturels appartiennent ainsi à ce type d’espace qui ne saurait faire l’objet d’une appropriation puisque leur fonction sociale est de faire apparaître les formes collectives de la médiation et de la sociabilité. En outre, les espaces de médiation sont des espaces dans lesquels la sociabilité s’inscrit dans des logiques de sens : des espaces dans lesquels l’appropriation du lien social prend la forme d’une interprétation par ceux mêmes qui en sont porteurs. (Bernard Lamizet, 1999)

Aujourd’hui, les Libanais continuent leur périple en pleine crise économique, désordre et tensions politiques. Il faudrait garder une vision optimiste comme celle de Pierre Lévy, qui voit simplement dans les phénomènes auxquels nous assistons maintenant « une poursuite de l’homonisation  ». Une vision optimiste pour une « renaissance culturelle », où la vitesse et la technoscience seront au service du progrès. Il faut donc considérer que la manipulation de l’image, le cyberspace et le cybermonde ne sont que les produits d’une nouvelle mutation qui accroît le pouvoir de l’homme sur lui-même et sur les choses. Ce qui est inquiétant, avec l’accélération du monde, sa réduction, c’est qu’on aura déjà tout vu. On aura voyagé partout. Comme le signale Paul Virilio, « Google Earth » c’est la fin du monde. De même que dans cette espèce d’affolement des images, ce cyclone visuel pour lequel il suffit d’appuyer, de zoomer afin de distinguer la plaque minéralogique d’une voiture, on aura fait le tour du plus grand musée au monde, déambule d’une peinture à l’autre et d’une thématique à l’autre défilant sous nos yeux sur des écrans de toutes formes.

Il est évident que les voyages et les découvertes enrichissent nos expériences et notre existence, mais qu’attendrons-nous quand nous n’aurons plus besoin d’attendre pour arriver ? Est-ce qu’il y a des avantages essentiels, existentiels, à cette rapidité ? Mieux vaut éviter les visions apocalyptiques. Certes, il ne s’agit pas d’arrêter le progrès technique, « l’effet jogging » mais de lui permettre de subsister.


[1] LATOUCHE Serge. La mégamachine et la destruction du lien social. Terminal, n0 64, 1994

[2] LÉVY Pierre. Qu’est-ce que le virtuel ? Paris. La découverte, 1998. P 145

[3] DELOCHE Bernard. Le musée virtuel, Muséal. PUF ÉDITIONS, 2001. P 120

[4] LAMIZET Bernard, SILEM Ahmed (dir). Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Ellipses. 1997

Haytham DAEZLY
Haytham Daezly, originaire de Tripoli-Liban, vit et travaille à Paris. Il est Docteur en Sciences de l'information et de la communication, directeur artistique en publicité, artiste visuel et actuellement médiateur culturel à Paris. Il est l'auteur de : « L’essor de la culture virtuelle au Liban, entre effervescence numérique et instabilité politique : réseaux sociaux, musique en ligne et sites institutionnels ». Mots-clés : #art #culture #médiation #numérique #TIC #Liban Pour avoir une ample idée sur son parcours professionnel et artistique, vous pouvez consulter ses pages en ligne : Lien thèse : http://theses.fr/2016LIMO0062 Lien blog : http://haythamdaezly.tumblr.com/

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