Crédit Image: Les performances de Rayess Bek : Love and Revenge / Good bye Schlöndorff -Images prises de son site officiel

L’artiste en tant qu’individu se distingue par un refus des règles imposées de l’extérieur, une indépendance farouche, une autodéfinition plurielle et mouvante, et une insertion sociale, politique et artistique marquée par la mise de l’avant de sa singularité, de son authenticité et de son particularisme. (Lipovetsky, 1983; Taylor, 1998)

Voyons-nous dans l’art au Liban une forme de modernité et un souffle d’un « printemps libanais » guidant intellectuels, artistes et militants à lutter contre le confessionnalisme qui fonde les partis politiques du pays ? « Ce n’est pas le savoir-faire politique mais la capacité à intimider qui détermine les rapports de forces au Liban. Ce sont les chefs des groupes confessionnels qui occupent la première place, en alliance avec leurs alliés étrangers. Les mots d’ordre à Beyrouth sont : résistance à Israël, Tribunal international, projet israélo-américain, complot, groupe confessionnel. L’État est plus faible que tous les autres acteurs et l’hypocrisie omniprésente rend difficile de demander des comptes aux responsables. Le mot « conspiration » sert à tout expliquer et à justifier n’importe quoi ». (Courrier International. Le printemps arabe en couverture, 2011) Durant le conflit entre Israël et le Hezbollah libanais, on a vu l’émergence d’une sphère inédite en temps de guerre : celle des artistes libanais et israéliens qui utilisaient les nouvelles technologies de l’information et du numérique pour commenter le conflit et donner de  leurs nouvelles au reste du monde dont ils étaient physiquement coupés. Plus d’un an après, tandis que les conflits locaux sont loin d’être résolus, qu’on évoque toujours la possibilité d’une nouvelle guerre, le Liban renvoie une image fortement contrastée ; marqué par la guerre et les conflits politiques internes, le pays ressemble fortement à une étonnante couveuse d’artistes.

 L´art contemporain a donc globalement le sens de l´art qui se revendique lui-même comme étant en rupture avec des formes dites traditionnelles. L´« art contemporain » semble par conséquent n´être qu´une expression qui s´est imposée, désignant un certain nombre de choix esthétiques de la part de toute une série d´artistes et d´institutions. Ces choix ne vont pas sans entraîner des difficultés. Les formes artistiques se sont déplacées. Toute une jeune génération d’artistes « engagés » et « assoiffés » de changement : tel est l’objectif d’une nouvelle initiative mêlant « art et politique ».

Le pays des cèdres fourmille de manifestes artistiques et culturels ; expositions, workshops, festivals de photographie, d’architecture, de cinéma, de graphisme, de mode, d’arts plastiques et d’installation vidéo. La société civile est souvent épaulée par les acteurs financiers, mécènes essentiels pour l’activité culturelle nationale, l’État est globalement absent car le financement alloué à la culture n’est pas prioritaire. À l’exception notable des services de la Sûreté générale et du bureau de censure, réagissant parfois au quart de tour à des œuvres ou comportements jugés « inappropriés » : séquences ou intégralité de films trop politisés comme Beirut Hotel (2012) de Danielle Arbid, ou L’Attentat (2013) de Ziad Doueiri, inspiré du roman éponyme de Yasmina Khadra, et récemment primé au Festival du film de Venise pour son film L’Insulte (2017) mais aussi arrêté pour « intelligence avec l’ennemi ».

Le boycott culturel de l’État libanais contre Israël, l’ennemi de toujours, est, lui apprécié de la société civile. C’est à travers les réseaux socionumériques que les activistes de la campagne pour le boycott des partisans d’Israël au Liban vont plus loin, déclarant persona non grata tout artiste sympathisant de l’État hébreux, mettant en œuvre des pressions populaires et jouant un rôle via les réseaux sociaux pour contrecarrer leur venue.

Il reste que la scène culturelle libanaise ne touche qu’une partie restreinte de la population qui préfère la culture de masse commerciale et populaire. Ajoutons aussi les tabous qu’affronte cette scène culturelle : ainsi, une exposition de nus ne pourrait se tenir dans n’importe quelle ville libanaise sans créer la polémique.

Nous entrons dans l’« âge des extrêmes ». (Eric John Hobsbawn, 1994) Les artistes rejettent violemment le monde bourgeois et ses valeurs. Ils sont par ailleurs, tels les surréalistes qui mêleront le mot d’ordre de Karl Marx, « Transformer le monde » et celui d’Arthur Rimbaud « Changer la vie », « Convaincus du pouvoir de transformation de la société et de l’existence quotidienne grâce à l’art ». (Marc Jiménez, L’esthétique contemporaine, 2004) Les artistes participent à la politique artistique et culturelle du nouveau pouvoir.

En cette période agitée globalement, et malgré les tensions politiques du pays, la culture se relance dans tous les domaines. Des artistes mobilisés et engagés, militants, créent au quotidien un art fondamentalement révolutionnaire. En utilisant les nouvelles technologies des réseaux de diffusion, les réseaux socionumériques deviennent une plateforme pour l’artiste engagé.

 En utilisant ce medium, ce dernier dénonce les problèmes sociopolitiques en s’appuyant sur plusieurs formes artistiques comme les performances multimédia, le cinéma, la musique ou les web-séries… Nous entrons dans l’ère numérique où cette nouvelle génération d’artistes utilise les nouvelles technologies pour diffuser leurs univers artistiques et leurs idées. C’est le cas des chanteurs libanais comme Tania Saleh et Rayess Bek, ou l’exemple du cinéaste Ziad Doueiri critiquant le boycott de son film L’Attentat par les pays de la ligue arabe, et son arrestation pour L’insulte, dans une violente charge contre l’organe de censure publiée sur sa page Facebook.

En musique, l´opposition entre art populaire ou de masse et art savant et élitiste semble parfois portée au plus haut point dans la musique du XXIème siècle : nul art ne participe autant à notre vie quotidienne, justifiant que l´on puisse parler d´une véritable consommation musicale, tout en étant dans sa forme « contemporaine » le plus souvent inaccessible et ignoré des foules. Rompre avec l´harmonie classique c´est donc rompre avec une certaine conception du beau musical, et, techniquement, avec la tonalité traditionnelle, c´est-à-dire avec la façon de développer un thème à partir d´un ton ou une tonalité donnés.

 Aujourd´hui, au milieu d´une riche et diverse floraison de styles, on notera pour certains compositeurs une large utilisation des nouvelles technologies, notamment de logiciels spécialisés et d´environnements informatiques participant à la composition (en conservant ou non les catégories traditionnelles de la musicologie comme la note), ou, pour d´autres, une ouverture éclectique à d´autres traditions musicales comme les musiques extra-européennes, le jazz, l’électro ou le rock. Ces musiques interviennent dans le processus de construction identitaire et sont l’occasion de réinterroger les rapports entre culture et politique.

Nous pouvons dire que les performances d’artistes libanais comme : Rayess Bek, Yasmine Hamdan, caractérisée par le style électro oriental et connue sur la scène underground, ou Tania Saleh, etc. se distinguent par l’impureté, l’inclusion ouvrant ainsi la voie aux questions du métissage, de la créolisation et du pluralisme identitaire. Elles entrent donc en « résistance contre l’oppression de l’un, de l’indifférenciation et de l’uniformisation croissante ». (Laplantine et Nouss, 2001, p. 14)

 Elles permettent ainsi de dépasser les logiques culturelles et les construits sociaux souvent utilisés dans une optique homogénéisante, hiérarchisante, si ce n’est pas franchement excluante.

Ces musiques émergent dans des situations de crise : colonialisme, néocolonialisme, crise de sociétés capitalistes. Si l’on cherche une appartenance nationale, c’est dans le rap ou le hip-hop que l’on trouve le plus de libanité. En mêlant l’électro à l’oriental, ou même en rappant,  les rappeurs crient le malaise d’une jeunesse et d’une société qui n’en peut plus d’un destin si incertain, parfois sur un ton agressif, parfois sur le mode de la dérision. La performance de Rayess Bek se définit, soit en rapport avec l’artiste et sa personnalité, comme dans Good Bye Schlöndorff qui est une performance audiovisuelle, où des lettres intimes retrouvées sur des cassettes audio se mêlent à des extraits du film Le Faussaire nous permet de le saisir, soit en rapport avec son contenu. Ce contenu est aisément identifiable lorsque l’artiste et les musiciens sur scène devant l’installation multimédia se tournent vers les réalités sociales. Ils se distinguent nettement et rompent alors toute continuité avec le modernisme. Le passage du modernisme au postmodernisme s’accomplit lorsque la « distance » entre la sphère artistique et le monde est résorbée. Le contexte de la guerre civile au Liban a joué un rôle essentiel.

 « L’art flotte à trois mètres au-dessus du sol et n’a rien à voir avec la situation historique de laquelle il émane. Le seul lien avec l’histoire que l’on veut bien admettre est un lien stylistique. L’évolution des styles « dominants » est pourtant elle aussi perçue comme un phénomène isolé, autonome et indifférent aux 2 pressions de la société historique ». (Michael Archer, L’art depuis 1960, 1997, p.112) Les œuvres postmodernes, produites à partir de 1970, se présentent bien souvent comme des témoignages sociaux, comme un « art engagé ».

Rayess Bek, l’emblématique du mouvement rap crée un choc toujours « décalé » en utilisant le sarcasme pour dénoncer le confessionnalisme, le capitalisme, le militarisme, l’oppression et l’injustice. Il utilise la marginalité sociale, propre à la pratique artistique moderniste, pour exprimer l’expérience de la marginalité culturelle, pour donner la parole aux exclus de la culture dominante. Le rap devient un mouvement qui grandit au fil des années. L’affaiblissement économique, la progressive disparition de la classe moyenne et les forces politiques internes que le gouvernement ne contrôle que par Finul interposée, viennent grossir le cahier de doléances des rappeurs. Ces artistes libanais sont donc des acteurs sociaux profondément influencés par le contexte social, culturel et politique dans lequel ils s’inscrivent, et bien souvent engagés dans les enjeux de leur époque. Ils ne détiennent pas une double identité d’artistes et de citoyens. Les deux états ne peuvent que se mêler. Autant l’artiste est marqué par la société, autant ses œuvres marquent celle-ci en retour. Les formes symboliques inscrivent un sens dans la communauté qui s’écarte de l’expérience usuelle, quotidienne. Art et politique sont donc fondamentalement liés.

Le rapport entre esthétique et politique, c’est alors, plus précisément, le rapport entre l’« esthétique de la politique » et la « politique de l’esthétique », c’est-à-dire la manière dont les pratiques et les formes de visibilité de l’art interviennent elles-mêmes dans le partage du sensible et dans sa reconfiguration, dont elles découpent des espaces et des temps, des sujets et des objets, du commun et du singulier. (Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, 2004, p.32)

La constance et le renouvellement en tant qu’avant-garde furent fondés depuis la fin du XXème siècle sur une volonté d’interroger, voire une volonté de déstabiliser dans le système la classe dominante au pouvoir. Il s’agit moins d’abandonner la recherche esthétique, de renier les questions de beauté, de qualités formelles, la recherche d’une signification que de trouver des moyens de traiter des sujets propres à la vie contemporaine. Le fonctionnement « politique » d’une œuvre ne peut être pensé indépendamment de sa valeur « artistique ». Pour que l’œuvre ait une portée politique, elle doit pouvoir exercer un effet esthétique sur le spectateur. L’art apparaît politique qu’il vise à l’être ou non. Quel que soit son « medium », il peut être le moyen d’une critique politique ou sociale.

Par conséquent, le Web 2.0 a instauré une nouvelle manière de consommer. De plus, on s’interroge si cette plateforme virtuelle est un dispositif de communication qui menace, ou au contraire, qui permet la démocratie,  plus largement avec l’usage des applications du Web 2.0 permettant à l’internaute de s’exprimer encore plus facilement que précédemment. Ce dispositif vise la réalisation du désir culturel c’est-à-dire la transmission de l’information culturelle auprès de la société. C’est le niveau de « l’information mise en circulation dans la société ». (Jean-Jacques Boutaud, Sémiotique et communication-du signe au sens) On peut parler de médiation culturelle qui est un premier niveau de communication sociale.

Internet reproduit-il la concentration des médias traditionnels ou permet-il à de nouveaux acteurs de prendre la parole? Internet, cet outil hybride, provenant à la fois de la téléphonie, de la télévision, de la radio et de l’informatique, et contrairement aux médias traditionnels comme la télévision ou à la radio, met en situation d’égalité l’émetteur et le récepteur, c’est donc, à première vue, l’outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen pourrait intervenir très régulièrement dans le débat public.

À l’heure actuelle où Internet et réseaux sociaux, applications du Web 2.0 et dispositifs numériques envahissent notre quotidien, il me semble donc important de questionner le rôle et l’impact des TIC dans la culture « virtuelle » au Liban, en m’appuyant sur les pratiques d’artistes contemporains « engagés » et leur présence « en ligne ». Quels messages utilisent-ils pour promouvoir leurs idées et leur art ? D’où l’enjeu problématique de cette thématique qui s’impose comme évidence : « Quelle est la place des TIC (Technologies de l’information et de la communication) dans la crise qui touche le pays ? Est-ce que les nouvelles technologies sont un pivot de l’essor des pratiques culturelles au Liban ? Quel est l’impact d’Internet et des nouvelles technologies sur l’industrie de la musique ? Comment les rapports de transformations des technologies de l’Internet nourrissent-ils les formes émergentes d’une culture musicale et muséale à Beyrouth ? »

Haytham DAEZLY
Haytham Daezly, originaire de Tripoli-Liban, vit et travaille à Paris. Il est Docteur en Sciences de l'information et de la communication, directeur artistique en publicité, artiste visuel et actuellement médiateur culturel à Paris. Il est l'auteur de : « L’essor de la culture virtuelle au Liban, entre effervescence numérique et instabilité politique : réseaux sociaux, musique en ligne et sites institutionnels ». Mots-clés : #art #culture #médiation #numérique #TIC #Liban Pour avoir une ample idée sur son parcours professionnel et artistique, vous pouvez consulter ses pages en ligne : Lien thèse : http://theses.fr/2016LIMO0062 Lien blog : http://haythamdaezly.tumblr.com/

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