La prophétie auto-réalisatrice (self-fulfilling prophecy) est un terme introduit en 1948 par Robert Merton (1910-2003), sociologue et père fondateur de la sociologie des sciences (l’étude sociologique de la production des connaissances scientifiques et des instruments qui les rendent possibles) pour expliquer comment nos attentes de nous-mêmes influencent indirectement les résultats et aussi nos attentes des autres les influencent tout autant.

Quand nous attendons certaines attitudes et comportements des autres, nous nous comportons de façon que les comportements que nous avions prévus sont plus susceptibles de se produire de part et d’autre. Elle s’articule aussi par cette citation de Henry Ford: «si vous croyez que vous pouvez ou que vous ne pouvez pas, vous avez raison dans les deux cas.»

Une personne qui doute constamment de sa capacité à accomplir son travail ne va pas donner les résultats escomptés: elle pourrait éviter d’y mettre beaucoup de temps et d’efforts ou tout simplement éviter de commencer sérieusement les tâches. Il va en résulter un manque d’expérience qui va faire que son travail va être encore moins compétent et provoquer plus de doutes dans sa capacité.

Une compréhension des corrélations et du mouvement peut aider à décortiquer et éventuellement à changer positivement la dynamique de certaines situations.

La prophétie auto-réalisatrice prend des formes variables à l’infini et les exemples sont légion. Quelques exemples bien libanais:

La conviction collective que le pays est «sous influence» et que tous les efforts de décisions indépendantes sont vains, et que «le centre de décision n’est pas ici» a introduit dans la vie publique (combinés ou séparés): un asservissement volontaire, une résignation désolante, une passivité pathétique, une approche transactionnelle pour débloquer les impasses même systémiques et surtout le refus pathologique de demander des comptes ou de démonter les problèmes pour les résoudre vraiment.

Il y a aussi celle où «le système est de toute façon corrompu» et d’accepter que c’est en fait un moyen efficace de survie politique (étant entendu que l’argent est le nerf de la guerre, indépendamment de ses sources) et que celui qui n’adhère pas au système en place en sera rejeté. Il en résulte que toute personne à un poste de responsabilité va répondre aux attentes et prévisions au niveau du monnayage de son autorité, sans autre souci.

Et il y a les attitudes des chefs de groupes confessionnels qui maitrisent l’art d’exacerber les stéréotypes négatifs, qui amplifient les susceptibilités contre «l’autre»; ils revendiquent ou s’accrochent à des droits «acquis» pour créer, alimenter, et entretenir les morcellements discriminatoires, à volonté. Par effet de polarisation, la validité superficielle de leurs prophéties perpétue le règne de l’erreur, répète les malentendus, et rate sans arrêt les occasions de résolution.

Et plus récemment, celle où «il n’y aura pas de président/gouvernement de sitôt» si tous les desiderata des uns et des autres ne sont pas exécutés va faire que chacun va s’accrocher à ses demandes et perdre son sens de l’urgence, se réfugier dans des attitudes passives-agressives et entretenir indéfiniment un dysfonctionnement où d’aucuns peuvent marquer des points mais où on chacun perd au change…

Le pays est entré depuis longtemps dans une spirale négative d’à priori et de croyances qui le maintiennent prisonnier de ses vices et de ses défauts, qui réalisent les prophéties les plus sombres.

Pourtant, les libanais avec leurs groupes, leurs sous-groupes et leurs supra groupes (selon les circonstances) souffrent individuellement et collectivement des mêmes maux; ils perdent ensemble leur lutte pour (re)devenir un havre de paix envié où il ferait bon vivre ensemble et développer (enfin) son potentiel.

Nous sommes dans un marasme bien entretenu à tous les niveaux: économique, social, politique, institutionnel… les crises sont en mutation quotidienne et le résultat est invariable: un pays à la dérive, qui cherche désespérément des points d’appui, qui s’étouffe avec ses prophéties auto-réalisatrices.

Pour une fois, Il faut arrêter de suivre indifféremment son camp (pré)déterminé; il faut arrêter de refuser de remettre en question ses croyances. Une croyance différente va créer une réalité différente et tout (re)deviendra possible.

2 COMMENTAIRES

  1. Very good article, a rare observation which , if applied by every Lebanese, ( yes micro contribution) can break the vicious circle leading to collective despair. In my humble opinion, this push towards despair is not haphazard, but intelligently programmed to frustrate us then to swallow us. If we prove we can’t govern ourselves,….. i leave it to your imagination. A wake up call, bravo.

  2. Depuis toujours les libanais se réfugient derrière des affirmations-bateau, énoncées comme des vérités absolues et intransgressibles : ” que peut faire ce pauvre petit pays “, ” on ne décide rien…”, ” c’est l’Amérique qui veut ça… “, ” quand le problème israélo-palestinien sera réglé, in trouvera enfin la paix. Et on pourra décider chez nous “, et autres types de balivernes aussi stupides que fausses ou illogiques !
    Quand on est incapables de se prendre en main, qu’on cherche sans arrêt des prétextes ou des boucs émissaires et qu’on persiste dans la mauvaise foi, on n’est plus un peuple. Mais un troupeau. Et on mérite d’être écrasés. Comme un troupeau !

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