Flash Back… Il y a un an, le Liban connaissait une période du jamais-vu dans son histoire contemporaine. L’étincelle, une taxe de 6 dollars par mois sur les services de télécommunication mobiles gratuits genre WhatsApp alors que 28% de la population vivait déjà sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 6 dollars par jour. Evidemment, 6 dollars par mois, cela enlevé quelques miettes de pain à celles et à ceux qui justement sont les plus vulnérables.

Le feu couvait depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. On se souviendra de la vague de faillites les années précédentes puis de la vague de suicide qui se sont déroulés en 2019 comme celui de Georges Zreik qui s’était immolé par le feu en février.

Malheureusement, la classe politique et économique n’a pas lâché du lest. Bien au contraire, face à une population excédée par la crise, par 40% de taux de chômage, par des systèmes de racket organisés notamment par des personnes politiquement exposées, mafia des moteurs qui bénéficient de soutiens politiques.

Au lieu de taxer les catégories les plus défavorisées de la population, les autorités politiques, issues justement de milieux qui ont profité depuis des années de la dette publique auraient pu taxer leurs catégories. À la même époque, une grande banque du Liban avait indiqué avoir effectué un profit d’un milliard de dollars notamment en bénéficiant d’une part des opérations d’ingénierie financière de la Banque du Liban et d’autre part du service de la dette, les 2 causes principales de la crise actuelle.

Le déni des dirigeants politiques et économiques

Ce n’est pas la Révolution qui a mené à la situation économique prévalent aujourd’hui mais, en effet, différents facteurs qui existaient déjà précédemment. La récession économique a débuté dès 2018, les pénuries de devises étrangères dès mai 2019, les pénuries d’essence ou encore de farine peu de temps après. Les ingrédients pour créer un mouvement social massif étaient déjà présents et cela depuis longtemps.

On sait aujourd’hui que c’est ainsi 65 milliards de dollars qui ont été redistribués ainsi sous forme de dividendes aux actionnaires des banques, 43% d’entre eux étant des hommes politiquement exposés, pour 94 milliards de dollars de dette publique.

Evoqué dès mars 2019, alors que s’approchaient les échéances de mai 2019 avec le remboursement d’une importante émission d’eurobonds, les banques ont poussé le vice jusqu’à refuser de procéder à swap afin d’éloigner de manière momentanée l’option d’un défaut de paiement. Au final, cela sera la BdL et non le ministère des finances qui procèdera à ce remboursement, équivalent dès lors à un état de défaut de paiement et de facto aussi, commençant un processus de dégradation des réserves monétaires et amenant à la pénurie de devises.

Dans les mois précédents octobre 2019, les autorités politiques et économiques semblaient être déconnectés de la réalité ou ne souhaitaient tout simplement par l’admettre. On se souviendra notamment des déclarations du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, mettant en cause des problèmes logistiques sur le dossier des pénuries de devises étrangères ou encore les paroles du premier ministre d’alors, Saad Hariri, qui multipliait les déclarations selon lesquelles tout allait bien et qu’il fallait pas s’inquiéter en dépit de l’incapacité de l’état à faire face à ces dettes. Ces personnes, au lieu de prendre en compte les mesures nécessaires, avaient fait le choix au final de plutôt ponctionner les populations les plus vulnérables, déjà très impactées par la crise.

Il ne suffisait alors que d’une étincelle et c’était le ministre de l’éducation et de l’enseignement supérieur qui la fournira, avec un incident entre ses gardes du corps et des manifestants, le soir du 17 octobre.

L’embrasement

À l’issue d’une réunion du conseil des ministres, des heurts auront lieux entre gardes du corps du convoi officiel du ministre de l’Education Akram Chehayeb et manifestants venus protester contre l’instauration de nouvelles taxes qui touchaient les populations les plus vulnérables. Ces derniers tireront d’abord en l’air puis aux pieds des protestataires.

C’est alors l’embrasement général, la population coupe les routes, du nord du sud du Liban en passant par la Békaa. Toutes les régions trouvent un dénominateur commun, celui d’être contre une classe politique qualifiée de corrompue et d’avoir mené le Liban à la ruine avec la dégradation des conditions sociales et économiques.

Les manifestations se sont étendues depuis à différentes régions libanaises, avec des routes coupées, notamment au Nord Liban, à Tripoli ou Zgharta, à Khalale dans le caza d’Aley, à Ghazir et Kaslik dans le Kesrouan, ou encore au niveau de la route de l’aéroport ou de Dora de Beyrouth et à Tyr au Sud du Liban.

Face à la pression populaire, le Ministre des Télécoms d’alors décide de retirer cette mesure pourtant déjà adoptée par le Conseil des Ministres qui s’est déroulé aujourd’hui au Grand Sérail, mais cela est déjà trop tard et il n’est déjà plus question de simplement protester contre une taxe mais de dénoncer une classe politique dans sa totalité.

Le gouvernement Saad Hariri finira par démissionner le 29 octobre 2019, face à la colère populaire qui ne faiblit pas, plongeant le Liban non plus seulement dans une crise économique mais également dans une profonde crise politique.

Le centre-ville de Beyrouth, la place al Nour à Tripoli, la place Elia à Saïda, Nabatiyeh où chaque jour aura lieu une manifestation… Tous ces lieux deviendront chacun un coeur battant le rythme d’un pays à l’unisson, sous les mêmes slogans, à savoir réclamant le départ d’une classe politique.

Des barrages seront également mis au niveau des axes stratégiques de circulation, comme le long de l’autoroute maritime avec comme symbole des pneus prêts à être enflammés.

Entretemps, la crise financière apparait au grand jour avec la mise en place d’un contrôle des capitaux informel, permettant à certaines personnes jouissant des bonne connexions de transférer leurs dépôts à l’étranger.

Quant à la livre libanaise, elle poursuivra sa descente en enfer débutée dès l’été, avec un spread de plus en plus important entre taux de parité officiel et taux au marché noir.

Les manifestations se multiplieront également devant les banques libanaises qui ont instauré de manière unilatérale un contrôle des capitaux en novembre 2019, aggravant plus encore la situation économique en favorisant l’établissement de marchés parallèles.

Des demandes de changement non plus seulement économiques mais aussi de réformes politiques

En janvier 2020, sera constitué un nouveau gouvernement, celui de Hassan Diab, qui tentera de mettre de l’ordre dans la maison “Liban”. Il s’agira d’une part de faire lever les barrages routiers qui étaient en place depuis octobre 2019 et qui bloquaient les axes majeurs du pays mais aussi dans un deuxième temps de s’attaquer aux causes même de la crise, à savoir la restructuration de la dette publique et du secteur financier.

Les manifestations iront en s’essoufflant et connaissant des soubresauts d’une part au gré des différents évènements jusqu’au démantèlement du coeur du mouvement, Place des Martyrs au centre-ville de Beyrouth.

Mais l’espoir tout de même que finalement, les choses changent tout de même.

Menacée, la classe politique tentera à plusieurs reprises de s’auto-amnistier. Le Président de la Chambre connaitra plusieurs échecs, notamment en raison de l’impossibilité de réunir le quorum nécessaire pour obtenir l’adoption de ce projet de loi. Outre à l’opposition populaire, jusqu’à présent cette loi se heurte également à l’opposition de certains partis qui tentent d’en négocier les termes.

Certains au gouvernement Hassan Diab ont bien tenté de changer les choses. Elles avaient d’ailleurs bien commencé, avec la mise en état de défaut de paiement pour conserver les réserves monétaires qui s’amenuisent et donc on a bien cruellement besoin aujourd’hui puis l’ouverture de négociations avec le Fonds Monétaire International.

Elles servaient en effet à financer l’achat de produits de première nécessité, farine pour le pain, médicaments pour les personnes malades, carburants pour aller travailler, du moins pour ceux qui jouissaient encore d’un emploi.

Le déblocage de l’aide internationale reste cependant conditionné au résultat des négociations entreprises avec le FMI qui exige que se soient mises en place des réformes nécessaires, les réformes économiques et monétaires notamment. En effet, de nombreuses sources ou encore personnalités impliquées dans le dossier multiplient les déclarations indiquant que la communauté internationale n’accordera “pas de chèque en blanc au Liban”, suite au non-respect par Beyrouth de ses promesses et de son engagement à effectuer les réformes nécessaires à la relance économique déjà lors des conférences Paris I, II et III dans les années 2000.

Il est également de plus en plus clair que la crise du secteur bancaire, bien que maquillée par les opérations d’ingénieries financières menées par la Banque du Liban, avait débuté bien plus tôt, en dépit des profits colossaux annoncés par les banques libanaises jusqu’à l’année dernière. En réalité, la Banque du Liban a ainsi reversé près de 16 milliards de dollars entre 2016 et 2018, vidant ainsi une grande partie de ses réserve monétaires en faveur des établissements bancaires auxquels se rajoutent le service de la dette publique.

Rapidement, la situation s’est aggravée. D’un point de vue interne, le gouvernement Diab s’est retrouvé paralysé par une opposition sournoise relayant celle d’intérêts bancaires qui refusent l’approvisionnement à hauteur de leurs capitaux des pertes financières et de mafias qui refusent de laisser tomber leurs fonds de commerces.

Cependant, les négociations, aujourd’hui suspendues, ont rapidement achoppé sur la capacité des autorités libanaises à mener les réformes nécessaires pour le déblocage de l’aide internationale ainsi que sur le dossier du chiffrage des pertes du secteur financier. Les autorités libanaises estiment ainsi que ses pertes atteindraient 241 000 milliards de livres libanaises sur la base d’un taux de change de 3600 LL/USD, soit 80 milliards de dollars environ, ce que refusent les banques locales via l’association des banques du Liban ou encore la Banque du Liban elle-même.

L’association des banques du Liban a ainsi activé ses relais présents au sein du parlement via la commission parlementaire des finances et du budget. Cette dernière, où sont présents certains actionnaires et représentants de banques locales, n’ont chiffré les pertes financières qu’à 81 000 milliards de livres libanaises sur la base d’un taux de change de 1507 LL/USD.

Désormais, ce chiffrage des comptes de la Banque du Liban devrait être mené par les cabinets Alvarez & Marsal pour l’audit juricomptable et par KPMG et Oliver Wyman pour l’audit normal. Pressenti dans un premier temps pour mener l’audit juricomptable, le cabinet Kroll, spécialisé dans la matière a été écarté suite aux pressions du président de la chambre Nabih Berri, estimant l’entreprise liée à l’état hébreu.

Parallèlement, l’association des banques du Liban a présenté un plan de sauvetage rejeté par le FMI et les autorités libanaises, prévoyant la vente d’une partie de l’or du Liban et la session pour une durée déterminée de biens publics. Ce plan est également rejeté par les spécialistes qui estiment que la vente de biens publics ne pourrait se faire qu’en les bradant en raison des circonstances actuelles.

Certaines sources évoquent désormais des pertes pour le secteur financier qui dépassent les 100 milliards de dollars, estimant que le Liban nécessiterait désormais un plan de relance de 63 milliards de dollars mais que seulement 26 milliards au maximum sont disponibles. Selon ces mêmes sources, toutes les banques libanaises sont aujourd’hui insolvables.

Certains experts proches du dossier notent avec inquiétude que les intérêts politico-économiques sont plus importants pour certains partis que l’intérêt général à bénéficier d’une aide économique face à la crise, jusqu’à estimer que les divisions traditionnelles des partis politiques se sont effacées au sein du parlement en faveur du parti des banques et des autres.

L’épisode du coronavirus et l’explosion du port de Beyrouth

Après la crise économique, le coronavirus touche désormais le Liban depuis l’apparition d’un premier cas le 21 février 2020. Cette épidémie se poursuit jusqu’à présent. Face à elle, les autorités libanaises ont dû mettre en place des mesures visant à tenter de réduire les rassemblements publics comme les manifestations, ce que d’autres estimeront être en fait contre le mouvement populaire, ne reconnaissant pas l’ampleur que pourrait avoir le virus sur le système sanitaire local déjà fortement impacté par la crise économique.

Par ailleurs, le 4 août 2020, 2750 tonnes de nitrate d’ammonium situés à l’intérieur d’un entrepôt du port de Beyrouth, saisies en 2014 à bord d’un navire poubelle, le Rhosus battant pavillon moldave, explose. Cette explosion équivaudrait à celle de 600 tonnes de TNT ou encore à un tremblement de terre de 3.3 sur l’échelle de Richter. Elle aurait ainsi causé un cratère de 110 mètres de long sur 43 mètres de profondeur.

192 personnes seraient décédées et d’autres encore depuis et plus de 6 500 personnes ont été blessées dans l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et une grande partie de la capitale libanaise. 300 000 personnes seraient également sans logement des suites de cette explosion.

Les dégâts seraient estimés entre 10 milliards à 15 milliards de dollars.

Certaines sources soulignent que les différents partis politiques libanais s’étaient partagés les revenus du port de Beyrouth, rendant difficile actuellement de connaitre les responsabilités de chacun dans cette explosion. D’autres sources proches du dossier soulignent également la responsabilité de plusieurs administrations dans le port de Beyrouth, d’autant que de hauts responsables étaient informés du danger posé par le stockage de manière inadéquate de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium depuis 2014. Par ailleurs, des responsables sécuritaires avaient prévenu les autorités politiques à plusieurs reprises au cours des dernières années, les autorités judiciaires n’ont pas décidé de la mise en oeuvre des mesures de transfert nécessaires de la cargaison.

Plusieurs partis politiques, de la majorité comme de l’opposition, y compris ceux qui souhaitent officiellement la mise en place d’une enquête internationale à ce sujet, souhaiteraient également conclure de manière rapide l’enquête étant impliqués dans différents trafics qui ont lieu depuis ou vers le port de Beyrouth. Ils souhaiteraient ainsi éviter à ce qu’on puisse découvrir le degré d’implication de chacun et des violations sécuritaires nécessaires à la poursuite de ses trafics. 

L’affaire du port de Beyrouth démontre encore une fois l’incapacité des autorités exécutives à pouvoir gérer la chose publique, aucune décision pouvant être prise sans une lourde bureaucratie qui ouvre la voix à la corruption.

La France au-devant de la scène libanaise

Le chef de l’état libanais avait précédemment évoqué, et cela pour la première fois, des réformes politiques afin de mettre en place un état laïc avec comme base la compétence au lieu du clientélisme communautaire au cours d’un discours prononcé à la vieille du 1er septembre.

Lors de son déplacement au Liban à l’occasion du centenaire de la proclamation de l’état du Grand Liban, le 1er septembre 2020, au lendemain de la nomination de Mustafa Adib comme premier ministre, le président de la république française aurait ainsi remis aux dirigeants libanais, une feuille de route pour la mise en place des réformes économiques jugées nécessaires et en premier lieu, un diagnostic des pertes de la Banque du Liban. Cette feuille de route prévoyait également la mise en place d’ici 2 semaines, d’un gouvernement capable de mener ces réformes, ce qui est reste pour l’heure lettre morte.

Cependant, 15 jours après, suite à l’expiration du délai imparti, les autorités libanaises semblent avoir échoué à la mise en place d’un nouveau cabinet, suite notamment à l’annonce par Washington de sanctions économiques visant Ali Hassan Khalil, bras-droit de Nabih Berri et ancien ministre des finances, les autres partis politiques ayant accepté le principe de rotation des portefeuilles ministériels régaliens, à savoir la défense, l’intérieur, les affaires étrangères et les finances.

Le 21 septembre 2020, le président de la République estime que le Liban se dirige actuellement “en enfer” en raison de la dégradation des conditions sociales et économiques, reconnaissant par ailleurs que les réserves de la Banque du Liban – subventionnant actuellement l’achat de produits de première nécessité – seront épuisées d’ici peu.

Le premier ministre désigné Mustapha Adib finira par jeter l’éponge et le Liban reste pour l’heure sans gouvernement fonctionnaire, avec une crise sociale, une crise économique et financière mais également une crise politique alors que l’ancien premier ministre Saad Hariri, qui avait démissionné en raison du mouvement populaire, le 29 octobre 2019, semble paraitre désormais comme étant donné favori pour retrouver le Grand Sérail.

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