Lucio Fontana, CONCETTO SPAZIALE, 1960
Lucio Fontana, CONCETTO SPAZIALE, 1960

Si j’ai à écrire une histoire, je puiserai au fond de mes cauchemars une inspiration! Une révolte aussi! Et tous mes non-dits… Tous mes silences! Toutes mes hésitations! Si j’ai à écrire une histoire, je prendrai la mienne, et essayerai de vous raconter mes défauts avant de vous parler de mes qualités, de mes complexes de petite fille, de ces jambes longues que je n’aurai jamais parce qu’il me manque quelques centimètres, de ma gueule boudeuse quand j’ai faim, et de mes folies qui sont rarement passagères!

La vie ne vient pas avec un mode d’emploi! Désolée Pérec, mais même ton livre de 500 pages ne m’explique pas vraiment comment ça fonctionne! On naît avec les aspirations de nos parents et leurs rêves suspendus à  notre chair! On babille, on grimpe tant bien que mal sur un canapé, on salit la bavette! On est chou à cet âge où l’insouciance coûte zéro centime. Stade phallique où tout objet est bon à passer dans la bouche avant d’être retiré avec soulagement par des adultes au bord de la panique! Non! Non, ne touche pas! Non, on ne dit pas « Beurk » pour la nourriture! Non, tu finis ton assiette! Non, tu vas jouer avec tes cousins même s’ils sont chiants! Non, arrête de dessiner sur les murs! Non… pourquoi ce foutu Non ne s’est-il pas incrusté dans ma tête pour que je puisse le prononcer dans la cours d’école quand il le fallait! Pourquoi n’ai-je pas su dire non quand l’abus et la manipulation se sont confondus dans ma tête avec de l’amour? Et combien m’a- t-il fallu pour que j’apprenne à prononcer ce Non et à trouver ma voix! On n’est plus chou à cet âge où l’insouciance coûte des années et parfois un traumatisme!

Et il faut des traumatismes pour pouvoir créer, produire, et surtout écrire! Créer comme Frida Kahlo qui n’a pas hésité à peindre son avortement sur le lit de l’hôpital Henry Ford à New York! Avec ses tripes dehors et tout son mal être! Comme Niki de St Phalle qui raconta l’inceste subi par son père dès son plus jeune âge. Ses Nanas ont fait le tour du monde, sa Hon au vagin ouvert criait au scandale! Produire comme  Marina Abramović qui a osé défier l’être humain, sa malveillance parfois, mais aussi et surtout la violence gratuite faite aux femmes et aux hommes aussi! Et écrire comme Simone Veil, sa pesanteur et sa grâce, son audace pour donner aux femmes leurs droits sur leurs corps, leur droit de décider de dire Non!

Il suffit que je prononce le mot vagin pour que je voie dessiné sur les lèvres de mes étudiants un sourire taquin! Et une blague pour ceux qui osent la misogynie. Les femmes sont toutes des salopes ! Ah bon ? Et ta mère ? Et ta sœur ? Dans une ère où un petit click suffit pour accéder à un site porno, et découvrir toute la perversité dont est capable l’être humain, Facebook avait décidé de censurer mon dernier article parce que le sein de la sainte Marianne de Delacroix était à découvert. Je suis restée dans le silence de longues semaines à observer le socialement correct du fonctionnement de Facebook&Cie. C’est à se demander si le monde est schizophrène ou pas. Sous Prozac-Xanax-cocktail vin rosé, ou pas. Quand sur les réseaux sociaux s’affichent des images sans complexes de jeunes femmes en bikini, étalées sur un flamant rose en train de se prélasser sous le soleil de Batroun ou de Jiyeh, je reste abasourdie devant tellement d’ignorance et d’analyse horizontale. Plate. Incolore. Dans une ère où tout est permis, il ne nous est plus permis de parler de l’art en toute honnêteté, d’appeler un vagin un vagin, et de montrer un sein au galbe généreux. . La Marianne au sein nu ! Niet ! Ce qui reste permis, surtout de vigueur et à la mode, c’est  voir défiler des images de jeunes filles qui croient qu’être émancipées revient à montrer ses fesses au plus large public de mâles excités derrière leurs écrans. Un vrai supermarché qui reste au service de tous les goûts et de toutes les couleurs. Même plus besoin de porno ! Vive la libido des sexagénaires qui osent aussi envoyer des messages privés à des jeunes de 18 ans ! Qui les reçoivent comme un beau compliment… Et ta tête jeune fille… As-tu pensé à cultiver ta tête ? Et toi vieux mec ? Toujours coincé au stade phallique ?

Si j’ai à écrire une histoire, je puiserai au fond de moi pour oser dire non, au nom de toutes mes révoltes! Et puis l’écrire ! Il faut accéder au respect de soi pour pouvoir garder son intimité loin du regard des autres. Non ! Je n’adhèrerai jamais à votre modèle ! Je vous dérange, n’est-ce pas ?

Hala Moubarak

Note de l’auteur : Je crois bien que Facebook n’a pas l’intellect nécessaire pour comprendre cette œuvre de  Lucio Fontana, CONCETTO SPAZIALE, 1960.

Hala Moubarak
Trentenaire aux cheveux rouges. Hier, un cri. Aujourd’hui, elle est «À cor et à cri ». Ambidextre. Architecte d’intérieur. Enseignante. Designer à ses heures perdues. Dévoreuse de livres d’histoire et de littérature. Mordue d’art. Râleuse au second degré. Vit une relation ambigüe avec Beyrouth. Se promène souvent avec l’énergie d’une étoile. Aime manger de la glace à la vanille. Grande rêveuse idéaliste. Atteinte d’une folie passagère. Fut le chat de Toulouse Lautrec dans une vie antérieure ! Si, si… je vous le jure !

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