Après le numéro hors –série consacré au Liban (déc. 2016), la revue Historia vient de faire paraitre un numéro également hors-série consacré à la capitale libanaise (juin 2019), à l’initiative de la municipalité de Beyrouth. Outre l’introduction des officiels (préfet et maire de Beyrouth), ce numéro est divisé en trois parties : La ville –monde de l’antiquité ; Cap sur la modernité et Heurts et Malheurs d’une capitale. Avec une trentaine de contributions de chercheurs divers, tant libanais que français.

La revue Historia qui existe depuis 1908 (avec uniquement une coupure de 1937 à 1945) est une revue historique à la fois accessible et savante, qui tout en conservant le contenu scientifique vérifié, met l’Histoire à la portée du grand public.

 Concernant le Liban où les références historiques manquent dramatiquement ou sont controversées car les communautés libanaises ne s’accordent toujours pas sur un récit historique commun, fondement indispensable d’une entité nationale, la revue propose une lecture articulée, ordonnée, chronologique qui permet aux Libanais eux-mêmes et aux francophones, de connaître l’évolution de l’histoire libanaise si complexe et de retrouver un fil conducteur. Un projet culturel et politique doit bénéficier au départ d’une histoire unifiée et un tant soit peu consensuelle et établie.

Les articles sont soigneusement illustrés, succincts, rédigés au présent, sur des thèmes sélectionnés au départ, selon une approche pédagogique, de manière à fournir beaucoup d’informations utiles et pertinentes sans encombrer toutefois l’esprit. Les deux numéros consacrés au Liban et à Beyrouth fournissent la matière, à partir de laquelle on peut si on le désire, poser des repères et par la suite organiser, développer et approfondir un débat rationnel. Ce qui manque cruellement au Liban aujourd’hui.

Concernant Beyrouth, ce numéro expose les différentes périodes que la capitale libanaise a connues, commençant par la Préhistoire, puis les Phéniciens, les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Byzantins, l’Islam, les Croisés, les Mamelouks, les Ottomans (avec l’Emirat du Mont Liban notamment Fakhreddine II et Béchir II) le Mandat français (1920), le Liban indépendant (1943), la guerre civile qui divise la ville en deux (1975), la reconstruction (1990).

Toutefois cette reconstruction de Beyrouth demeure manquante car on a reconstruit les pierres et pas les hommes. On peut le constater en établissant une comparaison entre la reconstruction de Beyrouth (fragmentaire et toujours inachevée) et celle de Berlin (capitale réunifiée). Les deux villes ayant été divisées durant la deuxième moitié du XX ème siècle pour des raisons idéologiques, l’une devenue le lieu de confrontation entre l’Est et l’Ouest (après la seconde guerre mondiale 1945 et le mur de Berlin 1961-1989) l’autre la ligne de front entre l’Orient et l’Occident (après l’occupation de la Palestine, l’exode de 1948 et le guerres civiles et régionales du Liban 1975-1990). Toutefois si l’espace allemand est largement réunifié, l’espace libanais reste divisé entre les communautés libanaises et les puissances régionales.

Au Liban, comme partout ailleurs, les politiques soucieux d’accéder au pouvoir et de le conserver sont dans l’action immédiate, l’émotion ponctuelle et l’actualité, sans avoir le recul nécessaire, la vision globale et objective que seule la connaissance de l’Histoire peut donner. Ceci est d’autant plus difficile car les sources historiques comme dans tout pays pluriculturel ne font pas l’unanimité. Or il faudrait une continuité historique pour poursuivre un projet culturel et politique sur la durée et ne pas s’arrêter uniquement aux échéances électorales.

 En prenant Beyrouth comme sujet de ce nouveau numéro d’Historia, nous retrouvons dans le cas particulier de sa capitale, l’Histoire du Liban dans sa globalité avec sa complexité et ses spécificités. Il y a des moments fondateurs dans la vie d’une nation et le Liban en a déjà payé lourdement le prix, entre les massacres de 1860 (qui ont coûté des dizaines de milliers de morts), la famine de 1915(qui a décimé le tiers de la population du Mont Liban, plus de deux cents mille morts) et les guerres civiles et régionales du Liban (également plus de deux cents mille morts et disparus et le triple de blessés toutes communautés confondues). A ce stade, l’amnésie devient presque complice voire criminelle

Plutôt que de se pencher uniquement de manière festive sur la célébration l’année prochaine en 2020, du centenaire de la proclamation du Grand Liban (1 er septembre 1920), il faudrait mieux se pencher à travers ces deux numéros d’HISTORIA   hors-série sur l’Histoire du Liban dans son ensemble et celle de sa capitale Beyrouth en particulier pour comprendre la genèse de ce pays, les périodes et les épreuves qu’il a traversées.

Les peuples comme les individus doivent savoir d’où ils viennent pour savoir où ils vont. Cela les aide à avancer et à évoluer, à préserver leur projet politique qui garantit leur héritage culturel. Les paramètres d’Hérodote (énumérés par le père de l’Histoire ,il y a 2500 ans :la race, la langue, la religion et les mœurs)définissent les éléments structurants identitaires autour desquels doit s’effectuer le compromis culturel et politique pour préserver la paix civile. Pour cela il est préférable d’étudier ces mécanismes sur la durée pour prévenir les conflits. Les chercheurs peuvent s’inscrire à travers l’Histoire dans une approche qui associe étroitement les faits historiques avec la sociologie et l’anthropologie politique.

Le savoir-faire, plus que centenaire d’Historia est une caution et une garantie d’objectivité dans le traitement du fait historique, mais le reste c’est aux responsables politiques libanais de l’assurer. S’il n’y a pas de prise de conscience collective et unifiée de la part des communautés libanaises et de leurs autorités, le projet libanais va s’épuiser et se décrédibiliser au fur et à mesure, au fil du temps.

Certes il y aura toujours l’utopie abstraite et idéaliste du pays rêvé du dialogue des cultures mais il est préférable de le concrétiser en le démontrant et en l’étayant dans les faits. C’est le suivi politique des numéros si précieux d’Historia que les décideurs doivent envisager. Comment à travers une histoire accessible et objective définir un projet viable, cohérent et à long terme pour le Liban. 

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