Le monde entier a été épouvanté par la terrible explosion qui a soufflé le Port de Beyrouth et le quartier d’Achrafieh. Le monde entier a vu la ville éventrée, pulvérisée, le monde entier a vu les conséquences de l’incurie politique, de la corruption, d’un confessionnalisme dévoyé, de la médiocrité d’une classe politique qui depuis fort longtemps n’a plus aucun sens de l’intérêt général mais un sens aigu de ses intérêts personnels qu’ils soient affairistes ou clientélistes quand ce n’est pas les deux. Le monde entier a enfin vu votre calvaire.

Le monde entier a vu le Président Macron, en cette année du centenaire de la création par la France de Clémenceau du Grand Liban, relever l’honneur de son pays en venant à votre chevet et en recueillant la juste colère des jeunes, le terrible désarroi des plus anciens ; il y a si longtemps que l’engagement de Saint Louis semblait avoir été oublié, lourde responsabilité de ne pas décevoir le magnifique élan d’espérance ainsi créé.

Le monde entier a enfin entendu vos cris de colère  lancés contre tous les vents contraires des « à quoi bon » et des « en quoi cela nous concerne », le monde entier a pu mesurer que cette catastrophe monstrueuse qui s’est abattue sur vous n’était qu’une nouvelle station dans un chemin de croix interminable marqué ces derniers mois par les humiliations et la violence d’un état voyou, les conséquences d’un système cleptocratique  qui vous a dépouillés de vos moyens et conduits aux portes de la misère et de la famine, système qui par son incompétence criminelle a provoqué la mort de plus de 170 personnes, a fait plus de 6000 blessés et est responsable de la destruction de vos quartiers, de votre patrimoine culturel retirant à ceux qui déjà n’avaient plus grand-chose tout ce qui leur restait : un toit. 

Mais le monde entier a vu aussi, une richesse qui n’a pas de prix. Le monde entier a vu la jeunesse de Beyrouth et du Liban. Alors que les murs venaient à peine de s’effondrer, le monde entier a vu cette jeunesse se mobiliser pour porter secours aux premier blessés, il a vu, une fois que les fumées acres s’étaient dissipées ces mêmes jeunes, armés de leur dévouement, de balais, masques et gants redresser la tête pour relever leur ville, leurs quartiers assassinés par des dirigeants criminels et voleurs. Il vous a vu affronter avec un courage admirable cette fatalité qui s’acharne sur vous comme s’il n’était pas possible de vivre libre et heureux sur cette portion de terre du Proche Orient que certains depuis plus de 45 ans s’acharnent à détruire, à ravager, à piller à priver d’espoir et veulent plonger dans l’obscurantisme le plus totalitaire. Le monde entier a vu enfin un pseudo gouvernement et ses affidés, alors que les larmes de la tragédie n’étaient pas encore sèches, qui a toujours brillé par son autisme et son incapacité à vous protéger, vous tirer dessus et ajouter le crime à la destruction. Il a vu les vautours historiquement immondes, quintessence du clientélisme, dévoiler leur méprisable dessein : profiter de votre drame pour vous chasser de chez vous en rachetant vos biens… Le monde entier a entendu votre cri de fierté : même blessée à mort Achrafieh n’est pas à vendre !

Chers jeunes libanais, le monde entier a encore les yeux, rougis de peine, braqués sur vous, sur vos blessures et votre révolte, il entend vos légitimes désirs de réformes, il est prêt plus que jamais à les soutenir : fin du confessionnalisme, lutte contre la corruption et poursuite contre tous ceux qui ont volé le pays, désarmement des milices… ces demandes sont justes et comme le Président Macron vous l’a dessiné lors de sa venue, il faudra faire évoluer le pacte libanais, c’est une urgence vitale.

Celui qui mêle ses larmes aux vôtres depuis si longtemps vous soutient dans votre volonté de réforme. Vous voulez la fin du confessionnalisme et vous avez raison. Il est un peu comme la langue d’Esope, la pire et la meilleure des choses. La meilleure, quand il offre aux minorités la garantie du respect de ses droits et libertés fondamentales, quand il empêche la dictature de la majorité comme on peut malheureusement le constater dans tant de pays de la région. 

Il est aussi la pire des choses quand il n’est qu’un système de corruption généralisée, de clientélisme institutionnalisé, d’avilissement de l’Etat livré aux factions et aux milices, incapable de vous protéger, défaillant en tout y compris dans le soutien aux habitants des quartiers détruits par l’explosion du  4 août.  Pour ceux qui auraient encore des doutes : l’Etat libanais n’existe plus. 

Jeunes du Liban, vous qui êtes sa fierté, son honneur et son avenir, le monde entier vous aime et admire votre façon de faire face devant tant d’adversité. Il admire votre générosité et votre dévouement, votre si belle francophonie que semble découvrir nos médias,  il a pu entendre enfin votre ouverture au monde, loin de tous les fanatismes qui, trop souvent, réduisent le Liban à un amalgame de milices barbares. Il a enfin entendu votre aspiration à vivre dans votre pays libres et respectés. Il comprend votre révolte. Alors surtout, surtout, ne renoncez jamais, n’abandonnez pas, vous êtes l’espérance qui s’avance.

Vous êtes les artisans déterminés du redressement de vos quartiers, vous pouvez être ceux de la réforme de votre pays de ses institutions, de son autonomie locale qui vous assurera de conserver votre art de vivre, de prier, vos traditions, vos libertés essentielles, votre différence dans un monde où tant voudraient qu’elle disparaisse. Je suis sûr moi aussi que « La Révolution naîtra des entrailles de votre chagrin ».

Josselin Monclar

Auteur de Paradis Perdus

 L’Editeur