Surprise et stupeur ce vendredi, le gouverneur très controversé de la Banque du Liban, Riad Salamé, décide d’ouvrir la disponibilité des devises étrangères au public via les banques après que le taux de change de la plateforme électronique Sayrafa alors que la livre libanaise s’effondrait face au dollar sur les marchés parallèles. On s’attendait ainsi que la monnaie locale touche un nouveau fond, celui d’une parité de 40 000 LL/USD en fin de semaine contre 30 000 LL/USD en début de semaine sur fond de plus en plus de pressions monétaires de plus en plus importantes.

Cette mesure peut être aussi politique pour acheter une paix sociale face à des conditions sociales et économiques grandement dégradées ces dernières semaines et que des menaces de mobilisation et de manifestations étaient de plus en plus nombreuses.

Quelles sont les réelles motivations de Riad Salamé

Cette décision a-t-elle été prise pour redresser l’image du gouverneur de la Banque du Liban largement écornées localement par les affaires qui le touche avec la mise en examen de son frère dans le cadre d’accusations de détournements de fonds face, aussi, à des enquêtes ouvertes à l’étranger sur base des mêmes informations ? 

S’agit-il d’une décision pour redresser l’image auprès de l’opinion publique de cet homme alors que les plans de restructuration du secteur financier pour lesquels les déposants feront face à d’importantes pertes à partir d’un solde 100 000 USD ?

Enfin, s’agit-il d’une dernière mesure visant à redresser cette même image publique d’un gouverneur dont le remplacement n’est plus un sujet tabou en interne par le changement de position du premier ministre qui a finalement changé d’avis, voire même auprès de ses alliés américains et alors que des noms de possibles successeurs à son poste étaient évoqués ?

Et qu’en est-il des possibilités réelles de la BdL à agir sur le plan des changes

À première vue, cette mesure vise à imposer un taux de change pseudo-officiel à côté du taux de change officiel toujours arbitrairement fixé à 1507 LL/USD. Cette même mesure semble amener ainsi à l’unification tant attendue des taux de change, très attendue par les institutions internationales dont le FMI mais décidée unilatéralement, sans cohésion donc et sans coordination comme si la Banque du Liban tentait un coup de poker pour forcer la main sur base probable d’estimations qui indiquent que le taux Sayrafa se rapproche de la parité réelle de la livre libanaise face au dollar. 

Cette politique d’injection de devises étrangères est très surprenante en raison même des circonstances actuelles et en regard de l’état des réserves monétaires disponibles. Elle s’apparente à un dernier baroud d’honneur avant la défaite, la Banque du Liban ayant déjà dépensé 1.8 milliards de dollars depuis le début de l’année et que le volume injecté quotidiennement n’a de cesse de diminuer ces dernières semaines, preuve de l’épuisement des réserves disponibles. 

Si la livre libanaise a réussi officieusement à passer de 37 000 LL/USD sur les marchés parallèles jusqu’à moins des 30 000 LL/USD en quelques heures suit à cette annonce, cette baisse paraît purement psychologique, voire politique à quelques jours de l’élection assurée de Nabih Berri pour un nouveau mandat à la tête du parlement comme certains experts l’estiment être surtout qu’elle intervient après la fermeture des marchés officiels, mais non basée sur des faits et des réalités. 

Cela d’autant plus que les banques centrales ont toujours échoué à moyen et à long terme à contrôler le marché des changes face d’importantes pressions monétaires, notamment la toute puissante FED dans les années 1990.

Justement la livre s’apprécie aujourd’hui, mais après?

Cependant, si certains applaudissent aujourd’hui, cette mesure qui a court-terme semble contenter de nombreuses personnes, à moyen et long terme, elle pourrait également s’avérer catastrophique. Toute la question est de savoir si la Banque du Liban a les moyens de financer une telle mesure visant à diminuer la masse monétaire et sur combien de temps.

Selon les dernières statistiques publiées en février 2021, il y a donc plus d’un an, sur le site de la Banque du Liban, la masse monétaire 43 278 milliards de livres libanaises, en hausse de 129% sur un an par rapport à 2020.

Le principal problème de cette mesure est en effet la capacité de la Banque du Liban à financer une telle mesure à moyen et long terme, un mal qu’elle a, au final, elle même créé avec la politique de maintien de la parité officielle de la livre libanaise entre 1997 et 2019, une monnaie qui donc a été surévaluée durant de nombreuses années sans gains réels de productivité.

S’agit-il d’une décision induite par l’attente à ce qu’il y ait une arrivée massive de liquidité durant l’été avec la saison estivale en attente d’un accord définitif mais improbable avec le FMI?

Ensuite, rien ne sera moins sûr avec ce recours à moins d’avoir autrement obtenu d’autres types de garanties par rapport à la restructuration du système financier. 

L’origine des dollars est aussi problématique, les réserves actuelles de la Banque du Liban étant presque épuisées. Ainsi, les réserves de la banque centrale sont estimées à 11.8 milliards de dollars aujourd’hui. Le coût de la politique d’injection de la Banque du Liban a déjà coûté 1.8 milliards de dollars en moins de 4 mois avec des volumes injectés en diminution depuis un mois et demi, avant d’être élargie aujourd’hui, ce qui pourrait amener une augmentation de la pression monétaire sur la plateforme Sayrafa, faisant évoluer le taux de change de celui-ci vers le haut.

Après épuisement des réserves disponibles, en cas de poursuite du programme d’injection, la Banque du Liban aura 2 choix

  • Soit arrêter le programme avec ensuite une forte remontée des taux de change au marché parallèle
  • soit poursuivre le programme avec les réserves monétaires obligatoires, jusqu’à présent sanctuarisées.

En effet, le gouverneur de la Banque du Liban a déjà informé les banques privées de sa décision de vouloir recourir aux réserves monétaires obligatoires afin de poursuivre la politique monétaire qui a débuté au mois de janvier. Un autre aveu en quelque sorte, de son incapacité à pérenniser cette politique d’injection. 

La collaboration avec les banques pourrait être difficile

Une autre interrogation porte en effet sur les capacités des banques locales à réellement fournir de telles liquidées alors qu’elles ont présenté un recours contre le gouverneur de la Banque du Liban la semaine précédente après que

Vont-elles obéir à cette nouvelle décision de la Banque du Liban en permettant à leurs clients d’échanger livres libanaises de leurs comptes en dollar ? Si le recours n’est pas suspensif, la Banque du Liban pourrait en attendant utiliser le peu des réserves monétaires disponibles jusqu’à épuisement et cela avant même la date annoncée.

Pour rappel, l’essentiel des pertes des banques est induite par le fait que ces établissements outre les investissements en dette publique libanaise ont également placé d’importantes liquidités à hauteur, désormais selon les informations disponibles, de 79 milliards de dollars, essentiellement sous forme de certificats de dépôts, des sommes qui avaient servi à booster les réserves monétaires de la Banque du Liban ces dernières années via les opérations d’ingénierie financière très critiquées aujourd’hui. 

Ces opérations consistaient à ce que les banques privées, placent l’argent des déposants en devises étrangères auprès de la Banque du Liban et étaient remboursées en livres libanaises avec des taux importants. Cependant, la dégradation de la parité de la livre libanaise face au dollar, à hauteur de plus de 95% depuis 3 ans, a fortement déprécié ces actifs alors que la banque centrale est même considérée insolvable par de nombreuses institutions internationales. Ces pertes étaient masquées par des déclarations unilatérales de profits fiduciaires (NDLR : issus de la différence entre le coût d’impression de livres libanaises contre la valeur faciale) à hauteur de 6 milliards de dollars même et cela sans collatéraux réels. 

Aujourd’hui, les seuls dollars restants disponibles aux banques sont au final ceux des réserves obligatoires et encore, il s’agit des sommes déposées par les déposants.

Et au final, ces dollars ne sont injectés mais simplement réinjectés … pour faire gagner encore plus de temps à un système en fin de course.

Et les dollars sont réinjectés, mais après?

Cela aussi ne résout finalement pas grand-chose dans un pays où plus de 80% des sommes présentes sur les comptes sont en devises étranges et bloquées depuis l’instauration d’un contrôle informel des capitaux. 

L’autre interrogation sur le devenir de ces devises nouvellement acquises, vont-elles être redéposées dans des comptes dits « fresh » ou frais en opposition aux fameux lollars détenus par les banques et aujourd’hui inutilisables sans importante décote ou simplement retirées alors que déjà les banques, fatiguées par la crise multipliaient les mesures afin même d’instaurer des mesures empêchant tout retrait y compris en livres libanaises, y compris aux institutions qui devaient disposer de cash en espèce, y compris aux hôpitaux par exemple. 

Les déposants n’ont de plus confiance envers le système financier, il n’y a donc aucun risque même minime que l’essentiel de ces devises étrangères ne réintègrent la Banque du Liban via les banques privées et donc de réintégrer le circuit économique mais plutôt trouvent au final le moyen de sortir du pays par des circuits informels..

Après on fait quoi ?

Une fois les réserves monétaires épuisées, la Banque du Liban devra cesser de financer non seulement l’injection de devises mais également tout programme de subvention. Elle a d’ailleurs mis fin au programme de subvention des médicaments y compris aux personnes souffrant de maladies chroniques ou encore de patients cancéreux. Des rumeurs faisaient déjà état de l’être prochain des subventions accordées à l’achat de blé.

La question du timing est aussi essentielle. Faute de transparence, on ne peut savoir si ce programme pourra durer un mois, 3 mois ou jusqu’à la fin de l’année.

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